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Des détenus trans incarcérés dans la mauvaise prison

Hand in jail Photo: Métro

Le traitement des détenus trans dans les pénitenciers fédéraux, jugé «archaïque» par des groupes de défense des droits LGBT, sera au cœur des recommandations de l’enquêteur correctionnel du Canada dans son rapport annuel, a appris Métro.

Selon la politique actuelle de Service correctionnel Canada (SCC), les détenus trans sont envoyés dans un pénitencier qui correspond à leur sexe à la naissance. Seuls ceux ayant subi une chirurgie de réassignation sexuelle sont incarcérés dans un pénitencier qui reflète leur identité de genre.

Les détenus trans n’ayant pas subi une telle chirurgie peuvent amorcer ou poursuivre leurs traitements d’hormonothérapie en prison, à la condition d’avoir vécu pendant au moins 12 mois selon le genre auquel ils s’identifient. Cette période doit avoir eu lieu avant leur incarcération. Une personne n’ayant pas ce préalable pourrait donc voir sa transition interrompue.

Depuis que le Québec a abandonné, l’automne dernier, l’obligation d’avoir subi une chirurgie pour effectuer un changement de sexe, cela signifie, par exemple, qu’une personne légalement considérée comme étant une femme au Québec pourrait se retrouver dans un pénitencier fédéral pour hommes

Le SCC affirme surveiller «de près» l’évolution du projet de loi fédéral portant sur la lutte contre la discrimination envers les personnes trans. «Toute demande de changement de politique pour répondre aux exigences législatives ferait l’objet de consultations et tiendrait compte du contexte opérationnel du SCC ainsi que de la population sous sa responsabilité», a-t-on fait savoir par courriel.

L’enquêteur correctionnel, Howard Sapers, qui agit comme ombudsman des personnes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux, soulève plusieurs problèmes inhérents à cette pratique. Il entend émettre des recommandations à cet effet dans son rapport annuel à SCC, prévu pour cet automne.

Le bureau de M. Sapers s’inquiète surtout  propos de l’accès aux soins de santé pour les personnes dans cette situation ainsi que pour leur sécurité.

«Nous croyons que l’incarcération devrait prendre en compte l’identité de genre préopératoire. Si une personne détenue s’identifie à un genre autre que celui qui lui a été assigné à la naissance, peu importe où elle en est rendue dans sa transition, on devrait en tenir compte», a-t-il affirmé à Métro.

Sapers - quote

Des pratiques qui changent

Plusieurs provinces, dont le Québec et l’Ontario, ont mis fin à l’obligation de subir une chirurgie avant de pouvoir légalement changer de sexe. Pourtant, Service correctionnel Canada (SCC) l’exige toujours pour envoyer une personne trans dans un centre de détention qui corresponde à son identité de genre, malgré les réserves que cette politique suscite.

Impossible de savoir combien de personnes trans sont détenues au Canada. Ni SCC, ni le bureau de l’enquêteur correctionnel ne détiennent de statistiques à cet effet.

L’organisme Prisoner correspondence project (Projet de correspondance avec les détenus, ou PCP) compte quelque 300 prisonniers trans parmi ses membres au Canada et aux États-Unis. PCP met en contact des détenus LGBT avec d’autres membres de leur communauté afin de sortir les prisonniers de l’isolement qui accompagne souvent l’incarcération.

Selon Parker Finley, membre du collectif PCP, les personnes trans incarcérées vivent souvent un enfer en prison.

«Les gens de la communauté LGBTQ sont particulièrement à risque de subir de la violence en prison, mais pour les trans qui ne sont pas envoyés dans une institution qui correspond à leur identité de genre, ça équivaut à une véritable torture mentale», juge Mme Finlay.

«On te place dans une boîte. Les gens qui t’entourent sont un danger pour toi. Mais tu es aussi dans un endroit qui ne te correspond pas. Parfois, on t’enlève même ton nom. Tu dois recommencer à utiliser ton nom à la naissance. Ça peut être une expérience traumatisante», ajoute-t-elle.

Des études cinglantes

Des études semblent lui donner raison. Dans un sondage réalisé auprès de 1118 détenus LGBT aux États-Unis par l’organisme Black and Pink, 78 % des personnes trans ont affirmé avoir vécu de la détresse émotionnelle parce qu’elles ont dû cacher leur identité de genre en prison. D’ailleurs, selon la même étude, les prisonniers LGBT sont six fois plus à risque de subir une agression sexuelle que les autres détenus.

Le Sylvia Rivera Law Project, un organisme américain qui offre de l’aide juridique aux personnes trans, a lui aussi mené une étude auprès de 106 détenus trans qui sont clients de l’organisme. «La grande majorité de ces personnes rapportent avoir vécu diverses expériences négatives : elles ont été victimes d’agressions, de refus de soins médicaux d’urgence et de transferts vers des établissements ne convenant pas à leur identité de genre», peut-on lire dans le rapport.

Stefanie - trans

Par ailleurs, les personnes trans sont souvent placées en isolement pour les protéger d’agressions de la part d’autres détenus. «Quand tu es en ségrégation administrative, tu passes 23 heures par jour dans ta cellule et tu as une heure d’exercice à l’extérieur. C’est tout. Tu n’as aucun contact avec d’autres êtres humains, et c’est extrêmement difficile d’un point de vue psychologique», déplore Mme Finlay.

Une politique contestée

Pour Gabrielle Bouchard, du Centre de lutte contre l’oppression des genres, la politique du SCC consistant à exiger une chirurgie avant d’envoyer une personne trans dans un pénitencier qui convienne à son identité de genre est tout simplement archaïque.

«C’est vraiment “années 1960”, ça, lance-t-elle. On a déjà eu ça auparavant comme protocole de traitement. Mais ce qu’on sait maintenant, c’est que ça augmente la détresse, la dépression et le risque de suicide. […] Ça n’a aucun bon sens, il n’y a plus personne qui fait ça.»

Mme Bouchard déplore aussi que la définition de ce en quoi consiste une chirurgie de réassignation de sexe varie d’une province à l’autre. Certains gouvernements considéreront qu’une mastectomie est suffisante pour qu’un homme trans soit légalement considéré un homme; d’autres, non.

«Ça veut dire que le fédéral enverrait des personnes légalement hommes dans une prison pour femmes et vice-versa s’ils n’ont pas eu de modification de leur corps. Et les définitions sont différentes d’une province à l’autre», affirme-t-elle.

La politique au Québec

Les détenus qui purgent une peine de moins de deux ans sont incarcérés dans un pénitencier provincial. Au ministère de la Sécurité publique du Québec, on affirme ne pas suivre les mêmes politiques que le système fédéral et appliquer une analyse «cas par cas».

«Celle-ci tient notamment compte des mêmes critères de classement qui s’appliquent à l’ensemble des personnes incarcérées [exemples : besoin d’encadrement sécuritaire, état de santé physique et mentale, besoin de protection] ainsi que de l’opinion de la personne transsexuelle ou transgenre pour déterminer le secteur d’hébergement et les mesures de sécurité appropriés», a-t-on fait savoir par courriel.

Le ministère ajoute qu’il s’agit de «situations exceptionnelles».

Parker - trans

Selon Mme Finlay, le traitement au cas par cas n’est guère mieux puisqu’il dépend de personnes qui ne comprennent pas nécessairement les enjeux des personnes trans.

«Ça laisse beaucoup de place à l’interprétation et à l’incompréhension. Par exemple, ce que portait la personne quand elle a été arrêtée, son apparence physique, tout ça pourrait peser lourd dans la balance. Beaucoup de personnes trans à faible revenu n’ont pas accès aux choses qui pourraient les aider à changer leur apparence afin qu’elle corresponde à leur identité», croit-elle.

Mme Bouchard ajoute que l’étude au cas par cas ne bénéficie pas aux personnes qui ne peuvent pas se payer un avocat ou qui ne possèdent pas les ressources nécessaires pour contester une décision. Selon elle, le gouvernement provincial devrait tout simplement laisser les personnes trans décider si elles seront envoyées dans un pénitencier pour hommes ou pour femmes.

Le dépôt du projet de loi fédéral C-16, qui vise à protéger les personnes trans de la discrimination, pourrait forcer Service correctionnel Canada à revoir sa politique en matière d’incarcération de ces personnes, selon Gabrielle Bouchard.

«Avec l’ajout, dans la loi canadienne sur les droits de la personne, de l’identité de genre et de l’expression de genre, ça va être très intéressant de voir comment les gens pourront utiliser ces outils-là», juge-t-elle.

De son côté, SCC a fait savoir par courriel qu’il fournit «un milieu correctionnel sûr et sécuritaire, qui favorise la réhabilitation de tous les délinquants», et qu’il évalue la situation de tous les détenus trans dans le but de tenir «compte de leurs vulnérabilités et [de répondre] à leurs besoins, y compris leur sécurité et le respect de leur intimité».

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