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Thomas O. St-Pierre: L’homme qui jouait à l’écrivain

Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans Charlotte ne sourit pas, son deuxième roman, Thomas O. St-Pierre raconte une «guerre intime en huis clos», une histoire d’amitié entre deux colocataires féminines que tout oppose, portée par un narrateur mal à l’aise dans son rôle. «Plusieurs chapitres se passent dans leur appartement, ça va mal, c’est lourd, remarque l’auteur vingtenaire, résidant à Montréal. Il n’y a pas de poursuites d’autos, pas d’explosions, pas de meurtre. Mais pour les gens qui aiment les analyses psychologiques – et moi j’adore ça – il y a quand même de bons moments.»

Charlotte, votre héroïne, n’aime pas lire. Donner ce trait de caractère à un personnage de roman, est-ce une chose que vous trouviez quelque peu osée?
Oui. Je trouvais ça original. C’est comme une épice que j’ai rajoutée pour la rendre encore plus originale. En fait, ça vient de ma blonde qui déteste lire – ce qui est effectivement assez particulier.

L’idée d’être «une bonne personne» traverse votre roman. Charlotte veut poser les bons gestes, veut être perçue comme vertueuse. Est-ce une chose qui vous préoccupe également?
Je ne pense pas que je le formulerais ainsi. Ce n’est pas tellement l’envie d’être une bonne personne que le sentiment de ne pas en être une. C’est ça, l’idée de Charlotte ne sourit pas : dans le fond, elle ne s’aime pas, Charlotte. Et ça vient de cette image que les autres lui renvoient d’elle-même : une personne pas très souriante, négative, sarcastique, cynique. Moi aussi, dans ma vie, on m’a souvent renvoyé cette image. Surtout quand j’étais plus jeune. J’étais affreusement timide et j’avais l’impression de ne jamais faire la bonne chose.

On vous renvoyait cette image parce que vous ne souriiez pas beaucoup non plus?
Tout à fait. Je suis prof (de philosophie, au Collège Montmorency) et je fais des blagues là-dessus avec mes étudiants: j’ai tout le temps la même maudite face. J’ai toujours été comme ça.

Votre narrateur, qui joue un grand rôle dans ce livre, souligne qu’il «n’a jamais voulu être narrateur», que «la narration est un châtiment pour les doués », qu’il n’a «seulement jamais trouvé d’autres façons d’être». De la même façon, en tant qu’auteur, avez-vous «lutté» contre le fait d’avoir un narrateur omniscient aussi présent?
Pas du tout! Ce n’était même pas prévu. Mon idée première, c’était vraiment de raconter de l’intérieur un conflit entre deux amies. Et avec le temps, organiquement, l’idée du narrateur m’est venue. Je suis donc retourné en amont pour placer ce chapitre, par exemple, où il parle de lui-même. Je voulais que ce soit quelque chose qui lui soit tombé dessus, que ce soit négatif. Que le narrateur soit aussi mal à l’aise dans son rôle que Charlotte l’est dans le sien.

À un moment, votre narrateur remarque : «Il ne se passe pas assez de choses dans ce roman». Est-ce, d’une certaine manière, une façon de vous dédouaner?
Oui. Dans mes deux romans, il ne se passe pas grand-chose. Ou sinon, à une petite échelle. Dans le premier [Même ceux qui s’appellent Marcel], une des parties s’appelle «Fin du monde version de poche». C’était le premier titre que je voulais donner, parce que c’était ça, l’idée. Une fin du monde à très petite échelle. Et Charlotte ne sourit pas, c’est la même chose : c’est une guerre, mais à échelle intime. Il se passe des affaires. Mais des affaires subtiles.

Vos personnages poussent «un soupir de ponctuation», prennent «une gorgée de ponctuation de café». Pensez-vous les gestes en signes de ponctuation aussi?
Oui. Par exemple, depuis le début de cette discussion, chaque fois que je finis une réponse, je prends une gorgée de bière. C’est comme un point. Je pense que ça vient du fait que les gens ayant souffert de la timidité, comme moi, ont une surconscience de leurs mouvements. Pour eux, c’est un combat constant. Comment je suis censé être, dans une situation sociale? Que suis-je censé dire? Comment je devrais me poser? C’est la même chose. Pour Charlotte comme pour moi.

«Une des fonctions d’un ami, il me semble, c’est de nous rassurer. De dire : tu n’es pas une mauvaise personne. Tu n’as pas fait la mauvaise chose. Je suis ton allié.» – Thomas O. St-Pierre

Vos personnages jouent au «jeu de la jeunesse», au «jeu de l’amitié». Quand vous écrivez, vous jouez aussi?
C’est une expression que j’utilise souvent. Quand je vais écrire dans un café, je dis : «Je vais jouer à l’écrivain». Je crois d’ailleurs qu’on est toujours en représentation, en train de se construire dans les yeux de l’autre, en train de jouer. Au sens à la fois théâtral et ludique. À être soi-même, à être un écrivain, à être un prof… Je suis conscient que l’idée de la construction de soi prend trop de place dans ma compréhension des êtres humains et, donc, vraisemblablement, dans mon livre.

Mais c’est comme ça que je comprends les gens. Autrement, je ne suis pas capable.

Quand vous jouez à l’écrivain, vous faites comme le personnage de l’auteur dans Charlotte…? Vous allez dans un café, vous buvez trop de café, vous observez les filles, vous gribouillez dans un calepin?
Exact. Je commence par un café, je prends une bière après. J’ai un petit carnet, mais j’écris davantage sur un ordinateur. Je fais tout typiquement. Il n’y a aucune originalité. Mais c’est amusant quand même. Quand ça fonctionne bien! C’est sûr que si ça va mal pour l’écriture, le jeu n’est pas réussi. Ça devient désagréable quand on réalise qu’on n’est pas aussi bon qu’on le pensait ou quand on se relit et que c’est poche (et c’est toujours un peu poche quand on se relit).

Vous semblez avoir un amour particulier des adverbes. Dans une phrase, on trouve: «rapidement, facilement, profondément, confortablement». Une autre: «profondément, intensément, véritablement.» Est-ce un défi que vous vous lancez: en mettre le plus possible?
Non! Mais c’est très utile! Je mets trop de mots en général. Quand j’écrivais ma maîtrise (en philo sur Rousseau), mon directeur n’était plus capable. Il faisait juste barrer des mots sans arrêt. Une chose que je fais beaucoup aussi : finir des phrases avec huit adjectifs, sans «et» à la fin. Je ne sais pas pourquoi.

C’est pour ça que vous mettez plusieurs «etc.»? Pour réduire ce nombre de mots? Comme dans ces passages: «S’assoyant dans un fauteuil faisant face à un meuble sans télévision, etc.»; «Par ailleurs, conformément à ses critères habituels, il s’exprimait bien, était plutôt cultivé, etc.»
Oui. Je pense. C’est pour priver le lecteur d’une autre énumération. Il a compris. Etc. Point.

Dans un passage de Charlotte…, vous rappelez les «critiques polies» que votre premier roman, Même ceux qui s’appellent Marcel, a reçues. «Ici, on salue l’humour, là on ose dénoncer ou craindre la présence de ce fléau très fin de siècle: l’autofiction.». En rédigeant ce deuxième roman, avez-vous tenu compte de ces commentaires?
Pas tellement. De faire référence à ces critiques, c’était davantage un jeu pour moi. Je n’avais pas une envie de me venger! Le feedback que j’avais eu était assez positif. C’est sûr que j’aurais préféré qu’on en vende 100 000 exemplaires, mais dans les circonstances (un premier roman d’un parfait inconnu), c’était pas si mal.

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Charlotte ne sourit pas
En librairie aux Éditions Leméac

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