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Guillaume Morissette : Portrait authentique

Photo: Josie Desmarais / Métro

Longtemps, Guillaume Morissette a travaillé dans les jeux vidéo. Puis, un peu las, il a quitté ce monde afin de se consacrer à l’écriture. Son premier roman, paru en anglais il y a deux ans sous le titre de New Tab, et désormais en français sous celui de Nouvel onglet, met en scène un jeune homme qui, tiens, tiens, travaille dans les jeux vidéo et qui, un peu las, rêve de quitter ce monde pour se consacrer à l’écriture.

Dans le Mile End, en plein cœur de cet hiver où «chaque jour ressemble vaguement à un mercredi», Thomas tente de composer avec un boulot qui l’ennuie, une vie sexuelle plutôt dormante et des cheveux qui n’ont jamais l’air assez bien dépeignés à son goût.

«Constamment branché sur son ordinateur, constamment en train de produire du contenu, constamment en train d’aller nulle part», il obsède sur l’âge des gens et se met à mentir sur le sien, d’abord par réflexe, puis par habitude. 26 ans, quand on vient d’en avoir 27, bah, ce n’est pas si grave…

Ses colocs anglophones, avec qui il réside au 4562, Saint-Dominique, organisent des projections de films dans la cour, ont une conception assez relaxe de l’existence, partagent un amour profond pour les bières qu’ils calent, sans réellement pouvoir se les offrir, et peinent à payer leur facture d’électricité.

Thomas, lui, peine à établir des contacts avec les gens. Ou, comme il les appelle, «ces impénétrables forteresses émotionnelles en trois dimensions». Mais il peut compter sur une amie de party qui «baise avec des cons pour justifier son mépris des hommes» et sur cette fille qui lui plaît et qu’il ne cesse de croiser tout le temps, furtivement. Connexion.

Avec un regard acéré, qui transforme les moments les plus déprimants en scènes à la fois drôles et tendres, Guillaume Morissette nous plonge dans un an de sa vie… eh, pardon, de la vie de Thomas. Un type discret, aux pensées intérieures caustiques qui roulent à cent milles à l’heure, pendant qu’il planche, sans trop d’intérêt, sur un jeu destiné aux téléphones intelligents, intitulé Scrabble, nouvelle génération.

Pourtant, s’il y a une chose que Morissette, auteur montréalais trentenaire né à Jonquière, ne voulait pas faire avec son premier roman, c’est bien ça : un portrait de génération. Nouvelle ou vieille. Non. Tout sauf ça.

Nouvel onglet (New Tab) est inspiré par une période de votre vie, se situant dans les années 2010-2011. Comment voyez-vous cette époque désormais? Vos souvenirs vous reviennent-ils par le prisme de la fiction?
Ah, en effet, le danger, quand on prend du matériel biographique et qu’on le transforme en matériel semi-biographique, c’est qu’avec le temps, on oublie ce qui est réellement arrivé et ce qui est arrivé dans le roman. Je peeeense que j’arrive encore à faire la distinction. (Rires) Dans le livre, tout se passe sur un an, mais en réalité, c’était un an et demi. J’ai compressé certains éléments. Je ne voulais pas écrire un mémoire. Ce que je voulais, c’était tout simplement écrire quelque chose que moi-même j’aurais le goût de lire.

Le rapport à l’échec de vos personnages est sans complexe. Ils ne sont pas carriéristes, occupent des petits boulots en attendant, ont des relations pas trop sérieuses. Thomas admire la capacité d’un de ses colocs à «rire de ses échecs d’une manière détachée, comme s’il était en train de dire du mal d’une personne absente». Une chose que vous avez observée autour de vous?
Ce personnage de coloc, il est inspiré par un gars qui existe vraiment. C’est le champion de l’échec! Il avait l’habitude de prendre certains raccourcis ici et là dans la vie. Autrefois, j’avais beaucoup de complexes, je sentais une pression, je m’en mettais beaucoup aussi, et rencontrer quelqu’un comme ça, avec une approche différente face au quotidien, au fait de gérer ses finances et autres aventures, ç’a été une source d’inspiration. C’était comme un professeur, d’une certaine façon!

Votre narrateur remarque : «Je me sens toujours mal à l’aise quand les gens s’intéressent à moi. Je ne m’intéresse pas à moi.» Avez-vous, à un moment, craint que les lecteurs ne s’intéressent pas à ce gars auquel les gens s’intéressent, mais qui ne s’intéresse pas à lui-même? Ou vous pensiez que c’était précisément ce désintérêt qu’il nourrit envers lui-même qui le rendait intéressant?
Hmm, difficile à dire. Tout ce que je voulais faire, en fait, c’était utiliser du matériel personnel, écrire sans gêne, livrer des parties assez intimes de moi, sans me soucier des conséquences. Je ne voulais pas me mettre un filtre ou me demander [prenant une voix dramatique] qu’est-ce que les gens vont penser? L’important, pour moi, c’était d’offrir un portrait nuancé, avec des hauts, des bas. Clairement, on ne parle pas d’un héros de film d’action!

«Je voulais jouer avec la forme comme avec un yoyo.»

Aviez-vous des demandes spéciales pour la traduction en français de votre livre, signée Daniel Grenier? En tant que francophone bilingue avez-vous pensé vous en occuper vous-même?
J’avais peur d’être tenté de le détruire si je le traduisais moi-même! Ç’aurait vraiment été tentant de faire : eeeeh, je vais juste changer cette phrase-là et personne ne va le savoir. Daniel, je lui faisais confiance. Il comprenait ce que j’essayais de faire. L’objectif, c’était de naturaliser le texte, de faire en sorte que ça sonne comme un roman qui aurait pu être écrit en français. Je me souviens, dans sa première épreuve, il avait traduit la phrase «My phone fucked me over» par «Mon téléphone m’a chié dans les mains.» J’ai fait : c’est exactement ça!

Donc, pas de «mon portable m’a baisé, putain»?
Non! (Rires) Je voulais vraiment qu’il y ait un aspect québécois. C’est Montréal, après tout!

Le qualificatif «roman générationnel» rebute bon nombre d’écrivains. Est-ce un terme que vous aviez peur de vous faire coller en rédigeant cette histoire?
Oui! On m’a parfois demandé : «Qu’est-ce que tu penses de ta génération?» et «Quelles sont les valeurs qui lui sont propres?» Tout ce que je peux dire, c’est ce qui est vrai POUR MOI. Je ne veux vraiment pas être un porte-parole! Pas du tout. Tout ce que j’essaye de faire, c’est un portrait du Montréal qui m’entoure. Un portrait authentique.

guillaume-morissette

Nouvel onglet
En librairie
Aux Éditions Boréal

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