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An Eye for An Eye: Remonter aux sources de la haine

Photo: Filmoption international

Un homme tente d’en tuer un autre. Ce dernier survit aux balles. Et pardonne à son assaillant. Avec An Eye for An Eye, le documentariste Ilan Ziv raconte une histoire vraie de violence, d’absolution, de rédemption. «Et de tout ce qui a mal été après le 11 Septembre.»

Enfance brisée, abus répétés, parcours teinté de criminalité, d’incarcérations à répétition. Né à Dallas dans une famille éclatée, Mark Stroman a toujours mené une vie remplie de colère. D’une rage qu’il peinait à contenir, et qu’il déversait sur ses semblables à grands coups de coups de poing, son corps ostensiblement recouvert de tatouages néonazis. «C’était une bombe à retardement», note le réalisateur Ilan Ziv.

Dans les jours qui ont suivi les attentats contre le World Trade Center, et dans le climat tendu qui régnait alors, amplifié par les médias et les déclarations teintées de vengeance de Bush, cette bombe à retardement a sauté. La rage s’est démultipliée, et Mark Stroman s’est donné pour mission de «faire du mal à ceux qui avaient fait mal à ses compatriotes». Formule traduite dans son esprit perturbé par l’injonction : «Faire mal à des Arabes.» Aveuglé par sa haine et ses idées de suprémaciste blanc, il a tiré sur trois Américains d’origine étrangère qu’il croyait venir du Moyen-Orient.

Ainsi, le 15 septembre 2001, il est entré dans un dépanneur et a assassiné de sang-froid un immigrant pakistanais. Le 21 septembre, il a fait irruption dans une station-service et tiré sur un jeune homme originaire du Bangladesh. Le 4 octobre, il a pris, dans un dépanneur également, la vie d’un homme d’origine indienne.

Pour ces crimes, Mark Stroman a été condamné à mort.

La seconde de ses victimes, Rhais Bhuiyan, a survécu. Mais Rhais, qui a perdu un œil, n’a pas cherché à se venger de son assaillant. Au contraire. Souhaitant montrer que l’islam est une religion de paix, il a milité pour que l’homme qui avait tenté de l’assassiner ne soit pas exécuté.

Pendant de nombreuses années, le réalisateur israélien Ilan Ziv a documenté ces événements. Passant – à son plus grand étonnement – de journaliste à… ami du tueur.

An Eye for An Eye, le film qu’Ilan Ziv a tiré de ses recherches, de ses rencontres et de ses entretiens (avec le condamné ainsi qu’avec Rhais et les autres personnes affectées par ces crimes), est d’ailleurs présenté comme étant «l’histoire d’une amitié».

Mais c’est aussi l’histoire de bien d’autres choses. «C’est un réquisitoire contre le racisme, note le réalisateur. Un plaidoyer en faveur de la réconciliation. Un manifeste pour l’éducation.»

Car, en attendant le jour de son exécution, Stroman a eu une prise de conscience, a découvert les livres, l’Histoire. Ilan Ziv lui a parlé de l’Holocauste, des atrocités auxquelles mène la haine. Le condamné s’est mis à écrire, à s’éduquer, à lancer des messages d’acceptation, d’amour, d’ouverture.

Lorsqu’il y pense aujourd’hui, Ilan Ziv dit ne toujours pas comprendre le déclic qu’il a senti en rencontrant ce criminel. «Ses meurtres étaient tellement impersonnels, tellement racistes, tellement insensés. Il n’y avait rien qui puisse le racheter. Rien! En venant à sa rencontre, tout ce que je savais, c’était que j’allais me retrouver face à un homme qui était sorti “chasser des Arabes”. Face à un monstre.»

«Mais j’ai été complètement déstabilisé en prenant place devant lui dans le parloir, ajoute-t-il. C’était censé être un illettré raciste et brutal, et j’ai été mis face à un homme… extrêmement complexe.»

Extrêmement complexe comme le sont les notions de pardon et d’absence de haine abordées dans le documentaire. Ce pardon que Rhais, victime de Stroman, lui a accordé. Et cette absence totale de haine qu’affiche Alka Patel, veuve de Vadusev Patel, mort sous les balles du tueur.

Le réalisateur dit d’ailleurs que c’est en rencontrant la veuve de M. Patel qu’il a voulu faire ce film. Car, au départ, ce sont les victimes du condamné à mort qu’il a interrogées. «Entendre cette femme ravagée par le meurtre de son mari me dire qu’elle était incapable de haïr l’assassin qui avait détruit sa vie m’a complètement stupéfait, confie Ilan Ziv. J’ai voulu comprendre. Comprendre, d’un côté, cette rage qui avait poussé Mark à poser les gestes qu’il a posés. Et de l’autre, cette absence de haine chez ses victimes directes et collatérales.»

Au cours de cette quête, le cinéaste qui tourne des documentaires depuis plus de 30 ans dit avoir vécu une expérience qui lui échappe encore. «Pour être honnête, je ne comprends toujours pas pleinement ce qui est arrivé. Il y a eu une connexion, entre Mark et moi, que je ne peux pas expliquer. Je m’excuse de parler de façon presque mystique. Je ne crois pas au mysticisme, je suis très athée. Mais il y a quelque chose qui est arrivé que je ne peux décortiquer intellectuellement.»

Il peine aussi à saisir les émotions qu’il a ressenties ce jour de juillet 2011, alors qu’il a assisté à l’exécution de Mark Stroman. Ce jour où Rhais tentait encore, en s’appuyant sur un vide juridique, de sauver celui qui avait tenté de l’assassiner une semaine après le 11 Septembre.

«C’est une chose anormale de voir un État tuer quelqu’un de façon bureaucratique.»
– Ilan Ziv, cinéaste, au sujet de l’exécution de Mark Stroman, à laquelle il a assisté

Le réalisateur en est convaincu: si l’État du Texas avait gracié le criminel, ce dernier aurait pu être «un atout pour la prévention». «Si on y pense de façon rationnelle, il y avait plein de raisons pour ne pas l’exécuter, dit-il. Je ne parle pas simplement de questions morales, mais de questions pratiques. Mark aurait pu être un excellent éducateur. Oui, il aurait vécu en prison toute sa vie, mais par Skype, il aurait pu discuter avec des délinquants juvéniles. Il aurait pu les atteindre! Leur faire comprendre, les aider. Ils l’auraient davantage écouté que des gens “normaux”. Mais le système étant le système…»

Ce système, Ilan Ziv le remet en question dans ce film déroutant, qui ne pourrait mieux tomber en ces temps d’obscurantisme et de fermeture. Et dans lequel le réalisateur décortique «cette énigme qu’était Mark Stroman». A-t-il le sentiment de l’avoir résolue? «Non. Non. Non! C’était un homme très compliqué. Et puis, je n’ai jamais eu une relation normale avec lui. J’ai appris à le connaître à travers la vitre, dans le couloir de la mort. Ce n’est pas comme si on avait fait la tournée des bars ensemble. Certes, en découvrant les détails de son enfance, et de son éducation, je sais maintenant, un peu, d’où venait sa colère. Mais je ne pourrai jamais dire avec certitude pourquoi elle s’est exprimée ainsi.»

An Eye for An Eye (Œil pour œil en v.f.)
En salle

 

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