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Le sous-majordome: une fable ou quelque chose comme

Photo: Danny Palmerlee

Avec Les frères Sisters, épopée western nouveau genre comparée au cinéma de Tarantino et des frères Coen, Patrick deWitt a, entre moult prix, remporté celui, littéraire, du Gouverneur général, et celui des libraires. Après ce fou succès, l’écrivain d’origine vancouvéroise revient avec Le sous-majordome. Surprise.

Une fable dans laquelle un jeune homme ordinaire quitte son village, arrive dans une contrée vaguement en guerre, se fait engager à titre de sous-majordome dans un château, rencontre une pléthore d’étranges personnages et tombe amoureux. Ça semble presque trop classique pour être signé Patrick deWitt. Mais c’est sans compter l’imaginaire loufoque de l’auteur canadien de 41 ans, aujourd’hui basé à Portland: des dialogues faits de répétitions presque insensées, une scène orgiaque entre nobles déchus, un baron qui se nourrit de rongeurs, un conflit armé jamais expliqué, des brigands au grand cœur. Finalement, tout tombe sous le sens.

Le héros de votre histoire, Lucian (joliment surnommé Lucy), est tout sauf héroïque. Il est plutôt mollasson, personne ne l’aime dans son village et sa mère se fiche un peu de lui. Est-ce que ce sont ces aspects qui l’ont rendu attachant à vos yeux?
Je pense, oui. J’ai fini par accepter l’idée que ça ne m’intéresse pas de décrire des personnages qui n’ont aucun problème dans la vie ou qui sont nobles de nature. Je suis plutôt attiré par ceux qui ont du mal à trouver leur place dans le monde.

L’amour entre Lucian et Klara, la jeune fille qu’il rencontre au fil de ses aventures, est fort et intense. Mais vous ne décrivez pas, ou si peu, le côté physique de leur passion. Vous soulignez soudainement, et simplement: «Lucy passait maintenant ses nuits dans le lit de Klara.» C’était dans l’idée de garder l’esprit de fable, sa «pureté»?
C’est ça, le truc: je voulais évoquer les sentiments, plutôt que les actes, associés à l’amour. Et je trouvais davantage de bon goût, voire plus mignon, d’y faire référence sans tout montrer. Et puis, je dois dire que je trouve ça très ardu d’écrire des scènes de sexe. La scène d’orgie au château, par exemple, est sexuellement explicite, oui, mais mon intention, dans ce cas, était complètement différente. Écrire un passage où deux personnes font l’amour… je trouve ça compliqué. Moi-même, je n’aime pas lire des romans qui détaillent ces choses de façon graphique. C’est probablement une préférence personnelle qui se reflète dans mon travail. Et sûrement, aussi, un blocage d’auteur.

À mi-chemin, un personnage en train de lire un roman qui, visiblement, l’énerve, lance à Lucy: «Je trouve ça irritant quand une histoire ne fait pas ce qu’elle est censée faire!» Aviez-vous le sentiment de ne pas «faire faire à votre histoire ce qu’elle était censée faire»?
Je savais que plusieurs de mes lecteurs se sentiraient ainsi. Parce que le récit s’éloigne du chemin qui semblait être tracé au départ, qu’il sabote les attentes qu’on pourrait avoir. Quand de telles surprises m’arrivent à moi, durant la lecture d’un roman, même si je suis dérouté par le contenu, je les accueille avec bonheur. Mais je sais que plusieurs lecteurs trouvent davantage de réconfort dans la narration, disons, plus traditionnelle. Et quand on y déroge, ils sont fâchés, déçus. Donc, cette phrase était une façon, pour moi, de leur dire que je comprenais qu’ils se sentent irrités, de leur montrer de l’empathie… et de me moquer d’eux.

«Je ne pense pas qu’on choisit consciemment de tomber amoureux. C’est une chose qui arrive et c’est tout. Comme une maladie. Ou la météo.» –Patrick deWitt, sur le sujet central de son troisième roman

Vous décrivez de façon très détaillée plusieurs émotions que les personnages ressentent avant même qu’ils sachent, eux, ce qu’ils traversent précisément. Par exemple, Lucian réalise à un moment: «C’est ça, la stupéfaction.» Était-ce des instants de révélation pour vous aussi? Ou vous vous êtes dit: «Oh! Je viens d’encapsuler en quelques phrases ce qu’est la stupéfaction»?
Hmm… C’est difficile pour moi de me souvenir de ce que je ressentais en travaillant à une scène particulière. Elles ont tendance à toutes se fondre ensemble dans mon esprit. Reste que, lorsqu’on écrit (surtout un roman), on a toutes sortes de révélations. Et c’est ce qui rend le boulot excitant: soudain, on sent un lien profond et émotif avec le texte, alors que la seconde d’avant, il n’en était rien. Je suis souvent surpris par mon travail alors qu’il prend forme sous mes yeux. C’est ce qui rend l’écriture si excitante: son côté énigmatique.

Dans les dialogues, qui sont nombreux dans ce roman, vous insistez beaucoup sur le rythme, les paraphrases, l’effet comique. Est-ce qu’il vous arrive de vous faire rigoler vous-même?
Hmm… Je dirais que je suis davantage pris par un sentiment d’amusement que par l’hilarité. Cela dit, quand il a fallu que je lise certaines de ces scènes à voix haute, dans le cadre de conférences, j’ai réalisé que je retenais mes rires. Et même, à certains moments, j’ai été incapable de le faire! Je me suis rendu compte à quel point certaines de mes idées étaient absurdes et farfelues! Quelle chose horrible, pour un écrivain, que de lire son propre travail et d’éclater de rire! C’est une réaction complètement égomaniaque. Ça sonne si prétentieux!

Une guerre fait rage autour du château, mais il s’agit d’une trame très secondaire. Voire d’un détail. On ne sait pas qui se bat contre qui, ni pourquoi. Un personnage finit seulement par remarquer: «Ce sont juste des hommes qui aiment en tuer d’autres, j’imagine.» Est-ce la définition que vous donneriez de la guerre en général?
Je le suppose. Habituellement, je tente d’éviter de faire de grandes déclarations morales ou politiques, ou quelque déclaration que ce soit, en fait. J’aime quand les choses restent vagues. J’ai intentionnellement omis d’inclure un motif pour lequel des hommes étaient en guerre dans mon roman. C’est simplement une chose qu’ils souhaitaient faire. Si vous regardez l’ensemble de l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu une guerre quelque part. Ce qui me mène à penser que certains hommes doivent aimer ça. Blesser autrui. Conquérir. Prendre ce qui ne leur appartient pas.

art-patrick-dewitt-couverture

Le sous-majordome
Aux éditions Alto
En librairie

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