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BGL de fantaisie: Un jeu sérieux

Photo: Josie Desmarais

BGL de fantaisie, c’est un documentaire dédié au célèbre collectif d’art contemporain issu de la ville de Québec. Un trio fondé en 1996 et formé de Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière. Trois gars – qui forment plutôt une créature à trois têtes – qu’a suivis le réalisateur Benjamin Hogue lors de l’année la plus marquante de leur carrière, soit celle de leur 20e anniversaire. Dans le film issu de cette épopée, le cinéaste montréalais célèbre tout ce qui fait la spécificité de la bande de joyeux créateurs : leur côté «punk, irrévérencieux, dans la marge», leurs idées renouvelées et leur attitude relaxe jumelée à un travail acharné.

Tout a commencé par une nuit passée dans leur atelier, sur un matelas «de luxe», entouré d’objets et d’œuvres d’art, hypnotisé. C’est du moins la «version romancée» que raconte Benjamin Hogue pour remonter aux sources du coup de cœur qu’il a eu (pour le travail des trois gars de BGL) et du déclic qu’il a eu ensuite (pour décider d’en faire un film).

Meublé d’images d’archives («à environ 20 %», précise le cinéaste) et monté par René Roberge, ce docu plonge dans le quotidien créatif d’un trio «fasciné par le passage du temps», dont «l’envie de bricoler est plus forte que tout».

Évitant les «têtes parlantes», comme on dit, les confessions face caméra de spécialistes, le réalisateur insère des passages de reportages et d’entrevues radio, là avec Catherine Perrin, ici chez René Homier-Roy. Il capte le côté pas stressé des ludiques artistes, les montrant mangeant des hot-dogs sur un banc à Toronto ou bidouillant dans leur atelier. Puis, il pose quelques questions au détour, les sonde sur cette statuette représentant le dieu de la prospérité sur laquelle ils sont tombés dans un parc entre Toronto et Hamilton, où ils se promenaient en bobettes, pourquoi pas, et dont ils se sont amourachés au point de la subtiliser et de l’apporter avec eux. Elle leur a porté chance.

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Sébastien Giguère, Jasmin Bilodeau et Nicolas Laverdière

Mais le plus gros du long métrage est dédié à ces trois projets que Bilodeau, Giguère et Laverdière ont eu à créer et à livrer en l’espace de quelques mois. À savoir La vélocité de l’eau, pièce maîtresse placée devant le complexe aquatique des Jeux panaméricains de Toronto, La vélocité des lieux, une grande roue installée dans Saint-Michel au croisement des artères Henri-Bourassa et Pie-IX, et Canadissimo, présentée à la Biennale de Venise, dans le cadre de laquelle ils ont notamment créé Le dépanneur du coin, une œuvre reproduisant… un dépanneur du coin.

«Au début, je pensais faire un film dans leur intimité. Quelque chose de plus organique peut-être», se souvient Benjamin Hogue. Mais «ces gros monstres de projets», comme les qualifie le réalisateur, sont tombés. Et ils ont non seulement changé la trajectoire de son récit, mais aussi la façon habituelle de travailler de ses sujets. «Ils avaient beaucoup de boulot, ils étaient surchargés, ils avaient plein de tâches administratives sur les bras…»

…Vous sentiez qu’ils étaient un peu déstabilisés par tous ces projets. Mais pour un cinéaste, c’est plus intéressant quand cela arrive que lorsque les «personnages» sont totalement à l’aise, dans leur zone de confort et en contrôle, non?
Oui, c’était intéressant, mais c’était un autre regard. Au début, je tournais beaucoup dans leur petit atelier. J’avais l’impression de me retrouver dans l’inconscient de BGL, dans leur tête, en regardant ces murs, leurs patentes un peu surréalistes, tout ça. Et là, les projets, pouf, ça explosait, on sentait la pression, on sentait le travail, ça faisait beaucoup de stock pour eux. Donc, c’était une force pour le film, mais en même temps, une difficulté.

Vous insérez notamment dans votre film une vidéo d’archives où on les voit dire «Ceci est de l’art, ceci n’en est pas» en pointant tantôt un mur de briques, tantôt un mur peint en rose. Est-ce une question que vous souhaitiez également soulever dans l’esprit du spectateur? Qu’est-ce qui fait l’art?
Un peu, quand même. Il y avait un petit clin d’œil parce que, par exemple, dans le cas du dépanneur un peu modifié avec des flous qu’ils amènent à Venise, de ces boîtes de conserve transportées par avion, dans du plastique super protégé, on peut se poser exactement la même question : est-ce de l’art ou est-ce que ce n’en est pas?
Mais, par ces images, qui datent du temps de leur université, j’ai surtout voulu donner un petit côté nostalgie. Faire heille, les gars étaient vraiment jeunes. Et voir que cette fidélité qui les liait, cette espèce de camaraderie sont restées les mêmes 20 ans plus tard.

Lorsqu’ils dévoilent leur œuvre à la Biennale, Sébastien Giguère prend le micro pour remercier ses collègues, en notant que «l’amitié, c’est difficile des fois». C’est la seule mention où on sent qu’il pourrait déjà y avoir eu un accroc entre eux. Était-ce un choix de ne pas axer les choses sur les soucis qui peuvent découler du fait de créer à trois depuis tant d’années?
En fait, moi, j’en voulais presque, des accrochages! (Rires) C’est niaiseux, mais dans un film, c’est toujours payant, les chicanes, les déchirures, quelqu’un qui hurle : «Je quitte le groupe!» Ce qui n’était pas le cas ici.
Je n’ai pas voulu aller dans l’intimité, dans leurs familles… Je n’ai pas joué le pathos. Et puis, c’est comme si le trio les protégeait. BGL, ce n’est pas Bilodeau, Giguère, Laverdière ensemble. C’est vraiment, entre guillemets, une espèce de créature. D’ailleurs, s’ils ont réussi à tenir 20 ans ensemble, ça doit bien être parce qu’il y a quelque chose de fort qui les unit.

«Le but, c’était de garder un équilibre, de présenter leur côté sans prétention, cabotin, délinquant, tout en montrant qu’il y a un sacré travail derrière.»

Pour décrire leur oeuvre viennoise, Canadissimo, ils emploient l’expression latine serio ludare, un jeu sérieux. Est-ce également ainsi que vous avez approché la création de ce film?
Hmm… Non. Au départ, c’était vraiment OK, je vais voir c’est quoi cet univers-là, tranquillement, de quoi ils sont faits, comment c’est dans l’intimité, et après, les projets. Mais je trouve que c’est un bon qualificatif, une bonne évaluation qu’ils font de leur propre travail, c’est vrai. Dans le jeu, dans le ludique, avec des éléments de réflexion, plus intellectuels.

Ce Dépanneur du coin, très québécois, qui fait partie de l’ensemble Canadissimo et qui est présenté dans votre documentaire, avec les bonbons à la caisse, les bouteilles de crème soda, l’horloge à l’effigie de bière au mur, qu’a-t-elle fait naître en vous?
Je trouvais drôle et touchant le clin d’œil qu’ils faisaient à leurs racines. Et quand on voit leur démarche artistique, on remarque qu’ils jouent quand même un peu l’idée de la québécitude en filigrane. On sent que leur œuvre est universelle, mais on se rattache à quelque chose de local. Et ils en parlent aussi dans le film : l’art populaire, les patenteux, on est quand même forts là-dedans au Québec. Ils étaient bien dans leur petite communauté et ils y reviennent. Ils vont dans des marchés aux puces. Récupérer des trucs du quotidien pour les mettre dans leurs œuvres. Ils veulent que ces racines s’exposent.

BGL de fantaisie
Première mondiale aux RVCQ vendredi à 20h au Quartier latin
Le film sortira ensuite en salle en mai 2017.

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