Soutenez

Marc Labrèche s’interroge sur le pinacle créatif

Photo: Loïc Thebaud / Collaboration Spéciale

Est-il possible que tout en gagnant en expérience un artiste perde la fraîcheur et la pertinence de ses débuts? Avec Le cri du rhinocéros, Marc Labrèche compte s’interroger sur l’influence qu’a le temps sur ce drôle d’animal qu’est le processus créatif.

Il y a deux ans, Marc Labrèche parcourait l’Europe avec Les aiguilles et l’opium, de Robert Lepage. La tournée marquait le 25e anniversaire de la création initiale. Elle marquait aussi la toute première fois où le metteur en scène de Québec revisitait une de ses œuvres. Elle a, finalement, marqué l’apparition d’une question venue de l’extérieur d’abord; insinuée dans l’esprit de l’acteur ensuite. «Pourquoi reprendre cette pièce?» Sertie du sous-entendu qui flottait : «Peut-être parce que vous n’avez plus rien de neuf à dire…?»

À cela est venue s’ajouter la vision qu’a eue Marc Labrèche de cette affiche de Peter Gabriel, au hasard d’un voyage en métro, qui annonçait sa nouvelle tournée. Enfin, «nouvelle». Pas tant. «J’étais intrigué et heureux et excité parce que j’adore l’homme, tout comme l’artiste. J’ai toujours trouvé qu’il était incroyablement créatif. Puis, j’ai vu qu’il allait présenter l’album solo qu’il a fait paraître en 1986, So. Avec les mêmes musiciens qu’à l’époque.»

So, après la surprise est venue la perplexité : «Je ne jugeais pas, assure-t-il. Mais je me suis quand même demandé pourquoi quelqu’un de si inventif voulait jouer du vieux matériel. Serait-ce parce que, dans la vie de tout créateur, vient ce moment où on n’a plus rien à vivre, plus rien à dire, plus rien à essayer, artistiquement parlant?»

Il y a donc un peu de Peter Gabriel dans Le cri du rhinocéros. Un documentaire réalisé par Marc Labrèche, donc, et produit par Fair-Play, qui sera tourné dans les saisons à venir. Pas que le musicien britannique évoque un rhino dans son esprit. Plutôt que l’image, teintée «d’une part de mystère» (et d’humour) suggère «un vieil animal qu’on respecte parce qu’il a traversé les années et qu’il est plus âgé que nous». (C’est bon, ça colle avec Pete G.)

«Le rhinocéros a déjà été parmi les rois du monde, illustre-t-il. Maintenant, il périclite. Est-ce qu’il va muter? Reprendre sa place? Est-ce qu’il sert encore, finalement, à l’univers biologique de la planète? Et son cri, son barrissement, qu’on entend très rarement, pourquoi le laisse-t-il entendre? Et quand il le fait, qu’est-ce qu’il a encore à crier?»

«Est-ce possible d’être assez lucide pour décider : heille. J’ai fini. C’est tout. Je ne m’exprimerai plus. Je ne veux pas que les gens pensent “il ressasse encore les mêmes vieux trucs”. Peut-être que tout artiste, aussi talentueux soit-il, arrive à un point où il a dit tout ce qu’il avait à dire?»

C’est dans le cadre du MIPDoc, soit la conférence internationale du documentaire, à Cannes, que l’acteur-animateur-réalisateur a présenté son projet. Dans cet environnement principalement fréquenté par des producteurs et des acheteurs de contenu, il a avoué en rigolant se sentir «imposteur! Imposteur à l’os!» Outre, à la blague, y être pour «se délecter du buffet», il a précisé tenter d’y rencontrer des gens qui pourraient collaborer au projet. «Je vais aussi en profiter pour aller en vacances à l’intérieur des terres.»

Parlant de vacances, Marc Labrèche a présenté une pré-bande-annonce qui sert de «carte postale», ou plutôt de «carte d’invitation, de visite», pour Le cri du rhinocéros. On a ainsi pu le voir, sur grand écran, face à un Xavier Dolan lui confiant que «les premières chansons, les premiers poèmes, les premiers films que crée un artiste peuvent être remplis d’erreurs. Mais ils possèdent un charisme unique. Je ne dirais jamais que mon premier film est le meilleur. Mais peut-être est-il… le plus honnête?»

Enchaînant dans la veine de l’honnêteté, on a aussi vu Denys Arcand lancer sans ambages : «Je sais que je suis un dinosaure! Et qu’il n’y a rien de plus ridicule qu’un vieil homme qui essaye d’être jeune, qui essaye d’être un hipster. Qui essaie d’être dans le vent. C’est pas possible. C’est fini!»

Pour convaincre d’éventuels artistes étrangers de collaborer au projet, ladite pré-bande-annonce était tournée en anglais. Il était d’ailleurs drôle de voir Labrèche discuter «oh yes, oh yes, you know», avec son ami réalisateur, qui l’avait dirigé dans L’âge des ténèbres en 2007. «C’était à la limite un peu absurde. Ça nous a rappelé l’époque où on faisait des junkets internationaux pour L’âge! Ça se passait en anglais, et on se retrouvait dans la même situation schizophrénique.»

Reste que s’il a procédé ainsi, c’est qu’il aimerait que son docu dépasse les frontières du Québec. «D’un pays à un autre, cette question, d’arrêter son métier ou non, peut varier. Ça en dit beaucoup sur le rapport d’une culture à l’ambition, à la réussite, à l’échec. Qu’est-ce que cela signifie? Où est-ce qu’on se place par rapport à tout ça?»

Porté par une grande curiosité, il aimerait, lui, que son film soit placé dans le style «une-discussion-entre-deux-personnes-autour-d’un-café-ou-d’un-thé-et-c’est-tout». «Je ne veux pas que ce soit lourd ou existentialiste narcissique.»

Sent-il toutefois que son sujet pourrait heurter certains artistes? Qui ne seraient pas forcément prêts à dire : «Je suis usé, épuisé, stop.» «Effectivement, ça peut être délicat d’avouer “je ne suis pas dans mon pinacle créatif”! Mais il y en a qui le font. J’aimerais ça en rencontrer! C’est un acte courageux, d’arrêter. Ou inconscient. Téméraire en tout cas. En même temps, c’est élégant.»

D’ores et déjà achetée par Radio-Canada, l’œuvre est encore «aux balbutiements de la vraie préproduction». Marc Labrèche aimerait éventuellement «faire une version pour les salles ou décliner le tout en série. Un épisode sur la musique, un sur le cinéma, un sur la littérature, un sur les arts visuels…»

Le tout a-t-il un deadline? «Il faudrait que ce soit fait d’ici un an. Au printemps, ce serait bien. À cette date-ci.» Noté.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.