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The Circle: L’existence sous surveillance

Photo: Entract films

«Seriez-vous une meilleure version de vous-même si vous saviez que vous êtes surveillé 24 heures sur 24?» The Circle, de James Ponsoldt, pose la question.

Une jeune fille idéaliste roule vers son nouveau boulot de rêve, insouciante, les cheveux dans le vent. À plein volume, la radio crache le classique glam de T.Rex, Metal Guru.

Au bout de sa route, c’est un autre guru qui l’attend. Son patron, idole de tous. Un type en jean relaxe, à l’air avenant, au charme discret, qui aime le surf (comme il est cool) et le café. À la moindre de ses blagues, tous ses employés rient, à la moindre de ses anecdotes, tous ses employés font «ooooooh», à la moindre de ses directives, tous ses employés disent «oui, oui!». Avec volonté et zèle, et excès de ces deux éléments.

Tous ses employés sauf peut-être l’insouciante jeune fille susmentionnée. Trop de choses la mettent mal à l’aise dans ce boulot qui ne lui semble plus tant «de rêve». Tous ces slogans naïfs scandés en groupe («sharing is caring!»), tous ces gens branchés beaucoup trop désireux de tout faire ensemble, ensemble, ensemble. Et surtout cette idée de rendre les citoyens et les hommes au pouvoir «transparents», c’est à dire perpétuellement filmés, et donc perpétuellement redevables au monde entier de chacune de leurs actions.

Avec The Circle, film critique, mais pas technophobe, le réalisateur américain James Ponsoldt sonde les avancées technologiques. Ça? Super. Ça? Génial. Ça, beaucoup moins drôle. Ça, cataclysmique.

«L’idée d’être constamment observé, pour moi, évoque des visions d’enfer, note le cinéaste trentenaire. Peut-être que, de façon superficielle, ça pousse certaines personnes à être plus polies. Mais je crois aussi que, lorsque nous n’avons pas encore pris notre café le matin, nous nous sentons pour la plupart grincheux, nous n’avons aucune envie de parler ou d’être sympas. Nous voulons simplement être désagréables sans que personne ne nous le remette sous le nez. Et c’est notre droit!»

Après son café matinal, le charmant réalisateur et coscénariste nous a parlé de son film. On l’a enregistré.

Comme le remarque votre héroïne, incarnée par Emma Watson : «Quand quelqu’un meurt dans un accident d’avion, on ne déserte pas les avions. On les rend plus sécuritaires.» En s’attaquant au sujet des dérives technologiques, il était capital, on imagine, de montrer que les côtés positifs sont nombreux; de ne pas dire «mettez votre cellulaire en mode avion pour l’éternité, allez vivre dans une grotte et communiquez avec vos amis par signaux de fumée».
En effet, nous ne voulions faire ni un film protechno ni anti. Ça fait tellement partie de nos vies, on ne va pas s’en débarrasser! Ni suggérer de le faire! Vous savez, ce garçon dans le film, l’ami de l’héroïne, qui a 25 ans, qui vit en forêt, qui fait des lustres en bois de cerf et qui est réfractaire au progrès? Eh bien, je ne pense pas que ce soit un mode de vie soutenable. J’ai préféré mettre de l’avant une fille qui, comme beaucoup de jeunes gens, aspire à rendre le monde meilleur. En utilisant la technologie plus sainement. De toute façon, essayer de tourner le dos à tout ça serait comme essayer de contenir un raz de marée, une gigantesque vague.

C’est de cette idée de vague que vous est venue celle de la passion du grand patron de la boîte incarné par Tom Hanks? D’une des seules activités qu’il fait lorsqu’il ne bosse pas; le surf?
Peut-être bien que oui! (Rires) Dans une autre vie, ce mec aurait été un militant, un hippie, un surfeur, mais étant donné l’époque, il est plutôt un type qui croit à la démocratisation du monde par le biais de la récolte et de la diffusion de données personnelles. C’est aussi quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent et qui veut rendre sa compagnie incroyablement prospère. Choses qui assombrissent ses idéaux utopiques.

Lorsqu’un de vos personnages enfile une caméra qui lui permet de diffuser sa vie 24 heures sur 24 pour le monde entier, vous faites apparaître à l’écran des dizaines et des dizaines de commentaires d’usagers qui suivent ses moindres faits et gestes : «Je veux être sa copine!» «J’ai mangé du fromage aujourd’hui.» «Tiens, j’ai la même table.» Y avez-vous inséré des petites blagues et des messages cachés?
Il y a certaines choses qui faisaient déjà partie du livre de Dave [Eggers, dont le film est adapté], mais oui! (Rires) Ces commentaires, c’est comme un chœur grec qui commente tout. Je voulais aussi que ce soit représentatif de ce qu’on trouve sur l’internet, dans la section des commentaires : une combinaison démente d’usagers qui sont réellement drôles, d’autres qui essaient de l’être, mais qui échouent, d’autres encore qui ne font que parler des aspects bassement matériels de leur vie. Et puis, visuellement, l’idée, c’était de suggérer un trop-plein. Faire en sorte que ce soit impossible pour l’héroïne, ou le public, d’absorber une telle quantité de mots sans que cela court-circuite leur cerveau! Enfin, nous avons tenté de présenter le tout de façon esthétique, comme du pop art.

Il y a un côté qui évoque les pop-up vidéos des années 1990.
Oh oui! (Rires) J’adorais ça!

Lorsque les choses commencent à déraper, vous faites apparaître un de ces commentaires, bien moins drôle, qui dit : «Suis-je le seul à me sentir comme dans un prologue de film catastrophe?» Lorsque vous voyez vers quoi se dirige le monde, vous dites-vous la même chose ou êtes-vous plus optimiste?  
Oh! Il y a beaucoup de matins où je me sens comme dans un prologue de film catastrophe. Je crois que je suis généralement une personne idéaliste, mais je peux dire sans aucune hésitation qu’au lendemain de l’élection présidentielle américaine, quand je suis allé réveiller mes enfants – une fille qui a 18 mois, un fils qui vient d’avoir 3 ans – j’avais le cœur brisé. Pour eux, pour ma femme, pour mon pays. J’étais aussi terrifié. Et en colère.

Dans les scènes où le grand patron s’adresse à l’amphithéâtre de ses employés, on se sent presque comme dans un aréna de gladiateurs, où la foule décide, d’un seul souffle, du destin de quelqu’un; du monde. Souhaitiez-vous, par la mise en scène, montrer comment un effet d’entraînement peut rapidement transformer des gens gentils en prédateurs assoiffés de vengeance?
La ligne est tellement mince, non? Une des choses merveilleuses de plusieurs de ces technologies, c’est qu’elles donnent une voix à ceux qui n’en ont pas. D’un autre côté, elles possèdent un côté populiste, et oui, «gladiatorial», qui pousse plusieurs usagers à devenir mesquins, nonchalamment cruels. Et je crois que ça doit venir avec une responsabilité morale.

Le film est dédié «à Bill», soit Bill Paxton, décédé durant la post-production. Le diriger dans un si beau dernier rôle soit celui du père malade de votre héroïne, c’était…
… un réel honneur. Bill était généreux, éternellement curieux, un vrai artiste. Il faisait ressortir le meilleur des acteurs avec qui il jouait. Il était un réalisateur aussi, et il pensait comme tel. Il pensait à la scène, et aux autres, avant de penser à lui-même. Il était l’exemple de l’humanité et de l’honnêteté. Il faisait preuve d’une décence à laquelle on devrait tous aspirer.

The Circle
En salle aujourd’hui

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