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Patients: rigoler dans l’adversité avec Grand Corps Malade

Photo: Chantal Lévesque/Métro

Un an dans un centre de rééducation, c’est long. Il faut être patient. Ben l’a appris à ses dépens et avec un formidable sens de l’humour teinté d’autodérision. À la suite d’un grave accident qui l’a rendu tétraplégique incomplet, il doit réapprendre à manger, s’habiller, bouger, à vivre quoi. L’histoire de Ben, c’est celle de Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, dans l’adaptation cinématographique de son livre autobiographique Patients. Métro s’est entretenu avec le célèbre slameur français, son acolyte des 12 dernières années, le réalisateur Mehdi Idir, ainsi qu’avec l’acteur Pablo Pauly, qui incarne le protagoniste.

La complicité des membres du trio était palpable quand Métro les a rencontrés dans une salle du Sofitel de Montréal, où ils étaient en pleine campagne québécoise de promotion. En les voyant se taquiner sporadiquement au cours de l’entrevue, on s’est dit que le tournage du film avait été aussi marrant que son visionnement.

Traiter d’un sujet difficile, d’un événement dramatique en usant d’une touche d’humour, c’est la meilleure façon pour faire passer un message?
Fabien Marsaud: Oui! On avait envie de pouvoir faire rire, quoi qu’il arrive. En plus, [dans les centres de rééducation,] cet humour existe, ce n’est pas nous qui l’avons inventé. C’est un film où tu vas à la fois être ému par des scènes où il y a des choses un peu dures, et où tu vas de temps en temps pouvoir éclater de rire. Les acteurs ont d’abord pu constater que cet humour existe en lisant le scénario, où il y a plusieurs jokes [NDLR: oui, il a utilisé le mot joke], puis en allant dans le centre de rééducation où on a tourné et où il y avait de vrais patients. Ils ont compris que cet humour existait dans les lieux où la vie est un peu dure et compliquée. Il y a ce besoin d’autodérision. C’est assez salvateur.

Une scène hilarante du film montre Ben et d’autres patients en train de faire un combat de «tétraboxe» (terme composé à partir des mots «boxe» et «tétraplégie», qui désigne un combat où les pugilistes sont des personnes handicapées). Ça ne s’invente pas!
F. M.: [Il sourit.] Toutes les scènes du film ont existé. C’est pas moi qui l’ai inventé. On a fait pas mal de combats de tétraboxe [en centre de réadaptation].

De nombreux figurants du film sont de vraies personnes handicapées?
F. M.:
Tous les figurants ou les silhouettes étaient des personnes handicapées. Samir, le personnage qui a des problèmes de mémoire, est un ancien trauma crânien. C’était des patients du centre. Pour eux, c’était une super expérience, et pour nous, c’était important [qu’ils soient là]. Du coup, les échanges avec eux, notamment avec les acteurs qui allaient s’en inspirer et leur poser des questions, ont donné un petit supplément d’âme au film.

Vous (Mehdi et Fabien) avez travaillé ensemble maintes fois par le passé, surtout pour des vidéoclips. Comment s’est passée la coréalisation?
M. I.:
Déjà, on est très souvent d’accord. C’est un gros avantage, on s’entend très très bien. Il n’y a pas d’histoire d’égo entre nous. Ce qu’on a fait pour pouvoir parler d’une même voix lors du tournage auprès de nos acteurs et de notre équipe c’est qu’on s’est dit que personne n’aurait de rôle spécifique. Quand on a eu la version finale du scénario, on l’a découpé scène par scène, on s’est posés toutes les questions possibles et inimaginables: ce que doivent dire les acteurs, pourquoi, comment, ce qu’ils portent, quel mouvement de caméra faire, quelle musique on allait utiliser. On a fait une longue mise à jour tous les deux pour connecter nos cerveaux.

Le titre du long métrage fait référence à une personne qui fait l’objet d’un traitement, mais c’est aussi un adjectif, car la rééducation, ça peut être très long. Êtes-vous patients?
F. M.:
Je l’étais déjà, mais ça je le suis encore plus. On ne change pas vraiment de tempérament, même quand il nous arrive quelque chose de grave qui bouleverse complètement notre vie. Ça peut renforcer des natures, mais je ne pense pas que ça les change complètement. J’étais quand même assez posé, patient et calme.
Mehdi Idir: Moi aussi, je suis assez cool dans l’ensemble. Dans le travail, je suis très patient, je ne suis pas trop pressé dans la vie.
Pablo Pauly: Je suis obligé de l’être, je suis comédien. J’ai réalisé qu’on ne va jamais aussi vite que quand on prend son temps. Ça se passe mieux depuis que je suis plus patient. Les bonnes choses prennent du temps.

Dans une scène, on dit: «Ton handicap, ça va te coller à la peau toute ta vie. Ça sera ta première identité où que t’ailles.» C’est ce que vous ressentez?
F. M.:
Moi, pas trop, parce que j’ai eu la chance, à l’instar de Ben dans le film, de me remettre debout très tôt, dès que je suis sorti du centre. J’ai un handicap, j’ai de grosses séquelles, je marche avec une béquille, mais le fait d’être debout, c’est un autre monde. Les gens ne te voient pas pareil. La vraie frontière, la vraie barrière, c’est le fauteuil roulant. Le regard qui peut être gênant, qui peut être pesant, c’est surtout envers les personnes en fauteuil roulant. Ce regard-là, je l’ai très peu subi. Si on ne me regarde pas trop marcher, on voit juste que j’ai une béquille, on se dit tient, voilà, il a pu avoir un accident au foot ou au ski, quoi. C’est pas pareil.

Vendredi dernier, vous êtes allés rencontrer des gens dans un institut de réadaptation. C’est important pour vous?
F. M.:
Oui. On a le goût de présenter le film aux principaux concernés. On est allés dans des cinémas situés tout près de grands centres de rééducation. C’est important, c’est un film sur eux, pour eux. On sait que ce n’est pas évident pour eux d’aller au cinéma tout le temps. Là, c’est le film qui se déplace.

Les gens, en général, ne savent pas comment agir quand ils rencontrent une personne handicapée. Dans le film, les parents de Ben sont mal à l’aise avec lui. Quels conseils donneriez-vous, autant à des inconnus qu’aux proches?
F. M.:
D’être le plus naturel possible; mais le naturel, ça ne se commande pas. Malheureusement, on peut leur dire tout ce qu’on veut, mais ça ne changera pas le fait qu’ils sont mal à l’aise. Le seul moyen de lutter contre ça, c’est de faire en sorte qu’on côtoie plus de personnes handicapées. On vit dans un monde un peu cloisonné, où il y a les valides d’un côté et les handicapés entre eux. Dans les rues, il y a des trottoirs partout, il n’y a pas de pente. Dans les transports en commun, dans les lieux de spectacle, rien n’est adapté pour eux, donc forcément, on ne les côtoie pas trop. L’idéal serait d’intégrer un maximum d’enfants handicapés dans le système scolaire. C’est dès le plus jeune âge que tout se décide. Si tu grandis avec un paraplégique, une aveugle, etc., ça va te paraître naturel et plus tard, quand t’en croiseras, tu sauras comment les aborder parce que ce sera des gens avec qui t’as grandi.

Processus d’acteur: entrevue avec Pablo Pauly

Il y a une scène dans le film où vous mettez votre main sur celle de Samia et c’est un peu ardu, et super crédible. Comment ça a été d’apprendre à bouger comme une personne handicapée?
J’observe beaucoup avant d’essayer. Je prenais beaucoup de notes, j’ai beaucoup discuté avec Mehdi et Fabien. J’essayais une position qui a été validée. Tu piques un peu à droite et à gauche à différents tétraplégiques. Ce qui m’a sauté aux yeux c’était leurs mains qui étaient souvent refermées, car la pince n’existe plus. La position des jambes sur le fauteuil a été une de mes premières observations aussi. Je l’ai vite adoptée. On n’y pense plus trop ensuite. Fabien m’a bien montré comment il fallait faire et, petit à petit, ça entre en nous et on le perd plus.

De jouer ce genre de rôle, ça fait réfléchir?
Je connaissais rien au monde du handicap. Absolument rien. Ça m’a beaucoup fait réfléchir. Je crois qu’aujourd’hui, je me plains un petit peu moins (Mehdi Idir fait bof de la main). Si, si, un petit peu moins quand même. (Rires de Pablo) Mon regard n’a pas changé car il n’y a jamais eu de négativité dans mon jugement. Il est plus élaboré [mon jugement], car je m’y connais un petit peu plus sur le sujet. Je suis plus renseigné qu’avant.

En salle dès vendredi

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