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Le plongeur: Au cœur sale de la nuit

Photo: Josie Desmarais / Métro

Depuis la parution de son premier roman, en octobre dernier, Stéphane Larue vit «étourdissement après étourdissement». Le plus récent en date : le Prix des libraires, reçu lundi pour Le plongeur.

«Je pensais que j’avais écrit un livre sur la vaisselle sale et sur les machines à sous», dit Stéphane Larue dans un sourire. Il a plutôt écrit un roman sur le travail, sur l’argent, sur l’amitié, sur le mensonge, sur la restauration, sur le métal, sur la nuit.

La nuit de Montréal. D’un Montréal d’avant, d’un Mont­réal d’il y a 15 ans. Un Mont­réal où il y avait des cabines téléphoniques, des cendriers dans la section fumeur des restos et un Sam the Record Man sur Sainte-Catherine. Avec ses montagnes de disques et son «rayon de rock alternatif, où iraient mourir les Better Than Ezra, Third Eye Blind et Marcy Playground». Un Montréal dont il s’ennuie parfois? «Ce n’est pas une question de s’en ennuyer ou pas. Je m’ennuie toujours de plein de choses! Mais c’est le Montréal que j’ai connu. Ça bouge et ça grouille et c’est ça.»

Dans Le plongeur aussi. Ça bouge et ça grouille et c’est ça dans les coulisses du restaurant qui lui sert de décor. Un décor où l’auteur, enfin son narrateur, aboutit. Il est timide, il est endetté, il est accro au jeu. Il aime le métal. Il aura bientôt 20 ans et il va occuper, pendant quelque temps, l’emploi du titre.

Dans sa plonge, caché par les montagnes d’assiettes, de casseroles et de verres qui s’empilent, il observe les disputes, les magouilles, la folie du service. Il voit sa solitude confrontée au chaos de la cuisine, aux rituelles sorties entre collègues. «Des cuisiniers, des serveurs, des gens qu’il ne pensait jamais rencontrer avant.» Des acteurs du milieu de la restauration «qui occupent la nuit» d’une façon que le commun des mortels ne connaît pas. Et en compagnie desquels «il voit sa personnalité se déployer, il apprend à trouver sa place».

Stéphane Larue dit «il», mais ne cache pas que son protagoniste, c’est un peu lui. Beaucoup lui, même. D’ailleurs, après 545 pages, il finit enfin par le nommer. «Stéphane.» Pourquoi? Parce que c’est le moment où il est acculé au pied du mur. Parce que le réalisme lui tient réellement à cœur. Et parce que… la solidarité.

«Ce livre est très autobiographique, mais très biographique aussi, note-t-il. Même si parfois c’est maquillé, je parle de gens qui ont existé.»

Particulièrement les deux cuisiniers Bob (connu aujourd’hui avec son titre de «chef») et Bébert, à qui l’œuvre est dédiée. «Ils m’ont tellement servi de matériel, ils m’ont tellement donné de stock, et je les ai tellement mis à nu que, moi aussi, il fallait que je me nomme.»

Sans oublier son «devoir d’exactitude, d’authenticité». Car en racontant cette période charnière de son existence, l’auteur né en 1983 à Longueuil donne la parole à «des gens qui n’en ont pas beaucoup».

Ce faisant, il décrit l’univers de la restauration, ses codes, ses traditions, son langage, ses non-dits. Le narrateur remarque au début que «l’endroit le plus chic où il est allé manger dans sa vie, c’est le St-Hubert». Mais, au fil des pages, il découvre le goût d’un jarret d’agneau, regarde le plat de carbonara qu’un chef lui tend, «comme on regarde son premier coucher de soleil».

Les contrastes marquent d’ailleurs le roman. Entre le fastfood et la bisque de homard et pétoncle frit. Entre la faim du plongeur, ses repas faits de «deux toasts au beurre de pinotte et d’un fond de Sunny Delight» et les festins des clients. Ceux qu’il lui arrive d’envier, assis là dans la salle, «à boire tranquille». Entre les adjectifs qu’utilise l’auteur aussi : «un débit rapide et mou en même temps», un chauffeur de taxi qui a «quelque chose de réconfortant et de cérémonieux en même temps».

«Je ne suis pas un grand styliste, remarque Stéphane. Je n’écris pas des grosses phrases, j’essaie juste d’être le plus exact possible. Et de raconter d’abord. Les images sont au service de la narration; ce n’est pas la narration qui est au service d’un style. Je suis plus près du storytelling

Dans ce storytelling, il insère des comparaisons avec le milieu médical. Mentionne un gérant qui «s’empare des ustensiles comme si c’était un défibrillateur et qu’il s’en allait réanimer sa mère», un cuisinier qui «laisse son poste plus propre qu’un bloc opératoire». «Je n’ai jamais travaillé dans un hôpital. Mais je voulais évoquer un côté effréné. Aussi absurde que ça puisse sonner, des fois, par le délire qu’impose le restaurant, le stress et la pression, faire un plat de pâtes, c’est aussi important qu’une opération à cœur ouvert. Mais c’est quand même juste un restaurant! On ne sauve personne.»

Cette réplique, on la retrouve d’ailleurs dans le livre : «C’est ben juste un restaurant.» «Ces mots m’ont été inspirés par un maître d’hôtel que j’ai côtoyé, se souvient l’écrivain. Il était super efficace. Mais dans la vie, c’était aussi un criminel. Il gagnait sa vie d’une autre manière, il avait vécu des situations 15 000 fois plus stressantes que ce qu’on peut vivre pendant un service. Cette phrase, c’était sa manière de ramener les gens au calme. De dire : on va passer au travers pareil.»

Et puisqu’il est question de passer au travers, l’auteur, détenteur d’une maîtrise en littérature comparée de l’UdeM, parle également de dépendance. Entre autres celle au jeu, qui consume le protagoniste. Il glisse un passage sur l’historique des vidéopokers, sur le moment où Loto-Québec en a pris le contrôle. Il décrit «ces machines déployées dans tous les bars de la province qui ressemblaient à la version jeu vidéo des machines à sous des parquets de casino».

«Il fallait faire apparaître l’objet de son addiction dans sa dimension concrète. Montrer à quoi ça ressemble, comment ça s’est ramassé dans les bars. Ce n’est pas un plaidoyer. Mais la machine à sous est un personnage à part entière. Il fallait lui donner des descriptions, l’inclure dans la structure.»

Ce qu’il inclut également? Des retours dans le temps, essentiels pour faire éclore le narrateur. «Pour lui créer un passé, l’habiller de souvenirs.» Et puis, la description grisante du show de Megadeth au Métropolis. «C’est sûr qu’il fallait mettre un concert! Il parle toujours de heavy métal. Il n’y a pas un seul métalleux qui n’est jamais allé dans un concert de sa vie! Il fallait que ce soit quelque chose qui tienne de la messe, de la célébration.»

Aujourd’hui, l’auteur, lui, célèbre son prix, et la traduction à venir du Plongeur en anglais, par Pablo Strauss. Comment il accueille tout cela? «Je suis pas mal étonné, surpris. C’est un autre étourdissement.»

Le plongeur
En librairie, aux éditions Le Quartanier

 

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