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Everybody Lies: Google, moteur de vérité

Photo: Emmanuelle Houle / Métro

Sur les réseaux sociaux, tout le monde semble vivre des vies extraordinaires. Faire l’amour tout le temps, n’écouter que des documentaires est-européens en noir et blanc sous-titrés, avoir épousé LA personne incroyable qui arbore des complets écoresponsables, prépare de savoureux soupers et est «absolument a-do-ra-ble!».

Tout le monde prétend aussi donner à plein de bonnes causes, s’en faire vraiment très fort pour son prochain (et pour la planète) et être d’une ouverture d’esprit sans limites. Mais dans la fenêtre du confessionnal qu’est le moteur de recherche Google, les gens racontent de tout autres histoires. Seth Stephens-Davidowitz les a recueillies.

«Je n’ai qu’un regret. J’aurais dû intituler ce livre Quelle est la taille de mon pénis

S’il a suivi le conseil de son éditeur et plutôt opté pour un plus acceptable et subtil Everybody Lies, Tout le monde ment, Seth Stephens-Davidowitz aborde néanmoins dans son essai la grande interrogation qu’il aurait aimé mettre de l’avant. «Que les hommes fassent appel à Google plutôt qu’à un ruban à mesurer pour obtenir une réponse à cette question représente, selon moi, la quintessence de notre ère numérique.»

Chroniqueur pour le New York Times, docteur en économie de l’université de Harvard, Seth Stephens-Davidowitz a autrefois été analyste de mégadonnées pour Google. C’est là qu’il a découvert le pouvoir immense que recèlent toutes ces infos qui proviennent des médias sociaux, des vidéos partagées en ligne… bref, de tout ce qu’internet peut savoir sur les utilisateurs. C’est là qu’il a vu que le moteur de recherche sert de «sérum de vérité». Que dans son «anonymat», les usagers livrent leurs craintes, laissent libre cours à leurs préjugés et confient leurs secrets, souvent les plus intimes. Voire inavouables.

Il a ainsi vu à quel point entre la vie sur Facebook et la vraie vie, il y a un canyon de différence. D’un côté «regardez tout va bien je m’éclate sous les palmiers». De l’autre, les inquiétudes, la solitude, le criant sentiment d’incompréhension.

Par exemple, illustre-t-il, aux États-Unis, les cinq qualificatifs que les femmes apposent sur les réseaux sociaux après la phrase «Mon mari est…», sont : «le meilleur», «mon meilleur ami», «incroyable», «le plus grand», «tellement mignon». Dans l’anonymat du moteur de recherche, le premier mot à être inscrit? «Mon mari est gai.» Les suivants? «Con», «extra», «irritant», «méchant».

«Il y a des choses que j’ai confiées à Google que je ne confierais jamais à un être humain. Même pas sur mon lit de mort.» -Seth Stephens-Davidowitz

Autre exemple : au Mexique, «ma femme est enceinte» est le plus souvent accompagné des mots «frases de amor para mi esposa embarazada». Soit «mots d’amour à l’adresse de mon épouse». Ooooh. Aux États-Unis?  «Ma femme est enceinte. Je fais quoi?»

Comme il le souligne, chaque fois qu’il parle de ses trouvailles, les gens l’accueillent d’un «Seth, c’est diablement déprimant». «Dans mon livre, note-t-il, j’ai essayé d’être drôle pour que les gens ne réalisent pas à quel point c’est horrifiant.»

Mais ça l’est. Souvent. Notamment quand il évalue la xénophobie cachée de ses compatriotes, démocrates comme républicains, «qui est loin de se limiter à ces États du Sud que, historiquement, nous avons perçus comme racistes». De tous ces internautes qui cherchent «des blagues dégradantes sur les Afro-Américains aussi souvent que des conseils pour contrer la migraine».

Et puis, quand il sonde ce qui suit le plus souvent la phrase «I want to have sex with», «je veux coucher avec»… En s’attaquant à ce sujet, il pensait d’abord tomber sur les mots «mon patron». Ou «la femme de mon meilleur ami». Peut-être «mon thérapeute». Limite «mon patient». Petit choc.

Il est plutôt tombé sur «ma mère». Suivi de façon tout aussi déroutante de «mon fils», «ma sœur», «mon cousin», «mon père».

S’est-il senti comme un prêtre recueillant de sombres pensées? «Surtout comme un docteur. Lui doit faire face à la mort et à la maladie. Moi, aux horreurs d’une société qui se prétend civilisée. J’ai vu tant de souffrance, d’insécurité, de regrets.»

Mais, rayon de soleil, pas que. Truc chouette qu’il a découvert : «Google nous donne de légitimes raisons de nous inquiéter moins.» «Les gens font rarement des recherches sur les performances sexuelles et le corps de leur partenaire, dit-il. Ils sont beaucoup plus inquiets de leur propre performance et de leur propre corps.» Moralité : «Peut-être que si on s’en faisait moins avec le sexe, on en aurait davantage.»

Autre point optimiste : à la question «Que doit faire un homme pour séduire une femme?», Seth confie que les mégadonnées «confirment tout ce que le regretté Leonard Cohen a toujours dit». À savoir : «Écouter. Écouter encore. Et quand il pense avoir tout entendu, écouter encore plus.»

Mais tout ne peut être aussi beau que les mots du grand poète montréalais. Dans son essai, l’auteur aborde ainsi la culture de l’indignation. Vous savez, ces grandes envolées lyriques scandalisées qui affluent dans la section des commentaires et sur Facebook? Ces demandes d’excuses virulentes pour une blague jugée choquante ou un commentaire déplacé? Au final, avance Seth SD, c’est souvent juste du bluff. De l’hypocrisie.

Pour appuyer son propos, il rappelle ce jour où un certain Mark Zuckerberg, alors sur les bancs d’école à Harvard, avait lancé le site Facemash. Le principe? Deux photos d’étudiants s’affichaient à l’écran. Les usagers devaient voter pour le plus beau. Indignation sur le campus, accusations de sexisme, de racisme. Et pourtant. À peine quelques heures après la mise en ligne, 22 000 votes avaient été récoltés. «Zuckerberg a compris un important secret : les gens clament qu’ils sont furieux, ils crient au mauvais goût, ils font des revendications morales… mais ils sont également égoïstes. Ils aiment les choses qui leur simplifient la vie, la rendent divertissante.»

Permettez-nous de reprendre une phrase précédemment mentionnée : «Seth, c’est diablement déprimant.» «Oh. Vous savez, depuis que j’ai étudié les mégadonnées, je sais que tout le monde ment. Et étrangement, je me sens beaucoup moins paranoïaque.»

Everybody Lies
Big Data, New Data, and What the Internet Can Tell Us About Who We Really Are

En librairie aux éditions HarperCollins

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