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Une nouvelle voix pour les femmes autochtones

Photo: Genevieve Lagrois

Par manque d’intérêt ou par incompréhension, le milieu universitaire a souvent mis de côté les sujets qui touchent les femmes autochtones. Une réalité appelée à changer avec la création plus tôt cette année du Laboratoire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones – Akwatisiw par la professeure de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) Suzy Basile. Métro a discuté avec elle.

 Qu’est-ce qui distingue les enjeux qui touchent les femmes autochtones de ceux qui concernent l’ensemble des femmes?
Tout le volet colonisation – on peut penser que les autres femmes n’ont pas subi ça. Et aussi, malheureusement, la présence très élevée de la violence subie par les femmes autochtones. Je ne dis pas que les femmes non autochtones ne subissent pas de violence, mais c’est vraiment flagrant en contexte autochtone. On parle de 8 femmes sur 10 qui sont victimes d’une forme ou d’une autre de violence au cours de leur existence. C’est énorme.

Aussi, les femmes autochtones ont subi les conséquences de certaines politiques récentes, comme le fait de perdre l’entièreté de leur identité et de leurs droits en prenant la décision de se marier, par exemple. Pour mettre ça en perspective, on peut rappeler qu’on ne mettait pas les femmes québécoises en dehors de leur village si elles mariaient un gars du village voisin. Et on ne leur retirait pas leurs enfants non plus pour en faire de «vrais citoyens canadiens anglais».

En quoi les enjeux qui touchent les femmes autochtones sont-ils différents de ceux qui touchent l’ensemble des Autochtones?
On a rapidement vu que c’était peut-être par elles que beaucoup de choses passaient, donc on a tenté de les reléguer à la sphère domestique en leur retirant une certaine forme de pouvoir et le rôle très important qu’elles occupaient dans les prises de décision dans leurs sociétés. C’est vraiment propre aux femmes autochtones, et non pas aux hommes autochtones, dans les mains desquels on a mis l’entièreté du pouvoir; l’État canadien s’est assuré de ça.

Par la suite, la Loi sur les Indiens a fait son œuvre, avec le retrait des enfants envoyés dans les pensionnats et toute la rafle des années 1960-1970, au cours de laquelle on a retiré systématiquement les enfants des familles. On parle de 30 000 enfants au Canada qui ont été placés dans des familles non autochtones.

Avant ces politiques, les femmes autochtones occupaient une place beaucoup plus importante dans leurs communautés?
Tout à fait. Chez les Mohawks, par exemple, ça allait jusqu’à la nomination et la destitution des chefs et la décision d’aller en guerre ou pas. Si on compare ça avec ce qui se fait aujourd’hui, c’est l’état-major qui décide ça, on peut rappeler que c’est pas le premier ministre et ce n’est pas sa femme!

Dans d’autres sociétés qui n’ont pas le même système politique ou social que les Mohawks, si on parle des peuples algonquiens au Québec par exemple (les Cris, les Algonquins, les Atikamekw, entre autres), les femmes avaient leur mot à dire dans les prises de décision, elles faisaient partie du consensus.

«Les femmes autochtones ont été la cible de plusieurs tentatives d’effacement et d’un colonialisme qui leur était directement destiné.» -Suzy Basile

Quels sont les premiers sujets de recherche qui vont être traités par le Laboratoire?
[Un premier projet s’attardera à] la consolidation du lien au territoire des femmes autochtones par leur grossesse et leur accouchement. Pendant longtemps, les femmes autochtones ont accouché sur leur territoire et ont participé à plusieurs cérémonies qui confirmaient le lien. Elles avaient aussi des sages-femmes qui possédaient l’entièreté du savoir nécessaire au bon déroulement des accouchements. Tout ça a été balayé en dessous du tapis à partir des années 1970, quand les politiques de santé ont envoyé systématiquement les femmes accoucher dans les hôpitaux et qu’on a retiré aux sages femmes leur rôle essentiel.

Avec des accouchements à l’hôpital, c’est moins facile de procéder à certaines cérémonies comme celle du nouveau-né, ou celle de l’enterrement du placenta. La cérémonie du placenta, par exemple, consiste à ramener le placenta en même temps que le bébé, et à l’enterrer sous un arbre sur le territoire traditionnel de la famille, ce qui vient consolider le lien au territoire que l’enfant a à la naissance et qu’il aura toute sa vie.

Sinon, je vais aussi me pencher sur la mise en place d’un réseau de femmes autochtones en environnement. C’est encore un domaine où on voit que ce sont les hommes dans les communautés qui travaillent sur les questions territoriales et les activités traditionnelles.

Quelle place souhaiteriez-vous que les femmes autochtones prennent ou reprennent dans leurs communautés et dans la société québécoise?
La leur. J’aimerais qu’on les implique, qu’on les consulte et, surtout, qu’on les écoute. C’est leur principale revendication. Ce qui m’a le plus ébranlée dans les événements de la dernière année et demi, que ce soit à Val-d’Or ou ailleurs, c’est le fait que, systématiquement, on ne croie pas les femmes autochtones. J’espère qu’avec le travail scientifique que je propose, ce qu’elles disent et font soit documenté et reconnu par différentes sphères, dont celle de la science et du monde académique.

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