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Juan Pablo Escobar: Mon père, ce narco

Escobar Undercovered in presence of Juan Pablo Escobar Photo: Yann Coatsaliou

«Attendez. Cette image parlera mieux que moi.» De sa poche, Juan Pablo Escobar sort son cellulaire. «Regardez.» Sur l’écran, la photo du dos d’un homme, entièrement couvert de tatouages, apparaît. «Vous voyez?» On voit. «C’est mon père», confirme-t-il. «Et lui, vous savez qui c’est?» On s’approche. Une silhouette de côté. Un homme qui lui ressemble. «C’est Wagner Moura.» L’acteur qui personnifie Pablo Escobar dans la série Narcos. «Cette photo vient de Russie, mais des comme ça, j’en reçois tout plein. De partout, sans arrêt.»

Lorsque nous le rencontrons au MIP, à Cannes, Juan Pablo porte au cou une accréditation sur laquelle on déchiffre un nom. «Sebastián Marroquín». Le nom sous lequel il se présente désormais. Parce que, dit-il, «personne ne voulait travailler avec un Escobar…»

Sauf que, dernièrement, beaucoup lui disent qu’ils aimeraient l’être. Des Pablo Escobar. Ça lui fend le cœur, d’ailleurs. Tous ces messages qu’il reçoit de jeunes qui rêvent d’être comme son père.

Son père… Sebastián avait 16 ans quand il est mort, en 1993. Et il dit que, «s’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’entend», c’est qu’il était un bon papa. Une chose qu’il rappelle dans son livre, Pablo Escobar, Mi padre, dans lequel il écrit : «J’aimerais publiquement demander pardon à toutes ses victimes.»

On devine que c’est cette même volonté qui le pousse à faire connaître le revers de la médaille. De celle qui scintille de promesses et de glamour dans Narcos, par exemple. Le carton de Netflix qui revisite l’histoire du cartel de Cali, et de celui de Medellín, mené par Escobar. Un homme désormais «plus célèbre que jamais».

«Être le fils de Pablo Escobar, ce n’est pas la même chose qu’être celui de Gabriel García Márquez.» – Juan Pablo Escobar, auteur du livre Pablo Escobar, mon père

Notamment à cause de la série du géant de la webdiffusion, donc. Qui n’a jamais approché Sebastián avant de tourner. C’est plutôt lui qui est allé voir Netflix. Six mois avant le début du tournage de la première saison. «Ils ne voulaient rien savoir. Ils m’ont dit que les créateurs de la série en savaient plus sur moi que je n’en sais moi-même.» Il sourit tristement. «J’ai donc attendu de voir Narcos pour découvrir quels passages de ma propre vie j’avais manqués.»

Et quels passages avaient aussi été déformés. À la sortie de la saison 2, il a répertorié 28 inexactitudes. Un lecteur de son décompte lui en a suggéré une 29e. «Il m’a dit : le premier gars qu’ils ont engagé pour vous jouer est plus vieux que le dernier. Vous êtes comme Benjamin Button, vous rajeunissez à chaque épisode! C’est drôle.»

Ce qui l’est moins : les envies qu’ont certains spectateurs de marcher dans les pas des narcotrafiquants. Sebastián le premier aurait pu le faire. Il a préféré pas. Poussé en cela par sa mère… et son père. «C’est difficile, laisse-t-il tomber. Il ne m’a jamais donné de mauvais conseils. Il m’a toujours encouragé à être quelqu’un d’autre, à étudier, à m’améliorer. Il a pris soin de moi.»

Il lui a également répété : «La cocaïne, c’est fait pour être vendu. Pas consommé.» Leçon retenue? «Quand un des plus puissants barons de la drogue du siècle dernier vous dit que c’est du poison, mieux vaut l’écouter.»

Ce baron, il l’a écouté aussi à sept ans, lui révéler qu’il était «un bandit». Que c’était sa profession. «À cet âge, vous comprenez le sens du mot bandit, bien sûr, mais vous ne pouvez pas voir à quel point l’organisation de mon père était grande. C’était comme une gigantesque corporation du crime.»

Dont la portée s’est étendue au-delà des frontières de la Colombie. Dans son livre, une photo en fait foi. La photo «préférée de son père». On est en 1981. Devant la Maison-Blanche. Le petit Juan Pablo Escobar fixe l’objectif, tandis que son papa le fixe, lui, dans une chemise de la même couleur que l’institution. «Cette photo a une signification. Elle montre la façon dont les Américains ont accueilli mon père, alors qu’il était le plus grand dealer sur Terre. Elle montre à quel point ce fut facile pour lui de faire des affaires d’or en vendant de la drogue. Avec la complicité des États-Unis.»

Ces «affaires d’or» se reflètent notamment dans les descriptions que fait l’auteur de son enfance, vécue dans l’opulence. Avec des gardes du corps pour seuls amis.

Il raconte ainsi qu’à 11 ans, il possédait 30 motos à grande vitesse et tout autant de jet-skis. Pour sa première communion, on avait fait venir à bord de l’avion privé du patriarche des chocolats importés de Suisse et 20 bouteilles de Petrus 1971, un des vins les plus chers au monde, de Paris. Dont plusieurs bouteilles finirent à la poubelle. «Il semblerait que quelqu’un les ait jetées, car elles avaient l’air vieilles.»

Dans la même veine, Sebastián parle de la propriété de Nápolés, où son père avait «une station d’essence, 27 lacs, 100 000 arbres à fruits, la plus grande piste de motocross de toute l’Amérique latine, 3 zoos, 10 résidences, 1 700 employés». «Il n’y avait plus rien à acheter!» s’exclame-t-il.

Le moment où il a réalisé, petit, qu’il ne menait pas une existence comme celle des autres? «Quand je me suis rendu compte que j’avais mon propre parc Jurassique avant que M. Spielberg ait le sien.»

Mais au-delà des extravagances, il y avait la violence. «Beaucoup de violence. Et puis beaucoup d’argent, de pouvoir.»

Dans tout ce chaos, une présence rassurante. Sa mère. De qui le fils semble avoir hérité la douceur. «Elle m’a enseigné le pardon. Elle ne connaît pas la haine dans son cœur. J’ai reçu beaucoup d’amour de sa part», confie-t-il avant d’ajouter que, de l’amour, son père aussi lui en a énormément donné. «C’est la grande différence, si on compare ma vie à celle des bandits, remarque Sebastián. Ils sont nés dans des familles où ils ont dû composer avec des pères très violents, qui attaquaient leurs sœurs, qui les attaquaient, eux. Ils ont grandi en pensant que la seule façon de vivre, c’est en utilisant des armes. C’est pourquoi mon père les a utilisés afin de devenir l’homme le plus puissant de la Colombie…»

Aujourd’hui, celui qui est architecte s’emploie à bâtir, à transmettre un message de compassion. Mais la paix absolue est-elle possible? Instantanément, il répond : «Je vois TOUJOURS une possibilité pour la paix. Elle est plus humaine, naturelle que la guerre. La guerre n’a rien à voir avec les humains.»

Il conclut l’entretien d’un merci poli. Se lève. Quelques minutes plus tard, on sent une tape sur notre épaule. «Tiens.» Dans notre copie de son livre, le fils de Pablo Escobar a écrit : «Certaines histoires ne devraient pas se répéter.»

 

À l’écran

Dans son livre, Pablo Escobar, mon père, paru aux éditions Hugo Doc, Sebastián Marroquín remercie ce dernier de lui avoir «montré quel chemin ne pas emprunter». Il veut avoir le même impact avec le documentaire Pablo Escobar Exposed. Deux épisodes d’une heure, qui seront présentés à la fin du mois sur Club illico, produits par le Québécois Éric Hébert de Télégramme Média et réalisés par Olivier Aghaby. «Avec la télévision, nous avons le pouvoir d’éduquer et de divertir en même temps. Nous avons voulu dire aux plus jeunes de ne pas répéter les erreurs de mon père. Raconter la vraie histoire.»

Pour Olivier Aghaby, qui a tourné la série à Medellín avec le directeur photo Fabien Côté et le preneur de son Emory Murchison, cette histoire montre «jusqu’où l’humain est capable d’aller dans sa folie quand il embarque dans quelque chose de plus grand que lui». Mais aussi, cette histoire est pour lui «celle d’un fils qui, ultimement, était aimé par son père».

Le documentaire comporte, entre autres, le témoignage de Maria Victoria Henao, la femme de Pablo Escobar, qu’il a épousée lorsqu’elle avait 15 ans. Et celui de plusieurs ennemis du baron de la drogue.   «Sebastián, c’est une bonne et belle personne. Quand il parle de son père, il le fait avec amour. Il a fallu aller parler à des ennemis de Pablo Escobar pour équilibrer. Pour montrer qu’il n’y a pas une seule vérité.»

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