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Un duel nommé Désir

Photo: Josie Desmarais

Au détour
 d’une ruelle sombre,
 deux hommes, l’un dealer, l’autre client potentiel, se croisent. De cette rencontre anodine naîtra l’affrontement quasi animal au cœur de la pièce Dans la solitude des champs de coton.

Sous la direction de la metteure en scène Brigitte Haentjens, les comédiens Sébastien Ricard et Hugues Frenette s’attaquent à une des œuvres phares du dramaturge français Bernard-Marie Koltès.

«C’est une pièce que tout acteur rêve de jouer, bien qu’elle nécessite un bon bagage d’expérience, estime Hugues Frenette, qui se met dans la peau du dealer. Si on peut avoir 20 ans de métier dans le corps avant de l’aborder, ce n’est pas une mauvaise affaire. Elle représente un niveau de difficulté assez substantiel, pour les interprètes comme pour les concepteurs.»

Le théâtre de Koltès se caractérise en effet par son langage unique, à la fois imposant, tranchant, poétique et proche de la rue. «Sa langue est tellement exigeante que l’oublier est peut-être un défi plus grand que dans d’autres pièces, explique Sébastien Ricard, qui interprète le client. Mais elle a la qualité de ne pas être uniquement dans la cérébralité, comme la langue française en donne parfois l’impression. Au contraire, elle est très ancrée dans les instincts et dans une certaine animalité.»

Le principal défi des interprètes de Dans la solitude des champs de coton est de maîtriser cette vertigineuse joute verbale faite de longs monologues se répondant l’un l’autre. «En temps normal, la langue sert à préciser ce qu’on a cru interpréter chez l’autre, mais dans cette pièce, elle ne fait qu’obscurcir encore plus le tableau et, ce faisant, l’animosité va en augmentant», croit Sébastien Ricard, complice de longue date de Haentjens, avec qui il a monté en 2013 La nuit avant les forêts, une autre œuvre du répertoire de Koltès, lui-même mort du sida en 1989. «La pièce porte sur le mystère de plus en plus profond de leur relation. C’est un théâtre dans lequel le langage, bien qu’il soit extrêmement lumineux, ne sert pas à éclairer la situation. Il ne sert qu’à montrer les ténèbres et le mystère grandissant de l’autre.»

«Il y a un paradoxe entre cette langue très dense, très imagée, très descriptive par moments, et la situation, qui est très très simple. C’est ce qui fait la richesse mais aussi la difficulté majeure de la pièce.» –Hugues Frenette, à propos du contraste présent dans la pièce Dans la solitude des champs de coton.

Ce qui apparaît donc au départ comme une rencontre fortuite entre deux inconnus dégénère rapidement en violent duel de mots. «La situation qui est racontée pourrait être résumée en cinq minutes, constate Hugues Frenette. C’est très simple: un homme en rencontre un autre qui lui propose de combler son désir. L’homme en question dit qu’il n’en a pas. C’est ce malentendu qui se prolonge et qui aboutit au constat suivant: deux hommes qui se croisent n’ont d’autre choix que de se frapper. Le feront-ils, comme l’a écrit Koltès, avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la fraternité?»

Le désir, peu importe la forme qu’il prend, est le moteur qui fait avancer les deux personnages. «C’est une pièce sur le désir mais aussi sur l’incapacité de le combler, quel qu’il soit. C’est ce qui est tragique. Ça devient presque une monnaie d’échange. Tu n’as pas de désir? Pas grave, nous dit Koltès, ramasse-le par terre, fait croire que c’est le tien et donne-le à quelqu’un d’autre. Ça en devient quelque chose de factice, qui n’a pas de valeur en soi.»

Au dire des deux acteurs, Brigitte Haentjens a choisi d’opter pour une mise en scène dépouillée. Les spectateurs seront disposés de part et d’autre de l’Usine C, formant une allée étroite autour des deux acteurs et ajoutant au ton oppressant de l’œuvre. «Les spectateurs sont partie prenante de ce qui se passe, explique Hugues Frenette. Peu importe où ils sont assis dans la salle, ils ont une proximité physique avec nous. J’ose penser que notre charge dramatique va contaminer tout le monde. Oui, c’est une pièce à deux, mais c’est aussi une pièce à 302. Parce que les 300 spectateurs ont un rôle à jouer, par leur écoute, leur respiration. Ils font partie du lieu, de la pièce.»

Dans la solitude 
des champs de coton
À l’Usine C
Du 23 janvier au 10 février

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