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«Il faut diversifier la danse» – Guillaume Côté

Photo: Ballet national du Canada

Ses pointes ont foulé les plus prestigieuses scènes du monde. Jusqu’au 12 août, le «p’tit gars du Lac-Saint-Jean» les pose au Québec le temps du Festival des arts de Saint-Sauveur, dont il est le directeur artistique. En entrevue, le danseur étoile du Ballet national du Canada enchaîne les formules du type : «Ce qui est le fun avec…» 
et «Moi ce que j’aime, c’est…», signe de sa passion inépuisable 
pour son art, qu’il s’applique à faire évoluer.

Selon vous, comment 
se porte le milieu de 
la danse au Québec?
Je vois l’intérêt du public pour la danse monter de plus en plus. Dans notre monde numérique, vivre dans le moment présent, c’est précieux. Regarder un spectacle de danse, faire partie d’une histoire et vivre une expérience commune, c’est quelque chose que les gens recherchent. La danse revient à la mode, même dans les émissions de télé comme So You Think You Can Dance ou Dancing with the Stars [ainsi que Les dieux de la danse ou Danser pour gagner au Québec]. Ça ne se passe pas seulement à la télévision, il y a moyen d’aller voir des spectacles, de tomber en amour avec la danse.

Pour les gens qui ne connaissent vraiment pas ça, c’est peut-être comme du sushi: la première fois que tu vas en manger, tu n’aimeras peut-être pas trop ça, c’est une texture peut-être un peu difficile à mâcher, mais après en avoir mangé quelques fois, tu deviens accro ben raide, tu adores ça! Il suffit de faire l’effort au début, mais une fois que c’est apprivoisé, il n’y a rien de plus beau.

Vous avez récemment monté le spectacle Frame by Frame avec Ex-Machina, la boîte de Robert Lepage, qui est inspiré de l’œuvre du père du cinéma d’animation canadien, Norman McLaren. Comment rend-on hommage à un cinéaste par la danse?
Norman McLaren, si tu regardes ses films, c’est de la danse. L’animation, c’est de la chorégraphie d’espace. C’était très musical, son affaire; il capturait du mouvement sur pellicule. C’est très inspirant! Aussi, McLaren, dans ses dernières années de carrière – ses plus belles années – était fasciné et obsédé par le ballet. Il a travaillé avec la fondatrice des Grands Ballets Canadiens et des danseurs qui ont été mes professeurs pour des films comme Pas de deux, Narcissus… Ce sont des films qui ont gagné des prix. Il ne faut pas l’oublier, ça fait partie de notre histoire. C’est vraiment un beau projet pour nous, d’explorer ça. Le spectacle va être présenté à Montréal, mais on ne sait pas encore quand.

Vous êtes tombé dans la danse quand vous étiez petit, au même titre 
qu’Obélix est tombé dans la potion magique. Avez-vous toujours su que vous en feriez une carrière?
La danse a toujours fait partie de ma vie, comme l’air que je respire. J’ai commencé à danser vers l’âge de trois ans et j’ai toujours adoré ça. Mais même quand je suis allé à l’École nationale de ballet, à Toronto, à l’âge de 10 ans, je ne savais pas encore ce que je voulais faire dans la vie. Mes parents [professeurs de danse] ne m’ont jamais obligé à poursuivre dans ce domaine. Vers 15 ou 16 ans, quand j’ai vraiment découvert les côtés théatral et athlétique, très physique, de la danse, ça m’a vraiment attiré. C’est là que j’ai su que je voulais en faire une carrière.

Vous êtes présenté comme «un des danseurs les plus talentueux de votre génération», même «un des meilleurs danseurs au monde». L’expression «danseur-phénomène» est souvent employée pour vous décrire. Comment vivez-vous avec ces éloges?
(Rires) Je ne sais pas, là…! Il y a tellement de bons danseurs dans le monde. C’est ça qui est le fun de la danse, on ne peut pas mesurer qui est le meilleur; c’est de l’art.

J’ai été vraiment chanceux d’être capable de danser partout dans le monde, de me forger tellement de beaux souvenirs, et aussi, j’ai tellement de beaux projets. Je suis heureux de pouvoir partager ce que je fais avec d’autres jeunes, avec d’autres artistes, c’est ça que je veux faire. Je veux faire connaître mon art le plus possible, inciter les jeunes à suivre leur passion, à ne pas lâcher. Mon parcours n’a pas été facile, mais en persévérant, en travaillant tous les jours, en étant concentré et discipliné, la plupart du temps, on peut avoir du succès. Le talent n’est pas une grosse partie du succès, c’est le travail qui compte.

«À chaque nouvelle génération, 
je vois du progrès. Je regarde les jeunes et je me dis: “Wow, je ne 
serais jamais capable de faire ça!”» – Guillaume Côté, à propos de la relève en danse

Vous voyez-vous comme une source d’inspiration pour les jeunes?
(Rires) Mes parents ont été de très bons profs, ma sœur aussi, tous ces gens ont été à l’école très longtemps pour apprendre à enseigner. Moi, je ne suis pas professeur. Tout ce que j’espère être c’est peut-être un symbole, un genre d’exemple pour les jeunes. J’aime enseigner, faire office de mentor auprès des jeunes s’ils le veulent, mais le plus important est de montrer l’exemple. Quand j’étais jeune, il y avait beaucoup de préjugés au sujet des hommes qui font du ballet. Ce n’était pas normal qu’un petit garçon fasse du ballet, c’était vraiment bizarre et pas très accepté.

J’avais les parents les plus ouverts d’esprit au monde, le reste de ma famille aussi, mais beaucoup de gens dans ma région ne comprenaient pas pourquoi un petit Québécois allait danser à Toronto. Les choses ont changé, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Il faut aussi diversifier la danse, la rendre plus multiculturelle. C’est très important, parce que le ballet a toujours été pour les petites filles blanches. C’est tellement le fun la diversité, c’est ainsi qu’on va faire évoluer le ballet et la danse, qu’on va trouver de nouvelles inspirations, et de nouveaux styles.

Vous avez 36 ans. Comptez-vous rester danseur encore longtemps?
Je suis heureux d’avoir eu de belles occasions, mais c’est sûr qu’à mon âge, la danse classique est très difficile physiquement à cause des sauts et des grosses pirouettes qui sont difficiles sur les genoux. J’ai déjà eu de grosses opérations. Je vais peut-être continuer encore trois ou quatre ans dans ce style, mais je vais toujours danser.

Pour le festival, j’ai chorégraphié des mouvements que je peux adapter à mes forces et à mes faiblesses. Ce que j’aime aussi, c’est brasser la cage, faire de nouvelles expériences. Je pense que c’est ma responsabilité, en tant que personne qui a eu du succès dans ce que j’ai fait, d’essayer de faire évoluer le milieu, même si c’est risqué. C’est ce que je compte continuer à faire au-delà de ma carrière de danseur.

Vous avez déjà comparé la danse à une langue. Comment apprendre cette langue lorsqu’on n’en connaît pas un mot?
En allant voir des spectacles, tout simplement. C’est une langue universelle, les gens vont la comprendre si c’est bien arrangé, si la chorégraphie est bonne; on l’a vu avec le succès des émissions de télé. Ce qui est le fun, avec cette langue, contrairement aux mots, c’est qu’elle permet plusieurs interprétations. Il y a tellement de subtilités dans chaque mouvement. On est vraiment dans une place plus abstraite en danse.

Que ressentez-vous quand vous dansez?
Ça dépend de ce que je danse! (Rires, puis moment de réflexion.) C’est une expérience très spirituelle, voire méditative, surtout quand on a bien répété et quand on est dans un rôle. Je suis connu pour avoir joué Nijinsky, qui est devenu complètement fou dans les 40 dernières années de sa vie. La folie n’est pas facile à jouer, ça me demandait tellement de douleur, il fallait que je pousse mon corps au-delà du confort, donc c’était difficile à danser, mais c’était incroyable. Pour certains ballets c’est complètement l’opposé, ça devient quasiment un réflexe, car la mémoire physique fait tout le travail. Tu peux être dans les airs à faire un gros saut et penser à ce que tu vas manger pour souper. C’est bizarre, ça devient déconnecté. J’imagine que Roger Federer doit lui aussi tomber dans ce genre d’état après son quatrième set à Roland Garros.

Festival des arts 
de Saint-Sauveur
jusqu’au 12 août

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