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Pas juste pour «flasher», la photographie argentique

Photo: Sebastian Penafiel/Collaboration spéciale

Boulevard René-Levesque, 16h30. Les passants se pressent vers les bouches de métro. Sebastian Penafiel dégaine sa caméra argentique, la porte à son œil pour faire la mise au point, puis appuie sur le déclencheur. Né en 1997, il n’a connu qu’un monde numérique, mais il ne jure aujourd’hui que par la pellicule argentique. À l’heure d’Instagram, pourquoi certains milléniaux s’intéressent-ils autant à un processus photographique que les générations précédentes ont délaissé?

«J’ai remarqué que les gens de mon âge ne savent pas c’est quoi, la photographie argentique. Quand je prends des photos, les gens me demandent de leur montrer la photo tout de suite», s’étonne Sebastian Penafiel, étudiant au cégep et photographe à temps perdu.

Attiré dans le monde de la photographie sur film par l’intermédiaire des appareils Polaroïds, populaires pour leur processus à développement instantané, Sebastian a rapidement dévié vers la pellicule argentique, qui demande un développement à l’aide de produits chimiques, dans un laboratoire professionnel ou à la maison.

Le service de développement de pellicule, il y a encore une vingtaine d’années, on le trouvait partout. Aujourd’hui, de rares endroits à Montréal offrent encore le service, dont quelques irréductibles comme Photo Saint-Denis, Boréalis ou Photo Service, qui n’ont jamais cessé leurs activités.

Le Studio Argentique, ouvert en 2015, fait partie de cette nouvelle vague qui reprend possession du média «L’argentique reste encore très pertinent parce que la qualité du film, lorsqu’on travaille en impression, est imbattable», avance d’emblée son propriétaire, Pierre-Paolo Dori. 

«Ce qui est intéressant, c’est d’avoir un procédé qui est totalement artisanal, de la prise de vue jusqu’à l’impression», explique-t-il.

«Développer, imprimer, choisir le bon film selon ce qu’on veut faire, tout cela attire les jeunes vers l’argentique.» -Pierre-Paolo Dori, propriétaire du Studio Argentique

Au-delà des qualités de la photographie analogique, M. Dori voit le retour des milléniaux vers ce procédé comme une preuve que le numérique n’a pas rempli ses promesses. «Il y a quelque chose qui les attire: la spontanéité et la matérialité du procédé sont beaucoup plus importantes qu’avec un fichier immatériel perdu dans une carte numérique, raconte-t-il. Les milléniaux ont passé à l’argentique, car ils sont un peu contrariés par le numérique et sa facilité de prise de vue.»

Ancienne mode, nouveau problème: les clients du Studio Argentique demandent presque tous de numériser le film développé pour pouvoir partager la photo sur les réseaux sociaux comme Instagram. De son propre aveu, Pierre-Paolo Dori affirme avoir de la difficulté à gérer les quantités astronomiques de rouleaux de pellicule laissés à son magasin par une clientèle qui ne les utilise pas.

Paradoxal, ce retour à un média analogique pour partager le fruit de notre travail sur l’internet? «On fait juste s’adapter pour que les gens reconnaissent notre travail; je ne pense pas que ça change la nature de notre travail», répond Sebastian Penafiel.

Une réaction que partagent Sara Hini et Julie Tellier, les cofondatrices du site web ­ay­emag.com, qui fait la promotion de photographes émergents. «[Il y a trois ans] on découvrait photographes sur Instagram, on se disait qu’il y avait vraiment une résurgence de la photographie argentique à Montréal», explique Julie Tellier. Devant cet engouement, elles ont eu l’idée de fonder l’exposition éphémère Analog/Mtl, entièrement consacrée à des photographes montréalais. «On les voyait juste sur Instagram. Je voulais qu’on les mette sur un papier, sur les murs», explique Sara Hini.

«J’ai grandi dans le numérique, et je trouve que ce sont deux médias complémentaires, affirme Mme Hini. Selon moi, le film peut être une porte d’entrée, ou juste une façon de se réapproprier la photographie.»

Loin d’être un frein à la créativité, l’apparente complexité d’un appareil photo argentique permet aux photographes de reconnecter avec ce qui est vraiment important.

«Quand je rencontre quelqu’un qui shoote du film, je dis: “Oh mon Dieu, toi aussi tu shootes du film, toi aussi t’aimes ça?”» -Sara Hini, cofondatrice de Aye Mag

«Ça me permet de rester présent; je ne suis pas en train de regarder un écran ou de montrer les photos si je fais un portrait de quelqu’un. Je pense que ça augmente la connexion entre toi et ton sujet», avance Sebastian.

Même son de cloche du côté de Pierre-Paolo Dori, qui offre des cours pour débutants au Studio Argentique. «Les jeunes qui commencent avec l’argentique vont avoir plus rapidement des bonnes compétences, car ils sont en train d’imaginer la photo dans leur tête, de la créer, explique-t-il. C’est quelque chose de beaucoup plus lent, on prend son temps pour créer l’image.»

«Il y a quelque chose comme être dans le moment présent, prendre son temps, réfléchir à sa photo, penser à son sujet, renchérit Sara Hini. Ça peut vraiment améliorer et redéfinir ta façon de travailler avec le numérique.»

«On partage nos photos sur Instagram, c’est rendu le portfolio de beaucoup d’artistes, c’est la porte d’entrée vers ton travail, vers ce que tu fais. L’un peut aller sans l’autre, mais ensemble; c’est un peu plus fort», conclut Julie Tellier.

Trop cher, l’argentique?
Vu le coût du rouleau de film, du développement et de la caméra, l’argentique peut paraître onéreux.

Faux, répond Pierre-Paolo- Dori. «On peut trouver des caméras valant de 50 à 200$. Si on preand un peu de film et qu’on inclut le développement, c’est sûr que ça revient beaucoup moins cher qu’un appareil numérique de qualité moyenne, énumère-t-il. À la longue, il est intéressant de faire son développement soi-même, parce qu’on peut réduire ses frais.»

«On a un avantage pour un amateur qui peut, par exemple, prendre un film 35mm [standard] et comparer le résultat à une caméra d’entrée de gamme numérique, qui a un petit capteur et qui produit des images de basse qualité», ajoute M. Dori.

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