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Un printemps d’ailleurs: Une saison en Chine

Photo: Filmoption International

À cheval entre deux continents, la réalisatrice Xiaodan He raconte dans son premier long métrage de fiction, Un printemps d’ailleurs, la crise existentielle d’une immigrante chinoise installée à Montréal, qui tente d’apaiser ses souffrances
dans son pays natal.

Dès les premiers instants du film, la vie de Li Fang (Wensi Yan, excellente dans sa première performance au grand écran) part en vrille.

Incapable d’avoir un enfant, délaissée par son conjoint québécois (Émile Proulx-Cloutier), elle voit son couple imploser devant ses yeux.

C’est dans sa ville natale, Dazu, dans le sud de la Chine, qu’elle part chercher un peu de réconfort, notamment auprès du grand-père qui l’a élevée.

Le retour au pays apporte toutefois son lot de questionnements douloureux pour celle qui habite Montréal depuis une décennie.

«Le film est en grande partie inspiré d’une pensée boud­dhiste que j’ai lue il y a plusieurs années et qui m’a marquée, sur les souffrances qu’amène la vie et sur le bonheur qui nous quitte tôt ou tard, raconte Xiaodan He, qui a étudié la production de longs métrages à l’Académie du cinéma de Beijing dans les années 1990. Étudier le bouddhisme m’a appris beaucoup sur la souffrance, la tolérance, mais aussi sur les efforts silencieux que la vie humaine nécessite pour sortir de la souffrance et garder espoir.»

Li Fang tente donc de retomber sur ses pattes au contact de sa famille et d’un ancien amant.

«C’est la première fois qu’elle perd confiance en l’amour, explique la cinéaste à propos de son personnage principal. C’est une expérience très importante, particulièrement pour une femme. Il s’agit d’une souffrance profonde et totale. Elle a perdu toutes ses croyances. Et le fait qu’elle ne puisse avoir d’enfants, pour elle, c’est une catastrophe. C’est à ce moment que j’ai voulu commencer l’histoire.»

(Photo: Josie Desmarais/Métro)

«En quelques scènes, il fallait évoquer les 10 dernières années d’un homme et d’une femme qui se sont perdus jusqu’à devenir la pire version d’eux-mêmes. Pour que la Chine fasse du bien, mon rôle était de donner à Fang toutes les raisons de quitter Montréal en cinq minutes.» – Émile Proulx-Cloutier, comédien, à propos de sa courte, mais très intense performance dans Un printemps d’ailleurs. Il incarne Éric, un mari adultère qui a complètement négligé son couple.

Malgré un sujet en apparence lourd, il émane d’Un printemps d’ailleurs une certaine lumière, voire un côté très zen, en raison de sa mise en scène posée. La beauté des paysages chinois et le travail du talentueux directeur photo Glauco Bermudez, qui a tourné entièrement en lumière naturelle, y sont peut-être aussi pour quelque chose.

«Vivre et souffrir, oui je suis pas mal d’accord avec ça. Mais on a quand même besoin d’espoir, plaide la réalisatrice. Tout le monde doit vivre avec des problèmes. Comme Fang, j’aimerais apporter avec ce film un peu de réconfort aux gens qui vivent des souffrances et redonner l’espoir.»

Le film s’inspire aussi du parcours de son auteure, qui a elle-même quitté la Chine pour Montréal en 2002.

«Comme pour beaucoup de réalisateurs, mon premier film est inspiré de ce que j’ai vécu. J’ai donc puisé dans mon passé d’immigrante chinoise au Québec, dans la vie de gens que j’ai connus et qui ont vécu des choses semblables.»

Il en résulte une vision très personnelle d’une Chinoise sur la Chine, loin des clichés, mais teintée par les années passées à l’étranger.

«Elle arrive à avoir une vision sur la Chine qu’un étranger ne pourrait avoir, tout en gardant un regard extérieur sur le pays. Cette sensation d’être en visite chez soi, ce n’est pas facile à rendre, et c’est l’une des belles réussites du film, croit Émile Proulx-Cloutier, qu’on voit dans la première partie du long métrage. Dans sa façon de tourner, elle insiste sur des détails qui ne frapperaient peut-être pas un Chinois, sans nécessairement avoir un regard touristique ou exotique.»

«C’était mon intention, mais ça s’est fait naturellement en raison de mon expérience d’immigrante depuis 15 ans au Québec, explique Xiaodan He. Ce mélange de vision extérieure et de connaissance profonde du pays m’intéresse beaucoup.»

«Je rentre en Chine une fois par année, pour garder un lien avec le pays et ma famille. Et chaque fois, je trouve de nouvelles choses à observer, à recevoir, à comprendre. Je suis devenue une outsider en quelque sorte. J’aime ça, parce que ça me donne un regard nouveau, avec une distance que j’aime. Je ne me sens pas isolée, j’ai plutôt un autre angle pour observer la Chine, réfléchir aux phénomènes qui l’animent et le comparer à ce que j’ai vécu dans le passé.»

Aller-retour Canada-Chine

D’abord prévu comme une co-production Chine-Canada, Un printemps d’ailleurs a finalement été financé à 100 % par des institutions canadiennes. Le tournage, qui a eu lieu à Dazu, Chongqing et Mont­réal, a réuni des équipes chinoises et québécoises.

«Je me sens chanceuse et reconnaissante envers la SODEC, Téléfilm Canada et le Conseil des arts de m’avoir permis de réaliser mon rêve, c’est-à-dire de réaliser un long métrage. Ce n’est pas tous les jours qu’une cinéaste immigrante d’origine chinoise obtient un budget gouvernemental pour un film de fiction», constate Xiaodan He.

Le film, presque entièrement tourné en mandarin, a été présenté au Festival international du film de Shanghai en juillet dernier. Il a reçu un accueil enthousiaste de la part des spectateurs chinois.

«Ç’a m’a fait énormément plaisir, confesse la réalisatrice. Ils ont beaucoup aimé le film et le message qu’il véhicule.»
Une sortie en salle dans l’empire du Milieu est-elle envisageable?

«Nous sommes présentement en discussion avec un distributeur en Chine, mais il y a certains points litigieux parce que je mentionne directement dans le film la Révolution culturelle et les problèmes vécus par les enfants nés “illégalement”, que les parents ne reconnaissent pas. Ça peut causer des problèmes pour la censure. Malheureusement, encore aujourd’hui, la censure demeure très stricte en Chine dans le domaine du cinéma. C’est une réalité avec laquelle on doit composer. Mais on va tout faire pour que le film sorte là-bas et que les spectateurs chinois puissent le voir.»

En salle dès vendredi

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