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«Trente» de Marie Darsigny: À l’approche du jour J

Photo: Josie Desmarais

Le compte à rebours est enclenché. À un an de son 30e anniversaire, le 1er juillet, Marie tâche de documenter sa dernière année de vie, mois après mois. Ce journal, chronique d’une mort annoncée, c’est Trente, premier récit d’autofiction de Marie Darsigny.

Dans ce récit en fragments parsemé de collages réalisés par l’auteure sur Photoshop, la narratrice, alter ego de Marie Darsigny, partage ses angoisses, son mal de vivre, sa dépression et l’admiration quasi maladive qu’elle voue à «ses muses» : Nelly Arcan, Elizabeth Wurtzel, Marie-Sissi Labrèche… et Angelina Jolie.

«La triste vérité, c’est que mes muses préférées sont déprimées. […] Mortes ou déprimées», écrit-elle dès la première page de Trente.

«Quand je résume Trente, les gens font une face de deuil», s’amuse à raconter Marie Darsigny devant un café. Pourtant, son récit est empreint d’humour et d’autodérision. Sa narratrice a d’ailleurs été décrite comme «la plus drôle des filles désespérées».

«Quand je lis des extraits, des fois, je sens que les gens se retiennent de rire parce que le propos est sérieux. Mais ça me fait tellement plaisir quand ils rient!» poursuit-elle.

Marie Darsigny, tout comme son personnage homonyme, est d’une redoutable lucidité. Bien qu’elle étale sa souffrance sur quelque 150 pages, elle est pleinement consciente que son mal de vivre n’a rien d’exceptionnel, même que d’autres avant elle l’ont mieux dépeint, écrit-elle : «Je ne peux pas supporter l’idée que dans mes œuvres je ne fais que répéter ce qui a déjà été dit, mieux dit, par celles qui m’ont précédée, on ne réinvente rien, la roue continue de tourner, mais moi j’aime bien me mettre le doigt dedans.»

«Je parle beaucoup dans la vie, ça va très vite dans ma tête. Mon écriture coule de la même façon. Les entrées de ce livre sont sorties d’un jet. Trente, c’est du stream of consciousness, un flot de pensées.»

L’auteure sait très bien aussi que son alter ego n’est pas d’emblée attachante. «J’ai fait le pari d’avoir une narratrice qui peut être potentiellement gossante, parce qu’elle se répète beaucoup. Son récit est une litanie, elle radote!»

Elle s’autoflagelle, cette pauvre jeune femme, qui, à 29 ans, a pourtant la vie devant soi. «C’est vrai qu’on se demande ce qu’elle a. Elle n’est pas malade. Elle est juste déprimée. Ça se peut que tu ne saches pas pourquoi tu es déprimée, que ce soit juste un mal existentiel», décrit Marie Darsigny.

Ainsi, son livre aurait très bien pu s’intituler Vingt-sept ou Cinquante. «Une dame m’a dit : “Pauvre fille, avoir 30 ans, c’est rien. Qu’est-ce qu’elle fera à 50 ans?” Cette femme a manqué le point. Le point, c’est l’angoisse existentielle, et ça peut arriver à n’importe quel âge», dit celle qui, depuis l’écriture de ce livre, a passé le cap de la trentaine.

Les répétitions sont nombreuses dans Trente. Outre les références à ses «sœurs littéraires» que sont Nelly Arcan et «Liz» Wurtzel, l’auteure y fait plusieurs clins d’œil à la culture populaire, qu’elle met bien en évidence en MAJUSCULES ET EN CARACTÈRES GRAS.

Ceux-ci sont suffisamment nombreux pour que Marie Darsigny ait jugé pertinent d’en dresser une liste à la fin de son ouvrage. S’y côtoient notamment Drake, Lena Dunham, Céline Dion et David Lynch.

Quelle place occupe la culture pop dans la vie de l’auteure et poète? «Une immense place!» s’enthousiasme-t-elle.
Lors de ses études en littérature à l’Université Concordia, elle parsemait sans cesse ses écrits de références populaires.

«Mes profs haïssaient ça, ça ne passait jamais. Peut-être que je le faisais de façon maladroite…» observe celle qui «adorerait» partager son amour de la culture populaire en enseignant au cégep.

Si ses références sont aussi nombreuses et variées, c’est parce que les intérêts de Marie Darsigny le sont tout autant. Avant de se consacrer aux lettres, elle a notamment pratiqué le ballet, le théâtre et les arts plastiques, en plus d’étudier en mode.
Pas étonnant que les références populaires côtoient les citations littéraires et académiques dans Trente. Celles-ci sont présentées «en italique et entre guillemets». Mais, au bout de la ligne, quelle est la différence, se questionne l’auteure? «Toutes les citations sont littéraires quand elles sont écrites, non?»

Écriture féministe
En filigrane dans ce récit très personnel écrit au «je», Marie Darsigny revendique le caractère 
féministe de sa confession littéraire. En témoigne l’extrait suivant, où est citée une de ses muses, l’auteure américaine Elizabeth Wurtzel :
«C’est d’ailleurs intéressant que l’écriture des femmes qui utilisent leurs expériences personnelles soit souvent criblée d’insultes, qualifiée de “full of self-pity, self-absorbed, whiny, self-indulgent, LiveJournal-esque, annoying”, c’est fâchant tout ça, j’aurais envie de leur crier les mots de Fiona Apple KEEP ON CALLING ME NAMES, KEEP ON, KEEP ON ou encore les paroles de Joan Baez CALL ME ANY NAME YOU LIKE I WILL NEVER DENY IT, vous voyez je suis encore une fois la fille frustrée, celle qui parle au je en espérant que ses confessions littéraires soient peut-être salutaires.»

En entrevue, Marie Darsigny détaille sa démarche. «L’écriture des femmes au je est souvent réduite à la sensibilité et aux émotions. Trente exagère volontairement ce trait pour rire de la croyance que les femmes écrivent juste des trucs à l’eau de rose.»

Ainsi, ce n’est pas un hasard si la couverture du livre est de couleur rose, tout comme celle de ses deux ouvrages précédents, les recueils de poésie A Little Death Around the Hearth (2014) et Filles (2017). «C’est vraiment ma couleur. J’espère que tous mes livres seront roses, rendu là!»

Ce «je» est aussi un symbole d’affirmation pour la jeune auteure. «Pour moi, c’est une façon de me tailler une place dans le milieu littéraire. Je ne veux pas me cacher derrière quelqu’un d’autre», dit celle qui écrit également dans son livre : «Je chéris mon je comme la chair de ma chair, j’utilise à outrance ce pronom qui m’est essentiel, oui.»

Trente est aussi pour Marie Darsigny une façon de parler librement, tout en humour et avec vulnérabilité, de maladie mentale. «Je romance ma dépression», dit à un moment sa narratrice, qui semble parfois se plaire à gratter le bobo.

«C’est vrai que tu peux te complaire là-dedans. Des gens pensent que c’est ce que font les personnes déprimées. Mais personne n’a de fun en souffrant!»

Ça prend une bonne dose de courage pour aborder ce sujet tabou de plein front comme elle le fait, lui fait-on remarquer. «C’est courageux, mais en même temps, si tout le monde le faisait, ça ne serait plus courageux, ce serait juste normal», rétorque-t-elle.

Les matelas s’accumulent sur les trottoirs de Montréal. Le 1er juillet, le fatidique jour J approche dangereusement. Que devrait-on souhaiter à Marie, le personnage, pour ses 30 ans? Sans hésitation, son homonyme répond : «On pourrait lui souhaiter un break! Peu importe sous quelle forme. Elle mérite ça.»

Trente
Aux éditions du remue-ménage
Marie Darsigny sera au Salon du livre de Montréal (de 19h à 20h) et demain (de 17h à 18h).

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