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Djely Tapa: Au-delà des frontières

Portrait de la chanteuse malienne Djely Tapa. Photo: Josie Desmarais/Métro

Entre musique traditionnelle et moderne, entre blues sahélien et électro, entre le Mali et le Québec, l’auteure-compositrice-interprète montréalaise Djely Tapa repousse les frontières et bâtit des ponts sur son premier album solo, Barokan.

Après des années à travailler en équipe – avec entre autres Afrikana Soul Sister, Zal Cissoko et le cirque Kalabanté –, la chanteuse, qui se démarque notamment par sa voix profonde, chaleureuse et incandescente, se sentait enfin mûre pour voler de ses propres ailes.

«Il était temps, dit-elle attablée dans les bureaux de Métro. Quand un enfant atteint 17 ans, on dit qu’il atteint sa maturité. Après 17 ans sur scène à faire mes preuves et à avoir touché à plein de choses, je pense que ma maturité se faisait sentir.»

Pour l’accompagner dans le projet d’envergure qu’est la conception d’un premier album, elle a fait équipe avec le musicien Caleb Rimtobaye, mieux connu sous son nom d’artiste AfrotroniX, qui a produit et réalisé Barokan. «J’avais chanté quelques chansons avec AfrotroniX. Quand on a terminé de travailler sur son projet, il m’a dit : “Maintenant, c’est à ton tour”.»

Djely Tapa ne tarit pas d’éloges envers son collègue : «C’est mon frère, un ami sur le plan du travail, une âme sœur sur le plan musical.»

Les deux musiciens partagent une vision commune de l’Afrique qui s’inscrit dans le courant de l’afrofuturisme, popularisé dans la dernière année par le succès retentissant du film Black Panther. Cette mouvance, qui existe depuis quelques décennies déjà, évoque beaucoup l’avenir de l’Afrique. C’est un mouvement d’autonomisation puisqu’il invite les artistes afro-descendants à reprendre en main leur vision de ce continent trop longtemps malmené.

«C’est sur ce plan que Caleb et moi on se retrouve, explique la chanteuse. Lui a déjà sa vision de la musique afro-contemporaine. À cela, j’ajoute ma culture et mes valeurs. Je ne veux pas que mes valeurs mutent dans le futur, je veux qu’elles soient enrichies.»

«J’ai un bagage culturel métissé et ça, c’est ma richesse! Comme disait Pierre Falardeau – paix à son âme –, nous sommes Québécois de différentes souches.» – Djely Tapa

Cette vision afrofuturiste se transmet non seulement dans ce mélange musical habile, rythmé et coloré d’électro et de musique sahélienne (blues de l’Afrique de l’Ouest), mais aussi dans les textes que la cantatrice d’origine malienne livre avec fierté et puissance en dialectes malinké, bambara et khassonké.

Barrière linguistique oblige, qu’abordez-vous dans vos paroles, Djely Tapa? L’un des principaux thèmes est la féminité, répond-elle. «Quel que soit le continent, il faut valoriser les femmes, arrêter de dire que la femme a toujours besoin d’aide. Elle est déjà assez forte.»

Ce message féministe est transposé dans le vidéoclip de la chanson titre de l’album, Borokan, qui rend hommage aux vendeuses ambulantes du peuple Bororo. «Quand j’étais petite, on voyait ces femmes, on ne savait pas d’où elles venaient. Chez nous, on n’avait pas cette notion de femme qui voyage seule. Je voyais leur liberté. C’était des femmes entreprenantes. Puis, j’ai fait des recherches sur ce groupe ethnique, il s’agit vraiment d’une belle culture.»

En rendant hommage à leur tradition, Djely Tapa envoie un message fort aux femmes noires, trop souvent associées au stéréotype de la femme soumise, selon elle. «Les femmes noires ont un héritage de femme libre, brave, combattante, belle et douce.»

Barokan, c’est aussi un album qui revendique l’africanité, l’amour, l’instant présent et qui exprime un souci environnemental au sujet de l’eau, «cette richesse qui n’est pas équitablement partagée».

Estimant, comme l’adage que, «pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient», la chanteuse plonge également dans ses racines, notamment dans la pièce Home, qui s’adresse à la petite sœur de sa grand-mère, avec qui elle chantait, dansait et jouait dans sa jeunesse.

La jeunesse, autre thème fondamental de cet album, comme le révèlent quelques mots de français qui y sont parsemés. Comme le proverbe «chaque chose en son temps», récité dès les premières notes de Dya, ou encore la phrase «Demain on sera plus vieilles qu’aujourd’hui, l’âge n’est qu’un état d’esprit», chantée sur la très festive Départ sur la lune.

«La jeunesse est un moment traître. C’est quand on dépasse la trentaine qu’on se rend compte qu’elle est un peu courte, lance la chanteuse en riant. Il faut en profiter au maximum. Permettons à nos enfants de faire des erreurs, permettons-leur de sortir, de prendre de l’air. Arrêtons de les mettre devant des écrans.»
Prédestinée à la musique

Djely Tapa baigne dans la musique depuis son plus jeune âge, appartenant à une longue lignée de griots, un statut traditionnel et héréditaire de communicateur en Afrique de l’Ouest, où elle a grandi avant de s’établir à Montréal au début de l’âge adulte.

La chanteuse est la fille du ­mythique griot et danseur Djely Bouya Diarra et de la célèbre cantatrice malienne Kandia Kouyaté. Ainsi, elle était prédestinée à la musique.

«Le griot, c’est une vocation et une mission sociale, explique-t-elle. J’aime bien répéter que le griot est pour le corps social ce que le sang est pour le corps aimant. Il facilite la circulation, les liens entre communautés et entre humains.»

En tant que seul griotte de Montréal, dit-elle, «c’est un honneur et un privilège» de tenir ce rôle de gardienne de la culture. «Les griots, nous sommes des ambassadeurs et des professeurs, parce qu’il faut transmettre l’histoire dans les chants, les danses et les contes.»

L’artiste, qui soutient être née sur les planches du festival Nuits d’Afrique, ne se surprend pas du regain d’intérêt pour la scène musicale afro-montréalaise. «C’est normal. Ce sont des enfants pratiquement nés ici, ou qui ont grandi ici, qui sont en train d’y évoluer. Plus ces enfants vont grandir, plus les portes vont s’ouvrir, je le sens. Parce qu’on est des Québécois», assure-t-elle, réjouie de cette ouverture.

Djely Tapa est par ailleurs très fière de représenter le Québec à l’étranger avec cet album qui transcende les frontières. Quelques dates de spectacles en avril sont notamment prévues en France.

Barokan
Disponible aujourd’hui
Lancement vendredi soir au Ministère

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