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La fureur de ce que je pense ou la beauté comme bouclier

Photo: Maude Chauvin

Pas vraiment une biographie? Non. Vraiment pas une biographie. La fureur de ce que je pense, c’est toute la force de ce que Nelly Arcan écrivait. Une œuvre inspirée de son œuvre. Un projet imaginé par Sophie Cadieux.

«On n’a pas reproduit l’affiche», précise d’emblée l’actrice. L’affiche, c’est celle que vous avez sûrement vue, qui tapisse la ville, en noir et blanc, sur laquelle Sophie Cadieux pose, étendue, en déshabillé.

Elles ne la reproduiront donc pas sur scène, cette affiche. Elles ne mettront pas non plus en avant la suggestion, la provocation. Ce qu’elles feront plutôt? Transposer sur scène les mots de Nelly Arcan, auteure à l’écriture incroyable, qui a marqué le monde littéraire de chroniques et de quatre romans renversants avant de se donner la mort le 24 septembre 2009.

Elles, ce sont six comédiennes et une danseuse. Sous la direction de Marie Brassard, ces interprètes porteront des extraits de Putain, de Folle et de ce «conte cruel pour jeunes filles» qu’est L’enfant dans le miroir. Ces paroles qui frappent, chamboulent, transforment. Comme un chant, ou un tableau vivant, dit Sophie.

Ça fait un moment déjà que la jeune femme portait ce projet en elle. En débutant sa résidence à Espace Go il y a deux ans, l’actrice s’était demandé quels textes elle avait envie de communiquer au public. Elle avait pensé à ce qui l’avait «définie dans la vingtaine», à ce qui l’avait bousculée «dans son regard de fille». Elle avait pensé à Nelly Arcan. Mais elle s’était aussi dit qu’elle ne voudrait ni d’une pièce sous forme de biographie ni d’un spectacle «qui donnerait des réponses».

C’est à Marie Brassard qu’est revenue la direction de ce projet atypique, délicat. «Marie, qui est une créatrice iconoclaste, voulait, elle aussi, faire une œuvre à partir de celle de Nelly et ne pas se soucier d’avoir une trame narrative autre que ses écrits, se souvient Sophie Cadieux. Tranquillement, quelque chose en est sorti. Car il y a des obsessions chez Nelly; des thèmes qui reviennent, et qu’on voulait explorer.»

Comme la beauté, l’aspiration à cette dernière, la noirceur. Et puis, «la construction du corps, la velléité de tout ça, le rapport ambigu à l’image». Porté par ces thèmes, dit Sophie, le spectacle aura des airs de flottement. «C’est comme si on rencontrait le personnage de l’auteure 10 minutes avant la fin et 10 minutes après. Dans ce moment où le temps est suspendu et où tous les écrits se mélangent.»

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Il n’y aura pas de personnages, pas d’action dessinée. «Les textes sont découpés en canon et en répétitions. Chaque fille a un chant.» Ces chants seront accompagnés par la musique d’Alexander MacSween. Pour offrir un contraste avec les paroles d’une puissance extrême ou pour les rythmer? «Je suis encore trop dedans pour savoir quel effet ça donne», avoue l’actrice.

Mais elle sait que les voix se mêleront. «Son écriture était très maîtrisée, il n’y avait presque pas de points. Le flot de sa pensée était vraiment circulaire. Elle mordait la queue des mêmes images, en les ciselant. On entendra donc plusieurs de ses voix intérieures.»

Parce que chacune des femmes sur scène, Sophie, Christine Beaulieu, Monia Chokri, Evelyne de la Chenelière, Johanne Haberlin, Julie Le Breton et Anne Thériault, a un rapport différent avec ses écrits. Elles en ont discuté beaucoup. «On a été confrontées à cette image de la femme très belle, qui semblait très en possession de ses moyens. Qui, socialement, semblait avoir la beauté comme bouclier, mais qui, finalement, vivait beaucoup ses revers.»

On le sait, l’œuvre de Nelly Arcan dérangeait parfois certaines personnes. «Je trouve qu’on a été très préoccupé de savoir ce qui était vrai et ce qui était faux. D’évaluer le niveau d’autofiction, dit Sophie Cadieux. Même moi, ça m’a tenue à l’écart de son écriture pendant un moment. Finalement, c’est par Folle que je l’ai connue. Je me suis rendu compte de toute la puissance qu’elle arrivait à mettre dans les mots. Et je me suis dit : ‘‘On s’en fout de savoir si c’est vrai ou non, parce que c’est passé dans le tordeur d’une écrivaine.’’ De quelqu’un qui avait sa vision du monde et sa langue à elle.»

Elle répète que ce ne sera pas une biographie. Et si la question de la mort est abordée, c’est uniquement «parce que c’était une de ses obsessions». Car il y aura aussi «une envie de célébrer, une pulsion de vie», promet-elle. «Chaque livre lui coûtait quelque chose à créer. Écrire, c’est lutter, et Nelly Arcan a tout mis là-dedans.»

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La force des mots

Trois des grands romans signés Nelly Arcan

Putain
«Je n’ai pas l’habitude de m’adresser aux autres lorsque je parle, voilà pourquoi il n’y a rien qui puisse m’arrêter, d’ailleurs que puis-je vous dire sans vous affoler…» se présentait la narratrice dans cette autofiction parue aux éditions du Seuil. Une autofiction qui marquait l’entrée fracassante de Nelly Arcan dans le monde littéraire, en 2001.

Folle
Dans ce roman d’une puissance inouïe paru en 2004, une femme adresse une lettre à celui qui l’a quittée, revenant sur leur relation toxique, racontant les suites de cette liaison, sa solitude. Dès les premiers mots, la fin est annoncée. «À Nova rue Saint-Dominique où on s’est vus pour la première fois, on ne pouvait rien au désastre de notre rencontre.»

Paradis clef en main
«On a tous déjà pensé à se tuer. Au moins une fois, au moins une seconde, le temps d’une nuit d’insomnie ou sans arrêt, le temps de toute une vie», écrivait Nelly Arcan en ouverture de son dernier roman, paru en septembre 2009 aux éditions Coups de tête, qui abordait les thèmes du suicide et du désir de vie.

La fureur de ce que je pense
Espace Go
Du 9 avril au 4 mai

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