Culture

Socalled : pèlerinage musical à Odessa

Peu après avoir lancé l’album tiré de The Season, sa comédie musicale mettant en vedette des marionnettes de peluche, l’inclassable artiste montréalais Socalled est de retour avec Tales from Odessa, une autre œuvre théâtrale en musique, dans laquelle il a troqué les peluches contre des ombres chinoises. Cela tout en continuant à préparer son prochain disque. Et une suite à The Season. Et on en passe!

C’était à POP Montréal, en 2011. Socalled, artiste déjà bien connu – et bien aimé – des Montréalais pour ses disques mélangeant entre autres hip-hop et klemzer, proposait The Season, une comédie musicale mettant en vedette des extraterrestres et des animaux de la forêt sous forme de marionnettes en peluche. Au terme de l’unique soirée de représentation de ce projet joyeusement éclaté, Paul Flicker, directeur artistique du Centre Segal, impressionné par le résultat de ce spectacle préparé en à peine une semaine, est venu proposer au musicien du Mile-End de remettre ça pour un spectacle yiddish, cette fois. «Il m’a demandé ce qui m’intéresserait comme sujet, et en y réfléchissant, je me suis dit que j’avais toujours été intéressé par les histoires de l’écrivain russe de descendance juive Isaac Babel et que ça serait cool d’en faire un musical, raconte Socalled dans son français ponctué d’expressions anglophones. Ce sont des histoires écrites vers la fin des années 1920 et qui mettaient en vedette le personnage fictif Benya Krik, le leader d’un groupe de gang­sters du ghetto juif Moldavanka à Odessa. Personnellement, je suis devenu récemment très intéressé, par le biais de la musique, à la culture européenne de l’est des Juifs d’avant-guerre et à la culture yiddish. Quand je suis tombé sur les histoires d’Isaac Babel, j’ai constaté que ça réunissait beaucoup de mes intérêts.»

Un autre de ces intérêts : les… gangsters! «J’ai toujours trouvé que ça manquait, une bonne histoire de gangsters, une bonne version du monde gangster juif, lance l’artiste. J’adore les films de gangsters – je suis un grand fan de Coppola, par exemple. Et j’ai toujours été un peu déçu par les films qui essaient de parler des gangsters juifs, un monde vraiment distinct. Ils ont été importants dans l’âge d’or des gangsters à l’époque d’Al Capone, par exemple.»

Les aventures du gang­ster d’Odessa – une grande ville d’Ukraine – sont donc devenues Tales from Odessa, la prochaine comédie musicale dont Socalled a écrit les chansons, alors que Derek Goldman signe le livret, et Audrey Finkelstein, la mise en scène.

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Comme pour The Season, le spectacle mettra en vedette des marionnettes qui, cette fois-ci, ne seront pas en peluche; on utilisera plutôt la technique des ombres chinoises, œuvre de la marionnettiste Clea Minaker. «Je suis intéressé par les marionnettes pour raconter des histoires, c’est clair, dit Josh Dolgin. J’ai même pensé mettre des marionnettes en peluche là-dedans, mais ça n’aurait pas été dans le bon ton. Pour ce show-ci, le ton, c’est plutôt… C’est une étude de l’ombre et de la lumière, du feu, du soleil, de la noirceur.»

Les histoires d’Isaac Babel étaient écrites en russe et Socalled a composé ses chansons en anglais, mais la pièce sera en… yiddish! Un choix qu’il n’a pas fait à la légère, mentionne-t-il. «Presque plus personne ne parle vraiment le yiddish, même chez les Juifs, sauf peut-être les hassidim… mais ils ne viennent pas nécessairement au théâtre! souligne-t-il en riant. Le spectacle ne s’adresse pas à une communauté religieuse, mais à n’importe qui à Montréal. Ça prenait une bonne raison pour faire un spectacle dans une langue que presque personne ne peut comprendre. Et cette raison, pour moi, c’est qu’on peut imaginer que ce monde-là a vraiment vécu en yiddish, et ç’a donc du sens de mettre des mots yiddish dans la bouche de gangsters d’Odessa.»

Le musicien suit aussi une direction musicale différente de celle de The Season – dans laquelle on trouvait surtout des instruments à cordes – et utilisera cette fois un «ensemble plutôt classique» qui évoquera l’Odessa des années 1920. «Ça sera presque comme un band de village, avec un cymbalum – un instrument très utilisé dans les musiques gitane, juive et klezmer – qui va être joué par un Roumain qui vit à Montréal, maître de cet instrument. Un chef d’orchestre d’origine bulgare jouera de la flûte; on aura aussi deux accordéonistes, et un de Russie et un de Moldavie; un vrai clarinettiste de klezmer, qui va venir de New York pour le show et qui va être le chef d’orchestre», énumère-t-il.

Batterie, violon et basse acoustique compléteront ce «vrai orchestre imaginaire d’Odessa». «Pour la musique, j’ai essayé de retrouver un peu de la saveur de cette époque et de cet endroit… mais pas trop, précise Socalled. Je ne voulais pas faire un pastiche, des fausses versions de la musique ukrainienne. Il y a un petit goût de musique traditionnelle juive et ukrainienne, bien sûr, mais c’est subtil. Je voulais tout simplement écrire de bonnes chansons!»

Et devrons-nous attendre deux ans comme pour The Season avant d’avoir droit à un CD réunissant les chansons de Tales from Odessa? Bonne nouvelle pour les fans : non! «À vrai dire, j’ai déjà réservé le studio pour le lendemain de la fin du show, avoue-t-il. C’est qu’un spectacle du genre, c’est beaucoup de travail. Et c’est dommage si, finalement, ça ne trouve son public qu’un soir ou quelques soirs. Il faut partager, il faut… l’immortaliser!»

En avant la musique!

C’est en 2011 que paraissait The Sleepover, le quatrième album de Socalled si on exclut l’enregistrement de The Season. Mais n’ayez crainte, l’artiste a déjà commencé à songer à son prochain opus.

Il a beau s’être découvert une passion pour la comédie musicale, Socalled ne délaisse certes pas ses fans qui espèrent un nouveau disque où le klezmer rencontre le hip-hop, la pop, le dance et tutti quanti.

«J’ai déjà commencé à faire des connexions, à trouver des beats, révèle-t-il. Je commence souvent par repérer des beats qui me touchent – et au final, je n’en garde qu’environ un dixième. Donc, ça prend un peu de temps à rassembler, tout comme ça prend du temps à réunir les artistes qu’on entendra sur les chansons.»

Rappelons-le, c’est à partir d’échantillonnages de la multitude de disques qu’on trouve dans son appartement que Socalled compose ses œuvres. «Je trouve des sons dans des vieux disques, je mélange, je crée les textures, avec un rythme et un ton, une clé, résume-t-il. Et quand je trouve quelque chose qui marche vraiment, ça commence petit à petit à se transformer en une chanson. À partir de là, parfois j’envoie le matériel à quelqu’un pour trouver des paroles, des fois je trouve des mélodies en échantillonnant, ou je compose, ou quelqu’un d’autre compose une nouvelle mélodie. C’est toujours une exploration.»

Jusqu’à présent, Socalled n’avait pas souvent composé de nouvelles chansons seul devant son piano. «C’est plutôt ce que je fais dans les comédies musicales, précise-t-il. Mais justement, peut-être que le travail que j’ai fait là-dessus dans les deux dernières années va influencer ma façon de construire mon prochain album. En fait, c’est sûr! Le fait de constater que c’était possible d’écrire de vraies partitions, de vrais arrangements pour un instrument, ç’a été comme une révélation pour moi. Alors peut-être que le prochain disque va être plus arrangé, plus… dans le style d’une comédie musicale. Je ne sais pas. On verra bien!»

Néanmoins, ce nouvel opus à venir s’annonce dans la continuité de ce que Socalled a déjà fait sur ses albums à saveur pop, c’est-à-dire «un mélange d’instruments virtuels et de vrais instruments, des collaborations avec des musiciens imprévus et inclassables», décrit-il.

«Sur The Sleepover, j’ai essayé de dissimuler les coutures, de cacher d’où venaient les sons, les styles, ajoute-t-il. Je voulais juste être au service d’une bonne chanson, d’une catchy tune. C’est ce que j’essaierai encore de faire cette fois-ci. Quelque chose d’encore plus difficile à définir… même si les compagnies de disques et les radios n’aiment pas ça!»

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Socalled
Tales from Odessa
Au Centre Segal
Du 16 juin au 7 juillet

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