Soutenez

Bulles aux beaux-arts

Photo: Pascal Colpron


Dès mercredi, le Musée des beaux-arts de Montréal accueillera le 9e art dans son enceinte, avec l’exposition gratuite La Pastèque au Musée, qui souligne les 15 ans de la désormais célèbre maison d’édition québécoise dédiée à la bande dessinée.

Ils sont 15 : Isabelle Arsenault, Pascal Blanchet, Paul Bordeleau, Pascal Colpron, Cyril Doisneau, Patrick Doyon, Jean-Paul Eid, Pascal Girard, Réal Godbout, Janice Nadeau, Michel Rabagliati, Marc Simard, Rémy Simard, Siris et Leif Tande. Quinze auteurs de bande dessinée qui ont publié sous la houlette de La Pastèque, maison d’édition fondée en 1998 par Frédéric Gauthier et Martin Brault, et qui ont tous pondu une œuvre originale inspirée d’une pièce de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), où toutes ces planches seront exposées.

«C’est un peu surprenant qu’une petite maison d’édition soit exposée au musée… mais en même temps, pas tant que ça, parce que La Pastèque a toujours fait les choses en grand», souligne l’illustratrice Isabelle Arsenault, dont la BD Jane, le renard et moi, publiée à La Pastèque et scénarisée par Fanny Britt, vient de remporter le Prix du livre jeunesse des bibliothèques de Montréal.

«C’est un privilège que d’entrer au MBAM… Un privilège qui vient avec une certaine crainte, ajoute Pascal Colpron, auteur de la bande dessinée Mon petit nombril. Un musée, c’est très sérieux, c’est prestigieux aussi, d’une certaine manière. Tu ne veux pas te tromper, faire quelque chose de mauvaise qualité. C’est aussi un défi qui est intéressant, parce que souvent ce genre de crainte te pousse à te dépasser plutôt que de rester dans une façon de faire un peu confortable.»

Les musées et la bande dessinée, on le sait, ont souvent dû se battre contre des préjugés à la vie dure : la BD est souvent vue à tort comme de la littérature «pour enfants», les musées comme étant un peu arides et réservés aux initiés… Une exposition comme celle de La Pastèque pourrait avoir des effets positifs sur ces deux plans, croit Pascal Colpron.

«C’est vrai qu’historiquement, la bande dessinée a été un peu associée à une certaine légèreté, concède-t-il. En général, notamment à La Pastèque, on est dans une mouvance qui glisse un peu plus vers le sérieux, l’adulte, l’introspection. Ça change des choses plus enfantines comme les aventures, les blagues, le comique un peu gnangnan. C’est peut-être pour ça que les auteurs de La Pastèque peuvent être associés plus facilement aux œuvres du musée.»

«La bande dessinée est vraiment en évolution ici, ajoute Isabelle Arsenault. Notre histoire est plus courte que celle des pays européens, mais – entre autres grâce au travail de La Pastèque ces dernières années – la BD a une meilleure place sur le marché du livre. Après 15 ans, on voit déjà une différence.»

MBAM Pavillon Desmarais
L’exposition, gratuite, se tiendra au niveau 3 du Pavillon Jean-Noël Desmarais. / MBAM

Et cette situation n’est pas propre à notre époque, croit Pascal Colpron. «La BD québécoise a foisonné beaucoup dans les années 1970, et les auteurs publiés dans Croc, Pierre Fournier, Réal Godbout, ont commencé à faire des incursions du côté de l’adulte, du sérieux. Il y a une parenté entre ces auteurs qui ont ouvert le chemin dans les années 1970 et ce qu’on voit maintenant. Actuellement, il y a un grand foisonnement, et c’est peut-être à cause des blogues, de l’internet, plateformes complètement gratuites. Ça amène l’art d’un autre côté que celui de la marchandisation, ça explique peut-être le foisonnement et la consommation du public.»

Et si des fanas de BD sont amenés à s’aventurer au musée, c’est tant mieux, même si, selon Isabelle Arsenault, le MBAM n’a pas vraiment de problème d’achalandage : «Chaque fois que j’y suis allée, c’était plein! Ils ont pris une espèce de virage qui vise à attirer les gens au musée; ç’a bien fonctionné et je crois que cette fois ne fera pas exception.»

Pascal Colpron, pour sa part, croit qu’une «aura d’initié» plane toujours sur les musées. «L’art contemporain est peut-être moins accessible au grand public, il y a une espèce d’incompréhension chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Pourtant, il n’y a pas que ça dans les musées, il y a des œuvres assez fortes qui pourraient faire triper les gens. Et la bande dessinée étant on ne peut plus accessible, il est fort probable que cette expo attirera des gens qui, d’ordinaire, ne mettent pas les pieds au musée, mais qui iront peut-être traîner dans d’autres salles, voir des choses qui ne sont pas réservées aux initiés. L’art est fait pour dérouter, pour provoquer, pour faire réfléchir… mais à quoi bon, si l’art est invisible, caché dans un musée que personne ne fréquente?»

Quand un art en inspire un autre

Une sculpture, une toile, un objet d’Art déco, une affiche publicitaire… Le choix des œuvres qui ont inspiré les artistes était très varié, tout comme les résultats. «On a été dans plusieurs directions, pas seulement le format habituel, on a tous un peu exploré les possibilités», explique Isabelle Arsenault.

La jeune femme s’est pour sa part inspirée de la toile Le Far West, de Jean Paul Lemieux, sur laquelle on voit un horizon, un champ, ce qu’on imagine être des vaches… «Je pense qu’à la base, j’étais attirée par le fait qu’il y avait beaucoup d’ouverture, suppose-­t-elle. Le format m’intéressait aussi, c’est un peu panoramique;, le genre de format que j’aime pour mes cases quand je fais de la BD.»

Pascal Colpron a pour sa part arrêté son choix sur la sculpture Mon frère, de la Québécoise Sylvia Daoust. «Je savais déjà que je voulais faire quelque chose qui avait rapport à la famille, parce que c’est de ça que mon travail parle en général, mais plusieurs m’œuvres ont frappé quand j’ai visité le musée, se souvient-il. Ce buste du frère de l’artiste m’a cependant particulièrement fasciné. Ce n’est pas flamboyant, mais il y a quelque chose de très noble. On reconnaît là-dedans un gars ordinaire des années 1930. Notre rapport au passé – en ce qui concerne les gens ordinaires, les ouvriers –, il passe plus par les photographies, mais rarement par les sculptures, qui sont réservées aux éminences, aux hommes politiques d’envergure.»

***
Ils ont dit

WEEKEND_Citation Pascal Colpron_c100«D’ordinaire, je travaille d’instinct, dans la rapidité; là, je me suis permis un processus plus lent, qui m’a donné la chance de décanter. Et je me rends compte que ça donne des résultats encore plus satisfaisants.» – Pascal Colpron

WEEKEND_Citation Isabelle Arsenault_c100«Le médium était un peu différent de ce que je fais d’habitude, puisque j’ai utilisé l’œuvre du musée comme toile de fond dans chaque case et intégré des éléments par-dessus à l’ordinateur. C’était assez inhabituel pour moi.» – Isabelle Arsenault

La Pastèque au musée
Au Pavillon Jean-Noël Desmarais du MBAM
Du 6 novembre au 30 mars

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.