Soutenez

Maïna: briser la glace

Photo: Isabelle Dubois

C’est un film historique. C’est aussi un film qui a d’ores et déjà fait l’histoire.

Réalisé par Michel Poulette, Maïna est en effet la première collaboration cinématographique entre Inuits, Innus et Blancs. Adapté du roman du même titre de Dominique Demers, ce récit initiatique qui parle de différence, d’amour et d’acceptation se déroule peut-être il y a 600 ans, mais son propos est résolument actuel. Entretiens dans le paysage enneigé de Kuujjuaq.

Film peu bavard, film de grandes émotions, Maïna est une œuvre faite d’espaces immenses, de ciel bleu, de blanc de tempête. L’histoire est celle de la Maïna du titre, fille d’un grand chef innu, fille aussi qui ne fait rien comme tout le monde, qui n’a pas froid aux yeux et qui ne veut surtout pas se plier sans discuter aux règles qu’on lui impose. Ainsi, lorsqu’un des amis de sa tribu se fait enlever par des Inuits, elle part sur ses traces, se retrouvant elle aussi coincée au cœur de ce monde qui lui est inconnu. Un monde où, malgré les obstacles, la jeune femme tissera des liens, apprivoisant cette culture qu’elle ne connaît pas, apprenant à connaître ce «pays sans arbres», cette «terre vide et sans couleurs» qui, au départ, l’effraie.

Se déroulant avant l’arrivée des Européens en Amérique, ce long-métrage d’une grande beauté a été réalisé par Michel Poulette. Le tournage, lui, a eu lieu principalement à Mingan, sur la Côte-Nord, et à Kuujjuaq, dans le Nunavik. «On passe de l’été des Indiens des Innus au désert de glace des Inuits», résume le réalisateur pour illustrer l’effet que, dès le départ, il a cherché à créer. Le spectateur traverse ainsi ces deux univers distincts et alterne entre les scènes se déclinant dans une palette de couleurs ocre, baignées dans la lueur des flammes de feux de camp, et celles se déployant dans un monde de givre immaculé.

Maïna

Michel Poulette, Natar Ungalaaq, Dominique Demers, Peter Miller et Ipellie Ootoova revisitant les lieux de tournage. Photo: Isabelle Dubois.

Dans cette œuvre, Poulette, que l’on connaît notamment pour son travail avec RBO et pour ce grand classique qu’est Louis 19, a souhaité aborder un sentiment profondément ancré dans le cœur des êtres humains. Son film s’ouvre d’ailleurs sur une citation de H.P. Lovecraft qui dit: «La plus vieille et la plus violente émotion de l’humanité est la peur, et la peur la plus vieille et la plus violente est celle de l’inconnu.» «En lisant le roman [de Dominique Demers], c’est ça qui m’a intéressé, explique le cinéaste. La peur de l’autre. La peur de l’inconnu. La peur en général. Celle qui fait que, dans la vie, on ne développe pas toujours nos talents. Parce qu’on est inquiet de quelque chose. Parce qu’une situation ou une personne nous intimide.»

Si le réalisateur, lui, n’a pas eu de craintes à surmonter avant de se lancer dans cette entreprise immense, il concède que l’aventure n’a pas toujours été simple. Il raconte, par exemple, qu’il a souvent fallu faire venir des camions pleins de neige et les décharger sur le site du tournage, car il en manquait (de la neige, pas des camions). Il confie également qu’il a dû user d’adresse pour camoufler tous les arbres que l’on trouve à Kuujjuaq et qui obstruaient ce grand vide blanc qu’il tentait de créer à l’écran… «S’il y a quelque chose qui est ressorti chez moi pendant ce projet, c’est à quel point je peux être résilient!» s’exclame-t-il.

[pullquote]

Dans cette épopée, le réalisateur a notamment pu compter sur l’aide de son directeur photo, Allen Smith. Le DP qui, selon Poulette, a «un œil du terrible», a capté la lumière si particulière du Nord et créé des jeux de textures, utilisant vraiment la nature pour donner à l’ensemble une facture et une signature visuelles uniques. Une caractéristique admirable à noter aussi: tous les acteurs s’expriment en innu et en inuktitut. Les dialogues sont sous-titrés, à l’exception de la narration qui se fait en français ou en anglais selon les versions. Soulignons aussi que la neige qui craque de cette façon si particulière quand on marche dans ce coin de pays et le bruit du vent, comme celui de l’eau, sont aussi très présents, tandis que la musique de Michel Cusson et de Kim Gaboury berce le voyage.

Parlant de musique, Dominique Demers, qui a fait paraître en 1997 le roman dont le film est inspiré, dit avoir retrouvé les sonorités de ses mots à elle et leur rythme dans l’œuvre cinématographique. «C’est lent. Il fallait que ce soit lent, explique l’auteure. J’étais contente que mon livre ne soit pas transformé en film américain. Qu’on ait gardé cette lenteur nécessaire.»

Surtout que, si ç’avait été un blockbuster, on nous aurait fort probablement laissés sur un dénouement heureux et un peu trop mignon. Mais Michel Poulette, lui, n’a pas voulu cacher les côtés sombres de l’Histoire. C’est ainsi que, après une finale plutôt positive, il a placé – ce n’est pas un punch – une image incroyablement puissante: celle d’un bateau européen apparaissant à l’horizon et se rapprochant dangereusement de la rive, annonçant de sombres jours pour les Innus et les Inuits. «C’est un film avec un happy end pour les personnages, mais un happy end qui, tristement, ne durera pas longtemps…»

De fierté et d’unité

La semaine dernière, lors de la première de Maïna à Kuujjuaq, de nombreux membres de la communauté se sont réunis dans la grande salle de la ville qui sert aussi de cinéma. Les enfants couraient partout, c’était joyeux, chaleureux, échevelé. Plusieurs ados ont été ravis non seulement par l’histoire d’amour que raconte le film («C’est romantique!»), mais aussi d’entendre leur langue parlée dans une production de si grande envergure. Une fois la projection terminée, certains Inuits sont venus discuter avec l’équipe. «C’est quoi votre nom?» a lancé une jeune spectatrice au réalisateur. «Michel Poulette.» «Ah! Michel Chicken! On a adoré votre film! On est des fans!» «On est des fans depuis aujourd’hui», a précisé son amie avant que les deux ne détalent pour prendre une photo avec les stars.

Parmi ces stars, il y avait Natar Ungalaaq, figure phare qu’on a notamment vue dans Ce qu’il faut pour vivre, de Benoit Pilon. «Est-ce que c’est le vrai Natar?» chuchotaient certains. Oui, oui, le vrai, qui a participé au long-métrage non seulement en tant qu’acteur, mais également en tant que conseiller de langue inuktitut. «Au début, c’était difficile, mais j’ai eu de l’aide des aînés en ce qui a trait au dialecte et à l’élocution», nous a confié l’homme au visage rayonnant.

Ipellie Ootoova, acteur inuit originaire de Pond Inlet, qui joue l’amoureux de l’héroïne a quant à lui souligné l’apport de Maïna à son peuple: «Je crois que ce film va aider les Inuits à être fiers de ce qu’ils accomplissent dans leur région et particulièrement à Kuujjuaq.»

[youtube http://www.youtube.com/watch?v=z0IS9QE3308?rel=0&w=640&h=360]
Maïna
En salle le 21 mars

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.