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Boyhood: une collection d’instants

Photo: Métropole films

La maxime Carpe Diem est omniprésente. Tatouée sur la peau, brodée sur des coussins, reprise dans les livres de fin d’année («Change pas man, carpe diem!»). Mais si c’était l’inverse? Si c’étaient les instants qui nous saisissaient plutôt que nous qui saisissions l’instant? Richard Linklater explore l’idée dans Boyhood.

On a beaucoup parlé du procédé utilisé pour réaliser Boyhood. Il faut dire que la méthode a de quoi fasciner: tourner un film sur 12 ans, à raison de quelques jours par année, avec les mêmes interprètes, dont Patricia Arquette et Ethan Hawke, et surtout un acteur, le principal, Ellar Coltrane, que l’on voit grandir, de 6 à 18 ans… Chapeau.

Mais au-delà de l’exploit technique et logistique, il y a autre chose qui fait de Boyhood un grand film. Il y a la sensibilité de Richard Linklater, cinéaste texan quinquagénaire qui a signé des œuvres devenues cultes comme Dazed and Confused et Before Sunset. Il y a aussi le refus du réalisateur de tomber dans le cliché des premières fois avec cette histoire de «p’tit gars qui devient un homme». Premier baiser, première blonde, premier et cætera. Pas de chichis avec ces choses: soudain, le héros a une copine, soudain, on apprend qu’il en a eu d’autres. Et qu’il a déjà embrassé des filles «à son école d’avant».

D’ailleurs, une observation qui ressort de Boyhood, c’est qu’on fait peut-être fausse route en conseillant à son prochain de «saisir l’instant». Car la vie est faite d’une succession de moments. Des plus gros, oui, mais surtout des plus petits, des plus subtils, qui nous aspirent. Des moments que Linklater a captés ici avec son doigté inégalable: une sortie au bowling en famille, une crise de colère du beau-père, une coupe de cheveux non désirée, un clin d’œil à une fille dans une fête, le départ pour le collège. «Ce film, épique dans son ambition, mais au final quand même très humble, est fait d’une collection de moments intimes», a expliqué le cinéaste dans le cadre d’une conférence téléphonique.

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Dans la catégorie des clichés évités, Linklater s’est également abstenu d’avoir recours à des marqueurs de temps. On ne voit pas apparaître à l’écran de «Un an plus tard!» ou de «2006!». «Je ne voulais pas que le film ait l’air différent à des époques distinctes. Je voulais que la seule chose qui change, ce soient les gens. De toute façon, précise-t-il, c’est comme ça qu’on se souvient de notre vie, non? Dans nos souvenirs, tout le monde change et vieillit. Mais l’ambiance reste la même. S’il y a des mutations dans l’atmosphère, on ne les saisit pas. Elles sont imperceptibles. Et graduelles.»

Si l’on prend l’exemple de Forrest Gump, un autre récit mettant en scène un «garçon qui grandit», on se souvient que l’histoire, qui se déroulait sur 30 ans, survolait de grands événements politiques, oui, mais aussi d’immenses métamorphoses culturelles: la mode, notamment, qui passait de la garde-robe plus sage des années 1950 aux vêtements hippies fleuris, puis aux tenues extravagantes des seventies. Dans Boyhood, tourné de 2002 à 2013, on ne sent pas de grosses révolutions stylistiques. Il n’y a pas eu de bouleversements culturels majeurs en ces 12 ans, estime Linklater… si ce n’est de la technologie, bien sûr. «À l’époque où moi, je grandissais [dans les années 1960 et 1970], ce qui aurait marqué le passage du temps, ce sont les voitures, les coupes de cheveux, les fringues… Là, c’est vraiment la technologie. Les jeux vidéo, les ordinateurs et les téléphones portables. Sinon, esthétiquement, tout était pareil au début et à la fin du tournage. Ça m’a surpris…»

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=Y0oX0xiwOv8]
Boyhood
En salle dès vendredi

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