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Bidonville: ma maison, ma fierté

Photo: Films du 3 mars

Dans Bidonville: architectures de la ville future, Jean-Nicolas Orhon parcourt les continents, étudiant la façon dont les êtres humains se créent un chez-eux, même dans les conditions les plus difficiles. «Pendant le tournage, je me suis posé énormément de questions sur le sentiment d’appartenance qui lie les gens à leur habitation», confie le réalisateur québécois qui, de ses pérégrinations, a rapporté plein de réponses. Et un excellent documentaire.

Au départ, Jean-Nicolas Orhon souhaitait explorer les bidonvilles du monde sous un angle essentiellement architectural. Il s’est donc rendu au Maroc, en Inde, en France et aux États-Unis, dans des lieux où les habitants se débrouillent comme ils peuvent. Sans électricité, ni eau, ni sous. Mais ils se débrouillent. Et ce sont les résidants de ces endroits, de ces «quartiers», comme le réalisateur les nomme désormais, qui ont fini par donner sa couleur au film. Toutes ces voix qui, malgré les obstacles, portent un message pouvant sembler forcé, mais livré avec sincérité et, souvent, le sourire. «On n’est pas riches, mais on est bien.» «Je ne vais pas échouer, je ne suis pas un bum.» «Ça ne vaut rien tout ça, mais à mes yeux, ça a de la valeur.»

Toutes proportions gardées, Jean-Nicolas Orhon s’attendait-il à rencontrer autant de gens heureux durant le tournage de Bidonville? «Non! s’exclame-t-il en riant. Nécessairement, on rencontre du monde, on sympathise, on s’attache… Malgré les difficultés, les gens que j’ai montrés dans le film sont réellement fiers de leur maison.»

WEEKEND_usa lakewood 2180 Credit Christine Lebel_c100

Cette fierté imprègne d’ailleurs les images du documentaire, d’une beauté immense. Une beauté qu’Orhon et son directeur photo Vincent Chimisso ont, oui, sublimée, mais qui était déjà là aussi. «En Inde, par exemple, les bidonvilles sont très colorés de nature. Donc, c’est ce qu’on a présenté», remarque le documentariste. Reste que dans ce choix réside aussi une prise de position artistique, sociale. «Habituellement, quand on présente des architectures modernes, contemporaines, on le fait de façon très léchée alors que les lieux dénigrés, on les montre comme étant trash. Mon but, c’était, justement, de ne pas les filmer trash. Je sais que ça ne fera pas l’unanimité, mais je voulais démolir les préjugés.»

Reste que, si les préjugés doivent être démontés, il ne faut pas non plus «tomber dans quelque chose de romantique», rappelle le cinéaste. «Il y a des quartiers où il y a vraiment de gros problèmes de violence, de prostitution, de drogue, mais je ne me suis pas embarqué dans cette dimension-là.»

Bidonville

La dimension qu’il a plutôt préférée? Celle des personnages, des «histoires humaines», comme on dit. Comme ce couple new-yorkais qui gagnait autrefois un salaire dans les six chiffres. Puis est arrivée la crise. Aujourd’hui, mariés depuis des décennies, toujours amoureux, ils habitent à Tent City, au New Jersey. Là, dans une forêt, une petite communauté s’est créée. Des gens au chômage qui vivent dans des abris de fortune. C’est bancal, c’est triste, mais ça roule. Un révérend charismatique supervise les lieux. Le dimanche, il célèbre la messe sous une tente de toile. Et remercie Dieu pour le barbecue partagé la veille avec ses voisins.

«Le film ne vise pas à culpabiliser, mais plutôt à faire réfléchir à d’autres dimensions de l’habitation. Je pense qu’on a beaucoup de chance ici. Qu’on a un certain confort. C’est bien de savoir que le reste du monde n’est pas comme nous. Parfois, on l’oublie.» -Jean-Nicolas Orhon

 

C’est d’une idée d’Orhon et du professeur de l’UQAM Nicolas Reeves qu’est né le film. Ce dernier observe d’ailleurs dans le long métrage que son intérêt pour le bidonville «est une forme de réaction par rapport aux environnements de type grands ensembles», comme les HLM. Orhon est d’accord: «Si on met des gens dans de hautes tours où il n’y a pas d’espace public, ça ne peut pas marcher.»

Parlant de concepts qui ne peuvent marcher, le réalisateur se rend aussi dans le nord du Québec, à Kitcisakik. Sombre rappel de la façon dont l’homme blanc a imposé ses habitations aux communautés autochtones. «Quand on regarde le plan d’une réserve amérindienne, on voit comme c’est mal fait! se désole le cinéaste. Il n’y a plus d’arbres, les gens sont totalement déconnectés de leur façon de vivre… C’est comme si on était dans une banlieue, ici à Montréal. Ce sont de grands échecs d’aménagement!»

Bidonville

Autre chose remise en question dans Bidonville: le terme «sans-abri», homeless. Un terme qui, comme le remarque à la caméra le journaliste américain Robert Neuwirth, enlève leur spécificité aux êtres humains, fait d’eux une masse et les définit par ce qu’ils n’ont pas: a home, un abri.

Avec cette œuvre, Orhon a d’ailleurs voulu «rendre un peu justice» à ceux qui doivent porter le poids de ce mot. «J’ai rencontré beaucoup de gens super, qui travaillent fort, mais qui vivent dans des quartiers difficiles auxquels on les associe. Ils sont souvent aussi dénigrés que les lieux. Et c’est injuste.»

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