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Quand la politique marque l’enfance

Photo: Télé-Québec

Dans La politique n’est pas un jeu d’enfants, la documentariste Karina Marceau explore ce que vivent plusieurs fils et filles de politiciens. Méchancetés, moqueries, et ce, autant de la part d’autres camarades de classe que de parents de ces derniers et de personnes en position d’autorité. Qui est responsable de ces dérives? Les politiciens eux-mêmes? Les médias? Les anonymes sur les réseaux sociaux? Et si c’était un peu toutes ces réponses? Entretien.

Vous avez réuni à l’écran Sylvie Payette et Paul Ryan pour discuter de l’impact qu’a eu sur leur vie le passage en politique de leur parent respectif [Lise Payette et feu Claude Ryan]. Aviez-vous la certitude que tous les enfants de politiciens vivent des expériences similaires?
Non. C’est sûr que les backbenchers, comme on dit dans notre jargon, ne vivent pas la même chose. Ce sont les politiciens en vue, ceux qui portent des dossiers qui ne sont pas faciles, dont les enfants subissent les conséquences les plus importantes. Ce n’est pas scientifique, le tour que j’ai fait, mais de tous ceux à qui j’ai pu parler, la vaste majorité a trouvé ça difficile. Comme Maïtée Labrecque-Saganash [fille du député du NPD Romeo Saganash]. Elle y a goûté, notamment parce que vient avec ça l’effet du racisme [à l’égard des autochtones], qui est indissociable de son expérience.

Dans votre film, Paul Ryan raconte avoir subi, plus jeune, le spectre contraire de l’intimidation violente, soit la flatterie, les demandes de faveur. Une forme d’intimidation d’un autre genre?
C’est sûr que c’est moins difficile à vivre, mais ça peut être pénible. «Oh, tu diras telle chose à ton père.» «Oh, demande qu’il appelle telle personne.» Les enfants deviennent des messagers. Pour les bonnes ou les mauvaises raisons, on se sert d’eux, puisqu’ils sont plus accessibles. C’est ça que je décris dans le documentaire. Enfin, un des aspects, parce qu’il n’y a pas que ça. Il y a aussi l’aspect de l’instrumentalisation des enfants qui est de plus en plus populaire avec la peoplisation, entre guillemets, de la politique. Ça pogne beaucoup, des politiciens avec leurs enfants sur la scène, ou avec leur famille dans le 7 jours. Pierre Karl Péladeau l’a utilisé allègrement lors du lancement de sa campagne; Justin Trudeau aussi. Il a une belle femme, une belle famille… On est dans l’image. Pas dans le contenu.

On devine la réponse, mais que pensez-vous de ces cartes de Noël que les politiciens envoient et dont vous présentez des exemples à l’écran (Le «Joyeuses Fêtes!» de Stephen Harper; la vidéo d’archives de vœux de Jean Charest…)
En fait… c’est dangereux. Ça fait en sorte que les conjointes, les conjoints et les enfants deviennent des acteurs politiques – de soutien, peut-être, mais des acteurs politiques quand même. Si le politicien a utilisé ses enfants pour dorer son image, ça peut donner un argument de plus aux médias pour aller voir ce qui se passe dans sa vie privée. Mais est-ce que la vie privée des politiciens, c’est ce qui fait des meilleurs débats publics? On vit à une époque où l’on doit débattre de très grands enjeux et prendre de très grandes décisions. Je ne vois pas en quoi voir un politicien avec sa femme et ses enfants à côté d’un sapin de Noël ça enrichit le débat! Mais on joue tous la game. Autant les médias que les politiciens.

«La raison pour laquelle je raconte cette histoire, c’est parce qu’il y a un enjeu d’intérêt public derrière tout ça; un coût démocratique. Il y a des hommes et des femmes qui pourraient faire d’excellents politiciens qui ne sautent pas dans l’arène parce qu’ils ont peur de l’impact sur leur vie privée. Et ça, je trouve ça fondamentalement triste, parce qu’on vit à une époque où l’on a besoin d’hommes et de femmes de qualité qui vont embrasser la chose publique!» – Karina Marceau, réalisatrice

[Après le visionnement de presse de votre film], certains journalistes ont regretté que vous blâmiez aussi les médias pour ces dérives. Est-ce que vous pensez avoir touché une corde sensible?
Ça fait 20 ans maintenant que je suis membre de la Fédération professionnelle des journalistes [du Québec], et je suis TRÈS fière d’être journaliste. Très, très fière. Cependant, je trouve que nous, les gens des médias, on déteste se faire remettre en question. C’est notre travail de le faire, remettre les choses en question, mais quand ça nous touche, on est sur la défensive. Et quand, comme journaliste, on se lève pour dire publiquement: « Je pense que, des fois, on dépasse les bornes», ça ne plaît pas! Nous sommes malheureusement incapables de faire ce qu’on demande aux autres de faire. Je vais me faire tirer la pierre, mais j’ai 42 ans, je suis capable d’assumer mes positions. Je n’aurais pas fait un film comme ça à 25 ans. Il est temps qu’on se pose des questions et qu’on puisse en débattre sans crier au scandale.

Au micro de Catherine Perrin la semaine dernière, Amélie Duceppe [fille de Gilles Duceppe et belle-fille de Jean Doré], a souligné qu’elle avait participé à votre documentaire parce qu’elle «avait souvent été utilisée dans la vie publique et qu’elle n’avait jamais eu un droit de réplique». Est-ce aussi une des raisons pour lesquelles vous avez fait ce film?
Oui. Pour éveiller les consciences et, justement, pour donner la parole aux enfants qui n’ont jamais voix au chapitre. C’est important de les entendre. C’est important aussi de faire comprendre, autant aux gens des médias et au public en général qu’aux politiciens eux-mêmes, qu’il y a des attitudes que l’on adopte sans nécessairement réfléchir et qui font mal. Il ne faut pas s’empêcher de critiquer les décisions politiques. Au contraire! C’est ce que je souhaite! Mais est-ce qu’attaquer les individus, en les traitant d’imbéciles ou de nazis – parce que les qualificatifs pleuvent –, ça fait en sorte qu’on a un débat plus riche? Quand on utilise des caractéristiques pour décrire ou attaquer les individus personnellement, il y a des dommages collatéraux. Notamment pour les enfants de politiciens.

La politique n’est pas un jeu d’enfants
À Télé-Québec
Lundi soir à 21h

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