Soutenez

Félix & Meira: une expérience plus grande que le cinéma

Photo: Funfilm

Avec Félix & Meira, sacré Meilleur film canadien au dernier TIFF, le primé cinéaste Maxime Giroux signe un film empreint de respect, «vraiment montréalais», à la résonnance pourtant universelle. D’un côté, il y a Félix, Québécois francophone, abonné aux p’tites combines, qui cherche ses repères, et dont le père, avec qui il n’entretient pas une relation harmonieuse, est mourant.

De l’autre côté, et pourtant si près, il y a Meira, jeune femme juive hassidique, maman d’une petite fille, amoureuse de la musique que son mari empêche d’écouter. Au hasard d’une rencontre dans une boulangerie du Mile-End, le regard de Félix se pose sur Meira. Laquelle ne peut lever les yeux vers lui, mais qui finira pourtant par le faire, chacun tendant la main, allant voir comment les choses se passent «chez l’autre».

Ce qui rend votre film si fort, c’est qu’il ne parle pas que de la communauté hassidique, mais bien de nos racines à tous, de notre identité, des conflits qu’elle cause parfois, et ce, peu importe nos origines, peu importe notre religion, ou son absence…
Oui. Et le film parle aussi, pour moi, d’immigration. Car si elle finit par quitter sa communauté, Meira deviendra, en quelque sorte, une immigrante. Et elle le fera pour elle, oui, mais surtout pour sa petite fille. Pour qu’elle ait une meilleure vie.

Au Québec, comme un peu partout, l’immigration, ça touche les gens. C’est pour ça qu’on retrouve dans le film cette scène avec deux Hispaniques qui parlent dans un bar, à New York, et cette autre avec la guitariste afro-américaine qui joue dans une gare. On dirait des flashs de réalisateur, des «Woooh! J’ai du fun! je mets ça dans le film!» Oui, c’était pour avoir du fun et pour en donner au spectateur, mais c’était aussi pour montrer que l’histoire de Meira, même si elle fait partie d’une communauté très fermée, c’est l’histoire de beaucoup de gens. Je dirais même, d’une certaine façon, que c’est l’histoire de ma mère, qui a donné sa vie à ses enfants et à son mari, qui ne s’est jamais émancipée et qui s’est réveillée à 60 ans en se disant «finalement, je n’ai pas mené l’existence que je voulais».

Les décors entre les univers de Félix et de Meira semblent se répondre. Chez Meira et son époux, le mobilier est massif, les meubles sont imposants et les rideaux, très lourds, sont presque toujours tirés. Dans la maison du père de Félix, il règne une espèce d’opulence oppressante et poussiéreuse. Est-ce que vous souhaitiez faire le parallèle entre ces deux mondes, le québécois et l’hassidique?
C’est un parallèle, oui, mais c’est aussi un symbole. Je voulais montrer que c’est possible de «naviguer ensemble», mais que ce ne sera pas toujours évident. Il va y avoir des défis, des épreuves, et tant et aussi longtemps qu’on n’acceptera pas – ça va avoir l’air un peu simplet dit comme ça, mais… – qu’on a des bases différentes, ça ne pourra jamais marcher.

J’ai l’impression qu’aujourd’hui on est dans deux discours: soit on voit les gens comme racistes, soit on les voit comme des personnes prêtes à dire qu’on est tous pareils, qu’on est tous humains et que tout est beau. Mais il y a peut-être un juste milieu entre les deux.

Une des images qui revient beaucoup dans votre film, c’est celle de la porte, toujours ouverte, de l’appartement dans lequel habite Félix. Est-ce une chose que vous souhaitiez que les gens retiennent? Celle d’une porte jamais fermée?
C’est quand même une image forte du film, en effet. Ça a été complexe, avec Alexandre Laferrière, le scénariste, de trouver comment faire pour que [Meira] puisse entrer dans l’appartement, donc même trouver le lieu de tournage, ça n’a pas été évident! Mais oui, la porte ouverte…

Un autre élément qui revient, c’est le tapis. Félix raconte à sa sœur qu’il volait des tapis quand il était jeune; et dans une scène-clé, le mari de Meira se laisse tomber sur un tapis très épais.
Ça, ce sont des petites trouvailles d’Alexandre. Le tapis, d’une certaine façon, représente le passé de Félix, la lourdeur. Mais pour le mari de Meira, quand il tombe dessus, même si c’est lourd, ça devient à la fois son drame et sa libération.

«La religion, on le voit, revient dans la société. Si on m’avait dit, il y a 15 ans, quand je faisais des courts métrages, quand je commençais dans le cinéma, que j’allais faire un film sur la religion – il ne parle pas juste de ça, mais quand même –, j’aurais répondu: “Jamais. Ça ne m’intéresse pas. Ça m’intéresse zéro!” Mais ça m’a rattrapé.» – Maxime Giroux, réalisateur et coscénariste

Comme vous le rappeliez tantôt, vous insérez dans votre film un extrait, en noir et blanc, de la guitariste afro-américaine Sister Rosetta Tharpe, interprétant Didn’t It Rain dans la gare de Manchester, en 1964. Une chanson évocatrice depuis longtemps pour vous?
Non! Mais à un moment donné, j’ai vu ça sur YouTube et j’ai trouvé ça hallucinant!!! Dans le fond, c’est ça, la vie: tu es curieux, tu découvres une chose, et celle-ci te mène à une autre chose… Bref, un jour, je suis arrivé sur le plateau et j’ai demandé à la directrice photo Sara Mishara – qui est une juive montréalaise – de mettre la caméra devant l’ordinateur, j’ai parti le truc et j’ai vu toute l’équipe technique s’approcher et faire: «C’est don’ ben hot!!!» Donc, j’ai mis la vidéo dans le film. Parce que, pour moi, c’est l’histoire d’une femme qui s’émancipe. Cette Afro-Américaine qui joue de la guitare à des p’tits Blancs qui se demandent «Mais c’est qui?!» est complètement, complètement libérée. Comme la femme qui danse dans le bar hispanique, d’ailleurs. Et ces femmes deviennent des modèles, entre guillemets, pour Meira.

Vous avez souvent dit en entrevue qu’en apprenant à mieux connaître la communauté hassidique, vous avez découvert à quel point c’est aussi une communauté qui a le sens de la fête. Vous présentez d’ailleurs une scène de danse enjouée, au son de musique klezmer, et un artiste montréalais qui représente parfaitement cet esprit-là, Socalled, apparaît dans votre film. Un symbole, lui aussi?
Socalled, pour moi, c’est un des premiers – des seuls! – artistes de notre génération à faire le lien entre les Québécois francophones et la communauté juive anglophone. Il y a eu Leonard Cohen avant lui. Puis peut-être Martha et Rufus[Wainwright] . Mais Socalled, c’est typiquement un «produit» du Mile-End. J’ai présenté le film au festival de Palm Springs [au début du mois de janvier] et il y avait des gens dans la salle qui criaient : «Hey! It’s Socalled!»

J’avais le désir de faire des petits gestes comme ça, comme d’«amener» Socalled dans le cinéma québécois. Parce que c’est vraiment un film montréalais. Le Montréal que je connais. Le Montréal dans lequel je vis encore.

Justement, on voyage dans ce film entre le Mile-End et Brooklyn, deux endroits hyper hip, où il y a une grande présence aussi de la communauté hassidique. Un autre jeu de miroir?
Ce qui est assez spécial, c’est que mon film se passe dans la communauté Satmar, et les Satmar de Montréal se marient avec les Satmar de Brooklyn, qui habitent dans [le très branché quartier de] Williamsburg! Luzer Twersky [l’acteur qui joue le mari de Meira] vient de là. Son père était un rabbin chez les Satmar de Williamsburg. Quand on tournait là-bas, les gens le reconnaissaient. Et soit ils lui disaient des choses en yiddish pas super cool, soit ils venaient lui chuchoter à l’oreille : «T’as bien fait de quitter la communauté»… C’était vraiment… unique de tourner ce film-là… C’était une expérience plus grande que le cinéma. Plus grande que juste «faire un film».

Félix & Meira
En salle dès vendredi

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.