Soutenez

Tungstène de bile: la charge poétique de J-F Nadeau

Photo: Patrice Lamoureux/collaboration spéciale

«Ma poésie, je la trouve ben simple, dit J-F Nadeau. Je fais vraiment partie d’une caste “tout cuit dans le bec”. Mes mots ne sont pas compliqués. C’est narratif, c’est des personnages.» C’est Tungstène de bile.

Dans l’adaptation scénique de son recueil de poésie, J-F Nadeau dessine des décors en énumérant des bibelots, donne vie au charme poudré enfantin de Drew Barrymore, aiguise des crayons pendant que son acolyte-musicien-bidouilleur Stéfan Boucher chante des airs vieillots. Se transformant de rappeur en starlette simplement en remontant les manches de son gilet ou en enlevant ce dernier, l’acteur, auteur et Zapartiste, qui souhaite rendre sa poésie plus accessible qu’elle ne l’est («c’est quasiment un combat que je mène», note-t-il), fait «émerger toute la beauté du kessé ça». Et c’est beau pour vrai. Vraiment, vraiment.

Quand nous avons vu Tungstène de bile en salle, il y avait des éclats de rire, certes, mais aussi beaucoup de «hmm». Comme des «hmm» observateurs. Est-ce une réaction que vous espériez déclencher?
Je ne suis pas obsédé par la réaction affective, mais c’est sûr que, lorsque j’entends des gens acquiescer, je me dis un peu «mission accomplie!» Quand on parle avec doigté de son intimité, normalement, ça devient universel. J’en ai quelques preuves, donc je suis content.

Au fil de vos 16 poèmes, vous nommez plusieurs célébrités, dont Éric Salvail, Gionta, Maripier Morin, Jean-Marc Parent, Letterman… Un moyen d’amener tout le monde en terrain connu?
Oui, mais les choses changent… Gionta n’est plus là! (Rires) Cela dit, j’aime magnifier le réel, le quotidien. Voir la beauté dans les petites choses, c’est ce qui me permet de vivre. Cette beauté, j’ai envie de la nommer, et il n’y a rien comme un référent super pop pour que tout le monde soit à la même place! Mais c’est un risque aussi. Si quelqu’un ne connaît pas la personne que je nomme, comme Christine Lagarde par exemple, c’est juste bizarre! (Rires)

Avez-vous l’impression par moments de parler d’une (ou à une) génération? Vous mentionnez par exemple le Liquid Paper qu’on attaque sans attendre qu’il sèche ou l’homme portant un «coton ouaté des Natchou». Tout de suite, on est transporté à une époque…
Oui… un peu malgré moi. Je pensais que ça rejoindrait tout le monde! Mais quand des groupes du cégep sont venus nous voir, j’ai compris qu’on les perdait avec nos référents des années 1980 et 1990! Je pensais que le spectacle allait leur parler avec sa liberté, son irrévérence et sa rébellion, mais ils trouvaient ça fucké! On avait l’air de deux oncles foufous sur scène. Ça m’a donné un choc! (Rires)

Les prénoms et les surnoms sont importants dans vos poèmes. Vous parlez d’un «ouragan au prénom unisexe», de surnoms d’adolescence «teintés d’anglais», d’hommes qui se nomment Pierre Pierre ou Bernard Bernard, du projet de «donner aux enfants des noms de boxeurs». Pourquoi les noms vous fascinent-ils tant?
Je ne sais pas pourquoi, je tripe là-dessus! Il y a un jeu que je fais depuis que je suis tout petit, c’est de deviner le nom associé à une face. Mais sinon… je ne sais pas! C’est un peu le même trip que de nommer des personnalités connues ou des marques. Je pense qu’inconsciemment, je veux vraiment rendre ma poésie beaucoup plus accessible qu’elle l’est. C’est quasiment un combat que je mène et que je ne m’avoue pas.

Il y a aussi plusieurs animaux qui apparaissent dans vos textes: des crocodiles, des tigres, des mouettes, des hippocampes… Pourtant, le personnage qui s’inquiète de la disparition des espèces, c’est votre rappeur un peu douchebag qui se demande: «Petit panda, pourquoi tu disparais, t’es tellement doux.» Avez-vous une préoccupation pour la survie des animaux, mais, ne voulant pas la rendre quétaine, vous l’avez rendue un peu marrante?
Peut-être… En fait, non, je l’assume complètement! J’ai longtemps été adepte de sciences naturelles. Je faisais un herbier, j’étais ben peace. Même que je voulais étudier en bio! Mais j’ai réalisé, jeune, que si je [me spécialisais] là-dedans, je serais trop en colère. Que les gens ne m’écouteraient pas. Déjà, je constatais que la nature n’était pas respectée et qu’on voyait plutôt un potentiel économique dans tous ces milieux. Donc, je suis allé en arts. Là aussi, je suis en colère… mais différemment.

Dans vos poèmes, vous montez des décors avec vos mots. Lorsque vous parlez du «plat à bonbons, des verres à saké, des bibelots du faux aquarium», tout de suite on imagine la pièce dans laquelle vous êtes. Trouvez-vous qu’on a tendance à sous-estimer la capacité d’imagination du spectateur? À lui en mettre plein la vue?
C’est sûr! C’est un fléau! On explique beaucoup trop les choses. Pas juste avec les objets, mais avec les situations, les émotions. Et je comprends qu’il faut parler au plus grand nombre possible, mais… Cela dit, les objets très ordinaires, les cuillères, tout ça, ça me fait vraiment triper. Je suis fasciné par l’amour que je porte à des objets perdus et à des petites affaires dans ma maison dont je ne me sers plus du tout, mais dont je suis incapable de me départir.

Vous avez beaucoup de tendresse pour vos personnages, dont Drew Barrymore que vous incarnez avec brio. Votre relation avec cette actrice?
Oh, je tripe dessus! J’ai toujours été fasciné par ces starlettes un peu dans la déchéance, très extraverties, un peu dans la drogue, qui en font trop. Je les déteste, mais en même temps… je tombe dans le panneau.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.