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Vice Photo Show : près de l’action, loin des écrans

Photo: Brett Gundlock

Tout le monde peut prendre une photo. Encore faut-il lui donner une signature. Un contexte. Un impact. Sans déformer la réalité. Dire quelque chose sur notre époque. Présenté sous le thème du «nouveau photojournalisme», le Photo Show annuel de Vice propose de plonger dans l’univers des reporters pros de l’image. Ceux qui se tiennent loin des clichés de brunch, de couchers de soleil. Et s’il y aura dans cette expo des images d’animaux, ce ne seront certainement pas celles d’un chat jouant du piano avec ses pattes.

Chaque année, le Vice Photo Show choisit un thème. Il y a eu «nature morte». Puis «collaborations». Cette année? «Le nouveau photojournalisme».

Pour l’occasion, le média alternatif au statut culte a conclu un partenariat avec Magnum Photos, cette renommée coopérative photographique créée en 1947 par, entre autres, nul autre que Robert Capa et Henri Cartier-Bresson. Larry Towell, premier Canadien à faire partie de Magnum, agit à titre de co-commissaire de l’expo 2015. À ses côtés, on trouve un enfant de Vice : Rafael Katigbak, rédacteur en chef.

Résidant à Toronto mais originaire de Montréal («La ville me manque!»), Rafael confie suivre de près, année après année, la sélection du World Press Photo. Il se dit également impressionné par le travail de Brett Gundlock, artiste qui fait partie du Show présenté au Centre Phi. «C’est l’un des premiers photographes d’ici – et de ma génération – sur lesquels j’ai vraiment accroché», remarque-t-il. À ce sujet, il rappelle le reportage, repris par sa publication, que Gundlock avait réalisé sur des skinheads de l’ouest du Canada. «En voyant son travail, j’ai fait: “Holy shit, c’est tellement fou!” Comment a-t-il réussi à obtenir accès à ces gens?» se souvient le rédacteur en chef, encore fasciné que le photographe ait alors réussi à montrer «que, malgré leur vision du monde fuckée», ses sujets avaient une vie relativement ordinaire, avec des blondes, des enfants… «Ce qui m’intéresse dans chaque histoire, c’est de voir l’autre côté de la médaille. La complexité. Aller au-delà du noir et blanc.»

«Je trouve important d’organiser des expositions de photos. Pour forcer les gens à se sortir la tête de leurs cellulaires et de leurs ordis, afin de faire face à une œuvre d’art dans sa forme physique. C’est la même raison pour laquelle j’aime les photographies imprimées dans des magazines. On peut passer du temps avec elles, s’en rapprocher, s’en éloigner et en retirer tout autre chose que d’une image vue sur un écran.» – Rafael Katigbak

C’est connu: Vice a fait sa marque en se posant comme participant à part entière aux événements. «Le propre du grand photojournalisme, rappelle le rédacteur en chef, c’est de réussir à nous plonger dans un monde, à nous faire entrer dans le cercle des sous-cultures. C’est rapporter l’histoire en étant pris à l’intérieur plutôt qu’en nous trouvant à plusieurs kilomètres de la ligne de front. Nous, on veut être là. Avec les gens.»

Oui, d’accord, tout le monde, ou presque, a un appareil photo, concède Katigbak. Et tout le monde peut «être là, avec les gens». Mais tout le monde n’a pas l’œil. Pouvoir appuyer sur un déclencheur ne signifie pas forcément «savoir le faire de manière experte». «Nous sommes bombardés de photos d’Instagram, de Facebook, de tout. Ces images font exploser nos téléphones et nos globes oculaires», rappelle-t-il. Mais dans cette avalanche, les photoreporters se distinguent, juge-t-il, par cette capacité à toujours pointer leur objectif et à attirer les regards sur ce qui est important ou, du moins, sur ce qu’ils jugent, eux, important. À dire : “Regardez! Là!” «Parce que nous sommes assommés de photos de plats, de chats, de jambes sur la plage, nous avons besoin d’eux pour dire : “Heille! Ces photos-ci sont cruciales, c’est à celles- que vous devriez faire attention!”»

Pour cette expo, le rédac’ chef, épaulé par Larry Towell, a fait attention, lui, à ce que montraient des artistes canadiens. Comme Mauricio Palos, membre du collectif torontois Boreal Collective, «un des meilleurs groupes de photojournalistes qui existent», selon Rafael. Dans sa série, La Ley del Monte, Palos nous amène au Mexique, dans le Michoacán, là où le sublime côtoie le sordide. «Ses images sont puissantes. On y perçoit, à travers les instants de tragédie, les moments de beauté, de vie et de bonheur. Les grands moments.»

Dans son Show, le co-commissaire a aussi mis en lumière une série de Dominic Nahr, Seeking Refuge in Irak, consacrée, comme son titre indique, au quotidien des réfugiés irakiens. «Des victimes oubliées de la guerre qui s’entassent à 10 dans une même pièce dans des conditions de vie médiocres.» Également à l’honneur? Le Torontois Aaron Vincent Elkaim qui, pour Sleeping with the Devil, s’est rendu dans une communauté autochtone du nord de l’Alberta. Un lieu où les habitants «doivent trouver un équilibre entre leur mode de vie traditionnel, leur désir d’obtenir du travail» et la triste réalité voulant que ceux qui offrent lesdits emplois soient «les pétrolières qui détruisent leur environnement».

Affirmant qu’il prend souvent des clichés mais qu’il n’oserait «ja-mais-!» se qualifier de professionnel, Katigbak se dit admiratif à l’infini de ces photoreporters qui «feraient n’importe quoi pour monter dans un avion et être sur place». «Ils ont un dévouement absolu. Une indépendance sauvage. Une capacité à se déraciner de leur univers pour s’enraciner dans un autre. Pour vivre avec des inconnus, poser des questions difficiles et rendre compte de la situation d’une façon dont les mots ne peuvent le faire.»

«Les jours où un photoreporter recevait 10 000$ pour une série et avait six mois pour la réaliser sont pas mal finis, enchaîne-t-il. Tout le monde veut des images à bas prix, vite, maintenant. C’est plus dur que jamais d’exercer ce métier… mais aussi plus essentiel que jamais.»

Infos
Au Centre Phi
Jusqu’au 31 juillet – Entrée libre

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