Soutenez

Sigolène Vinson: complexe sérénité

Photo: Yves Provencher/Métro

«Hier, j’avais un caillou dans la chaussure. Je ne l’ai pas retiré de la journée.» C’est sur ces mots que commence le roman d’une poésie immense de Sigolène Vinson, justement intitulé Le caillou, dans lequel une jeune femme rêve de «s’enrocher», et de se transformer, tranquillement, en pierre.

La narratrice du Caillou trouve le ciel «morne et débile», passe ses journées chez elle et ne fout rien. Jusqu’à ce qu’une rencontre change son quotidien vécu en solitaire: celle avec son voisin, mystérieux homme âgé habitant un appartement qui sent la mer, et qui la dessine à son insu. Sa disparition soudaine, de sa vie, de la vie en général, mènera la jeune femme jusqu’en Corse. Là, dans ce paysage rocailleux, elle se mettra à la sculpture, et acceptera la vieillesse qui viendra comme un cadeau. Une délivrance. De toute façon, «tout ce que nous inventons pour nous protéger de la vieillesse nous fait vieillir plus vite».

Ayant «grandi en Afrique dans un endroit de désert, de mer et de soleil» et «vécu quatre ans en Corse», Sigolène Vinson, ancienne avocate, chroniqueuse judiciaire pour Charlie Hebdo, parle ici d’une vie à contre-courant, dénuée de folles ambitions, de course insensée, de crainte du temps qui passe. «Je voulais raconter une histoire douce, explique l’auteure, tout aussi doucement. J’ai écrit avec beaucoup de sincérité et… enfin c’est bête, mais avec pas mal de sagesse aussi. J’avais l’impression d’être une vieille femme au bord de la mer, retirée des humains. En paix. Avec les autres, avec elle-même. Sereine.»

Donc, s’endormir à 38 ans pour ne se réveiller qu’à 80, comme votre narratrice, ce n’est pas une peur que vous avez?
Non. Je ne l’ai pas. Plus jeune, j’avais peur de vieillir. Maintenant, je ne demande que ça. Enfin, pas que ça… mais d’accéder à une sorte de plénitude, oui.

Est-ce que l’écriture vous aide à le faire?
Sans doute… Quand j’écris, je suis au calme, je suis bien. En tout cas, je ne souffre pas. Plus jeune, j’ai joué à l’écrivain torturé. Je pensais bêtement, mais comme tous les ados, qu’il fallait souffrir pour bien écrire, être dans la douleur. Puis, en prenant de l’âge, on s’aperçoit qu’on n’écrit pas mieux torturé…

Vous choisissez la Corse comme décor de votre roman. On imagine que c’est pour ses paysages rocailleux magnifiques, ses gens aussi?
Oui. J’étais fascinée par l’ennui de ceux qui y habitent et, en même temps, par leur philosophie de l’ennui, par le sens de la poésie qu’ils ont. Ils ont un langage très imagé. Beaucoup d’humour aussi. J’aime leur façon de défendre leur littoral. Je trouve ça très important.

«J’ai du mal avec l’expression orale, bien que je sois une ancienne avocate. J’ai du mal et j’aime bien que ça passe par autre chose. Les yeux, la peau, une gestuelle.» – Sigolène Vinson, confiant que, comme sa narratrice, elle est une femme de peu de mots

Vous parlez de l’ennui. Dans votre livre, il s’agit presque d’un art. Vous l’avez voulu ainsi?
L’ennui est un art, oui, qui peut mener, justement, à l’art! Dans mon enfance, par exemple, tous les moments où je me suis ennuyée sont les moments où j’ai rêvé, en fait. D’une autre condition, d’une autre vie. Je me souviens de longs dimanches où je n’arrêtais pas de dire à mes parents: «Je m’ennuiiie!» Je les voyais désespérer, mais je trouve ça important de s’ennuyer! Sans pallier ça par la télé, ou des jeux. Le pur ennui, quoi!

Chez les adultes, c’est vrai que dire «Je m’ennuie» est plus rare. Trouvez-vous qu’à un certain âge, ça devient tabou?
Oui! On ne s’ennuie plus, adulte. On ne prend plus le temps. Ou on refuse de le faire.

L’alcool est très présent dans votre livre, de la bouteille de Glenmorangie, symbole d’un amour qui n’a jamais pu fonctionner, à tout le pastis qui se déguste dans les bars. Trouviez-vous que ça donnait une liberté aux personnages?
Oui, surtout que la narratrice, elle, ne boit pas…

Mais elle aime les gens qui boivent…
Oui! (Sourire) Moi non plus, je ne bois jamais d’alcool… Je suis incapable de lâcher prise. Je peux laisser mon esprit divaguer, rêvasser, mais perdre le contrôle, c’est difficile. L’alcool me permettait de marquer encore plus l’ennui de ces personnages qui, au lieu de sculpter une roche pour n’aboutir à rien comme la narratrice, boivent.

Est-ce que votre livre est une ode aux bons voisins? Votre narratrice remarque au sujet du sien: «Je le trouvais plutôt sympathique. Il n’était pas raciste. Souvent les voisins sont racistes.»
Je voulais amener l’idée qu’on peut aimer son voisin, même quand il est âgé et que son appartement sent la marée… (Sourire) C’est vrai qu’en tant que voisin, on est souvent celui qui fait du bruit, celui qui cuisine, celui qui marche avec des talons à 3 h du matin. On est l’étranger qui dérange. On a tendance à ne pas s’aimer… et je trouve ça vraiment bizarre!

Vous mentionnez souvent la tenue de nuit de votre protagoniste. Ce t-shirt qu’elle porte sur… rien. Pour accentuer sa solitude?
C’est ça. Sa solitude. Elle ouvre sa porte dans cette tenue, pas parce que ça ne la dérange pas, mais parce qu’elle oublie que les autres existent. Peut-être parce qu’elle n’a pas peur du ridicule non plus?

Dans votre livre, vous explorez l’idée du «moyen pour tenir». Une activité, une passion, grande ou petite, que chacun nourrit, et qui lui permet de traverser la vie. Ça peut être banal: vous proposez par exemple «d’arroser des plantes sous la pluie». Est-ce un concept qui vous travaille depuis longtemps?
Oui! J’imagine que chacun fait comme il peut, en fait, avec la vie. Je suis très heureuse de vivre, mais je trouve ça compliqué. Chacun fait comme il peut. Et effectivement, arroser des plantes sous la pluie, c’est un moyen de tenir…

Et quand vous avez un caillou dans votre chaussure, vous l’enlevez?
Eh bien, il n’y a pas si longtemps, j’en ai eu un dans mon espadrille, et je l’ai gardé longtemps… Je ne sais pas si j’avais la flemme de l’enlever ou si je voulais sentir… qu’il y a toujours quelque chose pour venir gripper la machine.

Sigolène VinsonLe caillou
Aux éditions Le Tripode
En librairie

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.