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Gaspar Noé: Love buzz

Photo: Collaboration spéciale

Depuis sa première à Cannes, Love a fait parler, parler, parler. Du «ew» pseudo non choqué au «waouh» fasciné, la romance en 3D de Gaspar Noé a tout récolté. All you need, tout ce dont vous avez besoin, c’est Love?

Il est habitué à créer des remous et à diviser solidement les opinions. Mais lorsqu’on le rencontre à l’occasion de son passage au dernier FNC, à Montréal, Gaspar Noé confie que, quand même, les réactions post-Love «l’ont un peu surpris». Tant de bruit? Pour des scènes de sexe? Vraiment?

Dans son quatrième long métrage, le plus personnel, peut-être, le plus romantique, assurément, certains ont vu de la pure provoc. D’autres, juste un désir de choquer. Pourtant, ce que le cinéaste français d’origine argentine souhaitait avec ce film, c’est simplement illustrer, dans toute sa complexité, «l’expression de la passion amoureuse». Celle qui tord les boyaux, fait perdre la tête. La vraie folle passion, quoi. «On a tous plus ou moins connu ça, remarque-t-il. Et la plupart des gens se sont brûlés vifs, même s’ils ne le disent pas.»

Celui qui se brûle ici, c’est Murphy. Un Américain à Paris. En ce premier janvier, ouais, nouvelle année, il se réveille. Son bébé pleure. Il a encore l’esprit perché quelque part dans les vapes de la drogue de la veille. Grâce aux multiples retours dans le passé, on comprendra pourquoi. «C’est comme si tu voyais la face cachée de la lune, remarque le réalisateur. T’es dans la tête d’un beau gosse, un peu crétin, un peu sympa. Il a plein de qualités, mais aussi quelques défauts. Du coup, tu t’identifies à quelqu’un qui est ton antagoniste.» Beaucoup s’identifient, oui… mais honnêtement, pas tout le monde. «Il y a eu des réactions masculines un peu énervées. Surtout des journalistes mecs un peu plus âgés, sourit le cinéaste. Peut-être parce qu’ils sont jaloux de la vie du jeune étudiant américain?»

Justement, dans le film, ledit étudiant – incarné par l’acteur américain Karl Glusman – découvre ses nouveaux quartiers parisiens et apprend certaines mœurs qui lui sont étrangères. Dans une scène d’amour, il remarque, ravi, «I love Europe!» Dans une autre scène, de bataille celle-là, il crie «I’m an American! Fucking France!» Trouvez-vous que les différences culturelles se sont transférées de la vraie vie à l’écran?
Il fait un peu cowboy avec son chapeau, Karl! (Rires) Après, comme les dialogues n’étaient pas vraiment écrits, on a improvisé beaucoup de choses sur le plateau. Il y a des blagues qu’il faisait sur ses origines ou même des blagues un peu lourdes sur la France que je trouvais drôles, et que j’ai gardées. Effectivement, c’est des conneries que les Américains peuvent dire. Pas besoin de les pousser et de leur donner une bière pour qu’ils en sortent des comme ça! (Rires)

Dans vos entrevues, vous faites fréquemment référence à «vos amis». Vous avez notamment répété que Love, c’était une façon de représenter le sentiment amoureux tel que «vos amis et vous l’aviez déjà vécu». Pourtant, dans vos films, les personnages principaux ont peu d’amis, voire aucun. Outre Love, on pense à votre premier film, Seul contre tous, ou à Enter the Void, dans lequel vous présentiez une amitié marquée par la trahison, qui tournait atrocement mal. Pourquoi?
Oui, ils ont souvent des super potes… qui deviennent un peu traîtres dès qu’ils le peuvent! Dès qu’ils peuvent baiser la copine du rôle principal, ils ne se gênent pas. Mais c’est un peu comme dans la vie, hein? (Rires)

Donc, vous ne croyez pas à l’amitié?
Je crois à l’amitié! Je crois à l’amitié! Mais il faut juste savoir de quoi est faite l’espèce humaine! Je n’ai pas une vision très chrétienne de la vie. (Sourire)

«Une fois que tu filmes les gens qui te fascinent le plus dans la vie, ça devient encore plus flagrant qu’ils ont quelque chose que les autres n’ont pas. C’est le timbre de voix, c’est la gestuelle, c’est leur naturel.» – Gaspar Noé, sur le fait qu’il déniche fréquemment ses acteurs, souvent non professionnels, dans des bars, par exemple, ou au hasard d’une rencontre.

Votre héros s’appelle Murphy. La loi qui porte son nom, vous y croyez? (La loi de Murphy, un célèbre adage qui dit, notamment, que si on échappe sa toast, elle tombera forcément du côté beurré)?
Non, je n’y crois pas. C’est une loi de paranoïaques. Il faut toujours envisager le pire pour être content de ce qui se passe de bien. C’est plus facile d’envisager le pire, mais il ne faut pas se laisser paralyser par ça.

Et sur un tournage, vous avez la même philosophie?
Je suis confiant en général. Quand j’étais adolescent, j’ai fumé de la marijuana en grande quantité. Mais aujourd’hui, si j’en fume, je deviens totalement paranoïaque, je ne vois que des dangers et des problèmes partout. Du coup, tant que je suis de bonne humeur et que je bois de l’alcool, ça va! Après, c’est bizarre, avec l’âge on devient plus tranquille. Des fois aussi, le fait d’avoir vu des gens proches mourir nous amène à relativiser les dangers, la peur de la mort…

En conférence de presse, à Cannes, vous disiez que Love avait été «fait dans la bonne humeur». Vous aviez alors lancé votre fameux : «Même l’éjac’ faciale est joyeuse!»
Oui… (Rires)

Est-ce que vous diriez que l’ambiance qui régnait sur ce plateau était différente de celle de vos films précédents?
Non. Sauf peut-être Seul contre tous, que j’ai fait tellement sans argent que c’était épuisant, tous mes films, je les ai faits dans la joie. Et ça se voit dans le résultat. Dans Love, tous les dialogues et les voix off drôles ont été improvisés par Karl. Tu sens qu’il avait envie de rigoler. Et moi aussi! Même si le film est très sentimental.

Vous avez inséré plusieurs références à vous-même et à vos proches. Murphy, c’est le nom de famille de votre regrettée mère. Le nom de votre sœur est utilisé, celui de votre père aussi. Pour créer un lien plus fort?
C’est des private jokes, mais elles ont fait en sorte que je me sentais plus proche du film. C’est comme si, pour brouiller les pistes, j’avais mis tous les noms dans un petit sac et que je les avais attribués au hasard. J’ai aussi prêté des vêtements à Karl. Et les affiches qui sont dans son studio, ce sont toutes des affiches de cinéma et de films que j’aime. Du coup, c’est comme s’il était une extension de moi. Même s’il n’est pas moi.

Votre protagoniste dit par exemple à quel point il adore 2001, L’odyssée de l’espace, qui est, comme on sait, un film marquant pour vous.
Voilà, voilà. C’est une parodie pas trop cruelle de ma propre personne. (Rires) J’ai un peu d’empathie pour moi-même!

Cet été, en entrevue à la radio France Inter, l’écrivaine Virginie Despentes – avec laquelle vous préparez, paraît-il, un projet – confiait à quel point elle avait aimé Love et à quel point ça l’énervait que votre film soit classé 18+. Elle disait aussi qu’étrangement, les critiques se sont mis à célébrer ses livres au moment où elle a mis moins de sexe dedans. La même chose pour Houellebecq. Est-ce que vous avez observé le même phénomène? Moins il y a de sexe, plus les critiques aiment?
C’est bizarre. Je trouve que, malgré la libération sexuelle des années 1970, une forme de censure tacite s’est installée. On a le droit de montrer et d’écrire des scènes de sexe, mais les gens se sentent toujours envahis par la sexualité des autres. Du coup, la représentation de l’acte sexuel a été sectorisée à des vidéos très particulières auxquelles n’importe quel gamin peut accéder par l’internet. C’est comme si l’état amoureux avait été dissocié de la communication. En général, il n’y a plus de magazines érotiques, il n’y a plus de cinéma érotique, et dans les films, quand les gens s’aiment, ils parlent beaucoup, puis ils s’embrassent, et tac! On passe au lendemain. Soit ils ont fait un enfant, soit ils n’en ont pas fait. C’est bizarre, il y a un côté très conservateur dans notre société.

Love
En salle dès vendredi

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