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FELT: Plus forte que la peine

Photo: Jason Banker

Au cœur de San Francisco, une jeune femme s’improvise superhéroïne pour tenter de panser ses plaies. Mêlant romance, horreur et vengeance, FELT est à classer dans la catégorie… «à part».

Le cinéaste Jason Banker a rencontré Amy Everson dans un bar de San Francisco. Il a été captivé par son attitude, par son magnétisme, par l’originalité de ses gestes, de ses paroles. Il l’a approchée, a appris qu’elle était artiste visuelle. En découvrant son travail, il a été soufflé. Car, dans ses œuvres, la jeune femme aborde de façon frontale les séquelles laissées par les relations abusives de son passé.

C’est une histoire inspirée de la sienne, portée par la principale intéressée, que présente Jason Banker dans FELT. Le cinéaste venu du documentaire (un style qui a teinté son thriller d’horreur Toad Road, récompensé à Fantasia en 2012) a pour ce faire opté pour un mélange de fiction, d’improvisation, de sections oniriques et de passages tirés du journal intime de sa protagoniste. «Ma vie est un satané cauchemar. Chaque fois que je ferme les yeux, je revis le traumatisme. Je ne sais plus ce qui est réel. Tout est flou. Je marche comme dans un rêve. Hantée par un fantôme», explique-t-elle en introduction.

Expérience chavirante, cette œuvre à la fois dure, réaliste et atmosphérique, parsemée d’éléments issus de l’épouvante, a une esthétique influencée par les véritables créations de son héroïne. Du reste, le thème des superhéros y est fort présent. Car Amy se réinvente et trouve sa force en enfilant des costumes étonnants. Poulet géant dans une scène, dragon dans une autre, elle met un masque de jute, puis revêt un léotard couleur chair qui la transforme en homme nu, musclé, devenant ainsi une autre, ou une autre version d’elle-même. «On pourrait être comme Batman et Robin!» lance-t-elle d’ailleurs à une amie, tentant de la convaincre de jouer le rôle de justicière à ses côtés.

Mais les missions dont Amy rêve sont différentes de celle de sauver le monde : parfois, elle décrit avec force détails des actes violents qu’elle ferait subir à des hommes. D’autres fois, elle déambule sans dire mot dans la forêt de Redwoods, située à une heure de San Francisco. Une ville dans laquelle se passe l’essentiel de l’action; où Amy rencontre des types lors de «dates désastreuses», comme dit le réalisateur. Certains de ces rencarts ratés ont été captés en direct par Jason Banker. D’autres ont été inspirés de faits vécus. Comme cet échange avec un gars qui lui lance : «La drogue du viol n’existe pas. C’est comme le père Noël.» «Ce n’était malheureusement pas difficile de trouver des hommes qui se comportaient mal», soupire le cinéaste. Entretien.

Vous avez raconté avoir été d’emblée fasciné par Amy Everson lorsque vous l’avez croisée dans une soirée. Est-ce qu’il vous a fallu mettre cette fascination de côté pendant le tournage ou vous a-t-elle guidé tout au long de la création?
Sans contredit, elle a guidé le film, plus que tout. D’une certaine façon, c’était ma muse. Je me suis laissé porter par elle, pour voir jusqu’où ça me mènerait.

«Je suis intéressé par l’idée des alter ego, par les personnalités multiples et par les façons dont on cache son identité pour devenir quelqu’un d’autre.» Jason Banker, réalisateur


Avez-vous senti qu’à certains moments, c’est elle qui vous dirigeait plutôt que l’inverse?

Oh! Absolument! Il y a eu des moments où je voulais filmer une scène d’une certaine façon et elle me disait : «Oh, non, non, non! Ce n’est pas bon!» Ensuite, on en discutait. Je lui demandais ce qui ne lui plaisait pas, elle me le disait, on corrigeait le tout. Ça faisait partie du truc : son point de vue et mon point de vue fusionnant pour former un autre tout.

Vous n’expliquez pas le passé, les abus qu’elle a subis. Est-ce une chose que vous avez choisie d’emblée : ne vous concentrer que sur son présent?
En fait, on avait pensé recréer des scènes expliquant les causes de son traumatisme. Mais on n’arrivait pas à trouver le bon acteur, et au final, on a senti que ce n’était pas nécessaire de le faire. J’ai fini par placer son monologue en voix off, en ouverture du film. C’était fort. Et suffisant.

Dans une scène pivot, Amy montre sa chambre, remplie de ses œuvres d’art, à un garçon qu’elle aime bien. Il découvre ses pièces, captivé, dont «un fœtus de Hitler avorté». Est-ce que les réactions du garçon sont similaires à celles que vous avez eues?
Définitivement. Je pense d’ailleurs que c’est dans ce personnage qu’on retrouve des parcelles de moi. Cela dit, je laisse toujours mes acteurs être ce qu’ils veulent. Je veux que tout soit aussi réel et naturel que possible. Mais oui, entrer dans la chambre d’Amy, c’était toute une expérience pour moi. Donc, on l’a recréée avec l’acteur devant la caméra.

Aussi extrêmes soient ses gestes, vous ne jugez ni Amy, ni ses actions. On imagine que vous ne vouliez ni condamner, ni encenser la façon dont elle compose avec la douleur?
Comme je viens du milieu du documentaire, je tente de ne jamais juger les gens avec lesquels je travaille. Les êtres humains sont complexes. C’est très difficile de filmer une personne et de ne pas la présenter d’une manière ou d’une autre. Mais j’essaye de demeurer sensiblement neutre. Car… oui… Les êtres humains sont complexes…

Votre film parle de misogynie, de la difficulté à être acceptée en tant que femme. Trouvez-vous qu’il parle aussi du stigmate associé au fait d’être artiste? Lors d’une de ses dates, un homme lance à Amy que lui est ingénieur et que lui contribue à la société.
Oui! Il a sorti ça comme ça! Il n’y avait pas de dialogue écrit d’avance. Je pensais que ce serait une autre scène de soirée ratée. Mais ils ont commencé à improviser, il a lancé ça spontanément et j’ai trouvé ça vraiment évocateur. C’est une autre chose qui fait d’Amy une outsider. Mais je crois que tous les artistes luttent avec ça. Nos vies ne peuvent pas être conventionnelles, parce qu’on passe tant de temps à faire des choses que la plupart des gens ne comprennent pas.

FELT
Au Centre Phi mercredi et jeudi à 21 h 30 et demain à 19 h 30

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