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Of Men and War : guerre intérieure

Ils sont revenus du front. Pas blessés. Du moins pas visiblement. À l’intérieur, pourtant, ces soldats sont tordus, brisés, détruits. Incapables d’avancer, complètement coincés. «Stuck in Irak.» Dans Of Men and War, Laurent Bécue-Renard raconte leur histoire.

Au Pathway Home, centre de traitement pour les vétérans sis en Californie, des militaires américains rentrés d’Afghanistan ou d’Irak affrontent les flashbacks d’horreur, les souvenirs de mort. Un thérapeute leur rappelle qu’ils sont des «citoyens, des frères, des fils, des maris, des amis, des pères, des pères en devenir». Qu’ils sont «uniques». Mais dans ce pays, cette maison, cette famille où ils sont revenus, ces hommes morcelés se sentent étrangers. Pas à leur place.

Of Men and War, monumental documentaire réalisé par Laurent Bécue-Renard, présente ces colosses qui tentent de sortir de la prison dans laquelle la guerre les a enfermés. Entre les murs de la salle de traitement, ils «construisent un récit qui va les aider à trouver un peu de sens dans le chaos et la bouse où ils ont évolué», explique le cinéaste parisien qui a passé cinq ans avec ces grands Jack meurtris.

Dans son long métrage, qui fait suite à De guerre lasses, où il sondait les traces psychiques de la guerre chez des veuves bosniaques, le documentariste montre les effets des combats sur ces États-Uniens baraqués qu’il présente le visage caché par des casquettes, par des lunettes noires, par leurs mains. Parfois, un haut-le-cœur interrompt un récit du conflit armé. Une secousse, une explosion de colère fracasse une confession. Entre ces armoires à glace, le ton monte. Tu ne comprends pas, tu ne comprends rien, comment tu me parles.

Tandis qu’ils racontent le front, ils ravalent leurs mots. Les cherchent. Les retrouvent. «Là-bas, on ne disait jamais tuer, remarque l’un d’entre eux. On disait hosed, zapped, blew up.» Là, il le dit. Tuer. On a tué. «Chaque syllabe prononcée dans le film est l’objet de tellement de réflexion!» lance Laurent Bécue-Renard.

Certes, leur douleur n’est pas apparente à l’œil d’un inconnu. Peut-être juste par cette main qui s’agite, par ces ongles qui grattent sans relâche la surface d’une table. Mais pour les proches, elle se traduit par une transformation radicale. Un militaire désespéré raconte l’incompréhension de sa femme. «Elle n’arrête pas de me demander pourquoi je ne peux pas être le gars que j’étais avant! Mais le gars que j’étais avant n’avait pas traversé ce que j’ai traversé!»

C’est l’absence de cicatrices visibles, de signes extérieurs de leur passage au combat qui rend leur retour d’autant plus douloureux, estime Laurent Bécue-Renard. «Non seulement c’est des mecs, mais en plus c’est des militaires; des gars pour qui la question de la vulnérabilité est centrale. Et puis, il y a une dimension supplémentaire: ils se demandent de quoi ils se plaignent. Ils sont rentrés, ils ne s’autorisent pas à avoir le droit de souffrir!»

«Ces garçons, chacun à leur manière, et chacun selon leur expérience, ont touché du doigt quelque chose de profondément honteux pour l’espèce humaine. Soit la capacité à se détruire avec une violence inouïe.» – Laurent Bécue-Renard

WEEKEND_Laurent Bécue-Renard crédit Camille Cottagnoud Alice Films_c100Assidu, attentif, le documentariste quinquagénaire a aussi suivi ses protagonistes dans «leurs vies». Avec leurs enfants, leur femme. Dans une scène, il nous emmène à la plage, où l’un d’entre eux discute avec sa blonde de leur fils, qui s’amuse dans les vagues. Le père-géant remarque que leur petit bonhomme est intrépide. «Des fois, j’aimerais être aussi brave que lui…» Le contraste saisit.

Mais la thérapie que ces hommes aux prises avec un trouble de stress post-traumatique ont accomplie, remarque Laurent Bécue-Renard, c’en est un, acte de bravoure! Ça en prend, du courage. Ça en prend, de la lucidité. Pour répondre, par exemple, à un thérapeute qui demande : «Vous pensez que la guerre a détruit votre mariage?» «Non. J’AI détruit mon mariage.» «Ils ne font pas de blabla! lance le réalisateur, dont les deux grands-pères ont fait la Première Guerre mondiale. There’s no bullshit! Ils ont une capacité à formuler les ressentis avec à la fois une grande sensibilité et une grande intelligence.»

Mais s’il y a une chose dont ils ne parlent pas, c’est de la politique étrangère américaine, du choix qu’a fait leur pays d’aller en guerre. Pour le cinéaste, l’explication est évidente : «Depuis leur retour, ils ont été dans une chute profonde.» Ils ont vécu «la désocialisation, l’isolement, la drogue, l’automédication, les bagarres, parfois des tentatives de suicide, parfois de la prison», énumère-t-il. Ils sont peut-être rentrés, donc. Mais d’une certaine façon, «ils sont toujours sur la ligne de front psychiquement». «Dans ce contexte, les questions politiques n’ont pas vraiment lieu d’être. Ce n’est pas le temps de la politique. C’est le temps de la survie.»

Of Men and War
Présenté dans le cadre des projections RIDM+
Le 28 avril à 20 h au Cinéma du Parc

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