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Unité modèle: Le reflet de votre image

Photo: Chantal Levesque/Métro

Sur scène jusqu’à samedi, disponible en librairie aussi, Unité modèle, de Guillaume Corbeil, nous plonge dans un univers où l’on joue sa vie dans un décor de rêve et où «ne pas rentrer dans le moule… fait partie du moule».

Ça se passe dans un endroit drôlement familier et étrangement inquiétant. Un de ces complexes qui poussent partout, où tout est parfait, neuf, idéal. Dans une de ces unités modèles où tout l’est, justement, modèle. Du moins en apparence. Car les standards sont si élevés qu’il faut les accoter, constamment. Ne pas faire de faux pas. Même si on nous assure que oui, oui, c’est permis. Par exemple, de ne pas faire son lit. Après tout, c’est une marque «d’imperfection, d’humanité».

Pour les moments parfaits qu’on vit dans ces lieux parfaits, parfaitement mis en scène aussi, il y a la musique idéale. La boisson appropriée. Pour l’apéro de couple, «un petit vin passe-partout. Frais. Léger». Pour la soirée sur la terrasse, «une bouteille de rosé entre amoureux». Tous ces accessoires «qui créent une intimité aux moments». Mais une intimité véritable? Rien n’est moins sûr.

Après Cinq visages pour Camille Brunelle et Tu iras la chercher, Guillaume Corbeil clôt une trilogie «qu’il a pompeusement intitulée» (ses mots, pas les nôtres) Les colonies de l’image. En mettant en scène deux représentants d’une compagnie de condos, qui font «une affaire intenable», estime-t-il lui-même. À savoir «une présentation super naturelle, mais au conditionnel» devant des spectateurs transformés en acheteurs potentiels.

Ce discours où l’on bute souvent sur ses mots – «servirere… servi… serviriez», «remercirre… remercie… remercieriez» – est également teinté d’adjectifs soigneusement placés côte à côte dans le but de faire lâcher des exclamations de ravissement aux futurs propriétaires. «Riche et épuré. Décontracté et chic. Fort et fragile.» «Tout le monde veut “être ces contradictions-là!” observe le dramaturge. Mais… ça ne veut rien dire!» Des choses à dire, par contre, Guillaume en a tout plein.

À la fin de votre pièce, on a entendu une dame s’exclamer : «Mon Dieu, ark! Je ne voudrais jamais vivre dans un endroit pareil!» Est-ce le genre de réactions que vous souhaitiez générer? Ou espérez-vous qu’il y ait autant de réactions que d’«acheteurs potentiels»?
Ben moi, j’essayais de faire en sorte qu’il y ait des acheteurs potentiels! (Rires) Évidemment que ce genre de vie, dans une tour de même, la plupart des gens dans la salle n’y adhèrent pas. Mais je souhaitais quand même placer des détails dans ma pièce pour que les spectateurs se disent : Ah! Ça, oui! Ah! Quand même!

Dans cette unité modèle, on en vient un peu à étouffer, à se sentir coincé. Désiriez-vous évoquer des éléments du film d’horreur?
On m’a plutôt parlé de science-fiction. Il y a des gens qui ont juste lu la pièce, sans voir le spectacle, qui m’ont aussi dit que c’était vraiment comme une machine préprogrammé. Il arrive des imprévus, et la machine les récupère, s’y adapte, se transforme.

Dans le décor que vous nous présentez, tout est nouveau, urbain, moderne et rien, rien, rien ne rappelle le passé. En faisant leur jogging dans le complexe immobilier, les personnages croisent même un obélisque en mémoire… de rien.
De rien, oui! (Rires) J’ai eu cette idée-là en allant voir un film au Marché Central, où il y en a un, obélisque, à la mémoire de rien. Avant, c’était quand même les Égyptiens qui faisaient don de ces affaires-là pour honorer des liens de plusieurs centaines d’années avec d’autres peuples! Là, t’es au Marché Central, dans le temple du présent, de la consommation, où on honore le présent qui se joue sans arrêt, et t’as un obélisque…

Au début de la pièce, le représentant apostrophe un couple dans la salle: «Bonsoir vous deux, ça va bien? Oui? Est-ce que ça fait longtemps que vous êtes ensemble?» Souhaitiez-vous jouer avec les codes du show d’humour?
Du show de magie! Il y en avait plus, au départ, de ces moments «show de magie»-là! Mais dans les répétitions, on s’est rendu compte que ce spectacle était tellement placé sur une fine ligne (les acteurs doivent jouer la pièce, jouer la pièce dans la pièce et jouer leur vraie vie), que ça décrochait trop. Ça me faisait vraiment rire que le théâtre, qui se vend comme un art sérieux, aille récupérer ces codes.

Dans cet univers que vous dépeignez, on donne à l’acheteur l’impression d’avoir le choix parce qu’il décide, ouh, de quel matériau sera fait son comptoir. «Marbre, onyx, céramique.» En tant qu’auteur, le choix desdits matériaux était-il, lui aussi, primordial?
Pour faire ma recherche, je suis allé visiter des unités modèles, des sites internet de planchers de bois franc, des petits magasins de lavabos design sur Saint-Laurent. J’épluchais les brochures (ah! Ici, j’ai un petit passage!) et je trouvais que ce rêve était souvent vendu sous forme de liste, d’items nommés. «Piscine sur le toit! Garage! Comptoir en quartz!»  J’ai voulu m’inspirer de ce langage, de ces brochures, puis trouver une réalité théâtrale à tout ça. Au début, j’avais juste plein de blocs. Comme un jeu de Lego. Il fallait que je trouve où il était, le théâtre, là-dedans.

«Pour moi, les condos, c’est juste un prétexte pour parler de gens qui se projettent dans un décor. C’est le lieu d’une métaphore. Moi, ce qui me fait tripper, ce sont ces dispositifs qui permettent un jeu formel.» -Guillaume Corbeil, dramaturge

Des termes comme «thermoplastique» et «polyoléfine», on imagine que ce ne sont pas des mots que vous vous attendiez à utiliser dans votre carrière de dramaturge.
JAMAIS! Et les pauvres acteurs étaient super stressés d’avoir à apprendre ces listes-là! (Rires)

Avec le slogan martelé par les représentants – «Des gens comme vous» – sous-entendez-vous : «des gens que vous aimeriez être, que vous n’êtes pas et que vous ne serez probablement jamais»?
Dans le dépliant d’une des unités modèles que j’ai visitée, il y avait un slogan, sur une page toute noire. C’était : «Le reflet de votre image». Ce n’est même pas le reflet de qui tu es. C’est le reflet de qui tu veux être! J’ai fait: ça, c’est génial! (Rires) Je l’ai découpée, je l’ai gardée sur mon bureau. Toute la pièce est dans ça : «Le reflet de votre image.»

Dans un entretien publié dans le magazine 3900 du Théâtre d’Aujourd’hui, vous avez confié avoir été inspiré par The Queen of Versailles (qui est, soit dit en passant, un de nos documentaires préférés de tous les temps). Votre pièce suit d’ailleurs la même évolution que le film : le couple est heureux, tout va bien, il dépense des sommes astronomiques, puis arrive la crise. Tout s’effondre.
Tout s’écroule. Exact. Mais c’est tellement troublant, ce film! C’est vraiment comme la chute de Rome! Quand j’ai vu Queen of Versailles, j’étais triste que ce ne soit pas ma pièce. (Rires)

Il est souvent question de «moments parfaits» dans la pièce. Pour vous, un moment parfait au théâtre, c’est quoi?
Un moment parfait, au théâtre? Sur scène ou dans ma vie d’auteur? Les deux? (Pause) Sur scène, ben c’est con, mais c’est vraiment cette part d’imperfection, cette part d’humanité! Quand il y a une suspension, qu’on sent qu’il y a quelque chose dans le spectacle qui ne devrait pas aller complètement comme ça, il y a une magie qui se fait. Sinon, dans ma vie d’auteur, c’est quand un spectateur, que je ne connais pas pantoute, vient me parler de mon texte. C’est toujours ben l’fun.

Art Guillaume Corbeil Unité Modèle TexteUnité modèle
Éd. Atelier 10
Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’à samedi

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