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Chrystine Brouillet: L’art du polar

Photo: Josie Desmarais/Métro

Avec la venue de l’été arrive une nouvelle enquête de Maud Graham. Vrai ou faux? Vrai! (C’est la 16e.) Chrystine Brouillet cuisine le meilleur gâteau au chocolat de tous les temps. Vrai ou faux? Vrai! (Elle nous en a servi.) Vrai ou faux, c’est le titre du plus récent roman de la pro du polar, qui se déroule dans une résidence pour personnes âgées où demeure un peintre de grand renom et où la célèbre enquêtrice imaginée par l’auteure doit résoudre un crime passionnel. Toujours vrai!

Dans votre nouveau roman, vous explorez la difficile question de la mémoire. Un de vos personnages remarque: «La mémoire demeure un mystère.» Est-ce qu’écrire ce livre vous a permis de la démystifier ou, au contraire, ça vous a fait prendre conscience de sa complexité?
Non, ça ne m’a pas aidée à l’apprivoiser. Et ça ne m’a pas rassurée! Mais je ne m’attendais pas à l’être non plus. J’espère seulement avoir été juste dans ce que j’ai écrit. Je pense que je peux partager l’inquiétude des personnages qui sont en train de perdre la mémoire parce que je suis comme tout le monde: j’ai peur que ça m’arrive. Ça m’a inquiétée tout le temps que j’écrivais, et ça continue de le faire. Si je perds mes clés, par exemple.

Vous adorez l’art visuel. Dans tous vos livres, il y a des mentions d’œuvres, d’expos que vous avez vues. Votre père était collectionneur. Mais c’est la première fois que vous combinez si intimement cet univers à celui de Maud Graham. Vous décrivez les couleurs avec le même amour que vous décrivez les plats. «Une infinité de bleu»; «gris comme le pelage des isatis lorsqu’ils sont bébés». Sentez-vous que cela a nourri votre écriture?
C’est vrai que les couleurs, pour moi, ce n’est pas bleu, jaune, rouge. Rouge comment? Écarlate ou carmin? Ce n’est pas pareil! J’ai été totalement envahie, je pense, par le poème de Baudelaire, Les correspondances, où il écrit que «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» Pour moi, c’est comme cela que ça fonctionne.

Il faut dire que, pour écrire ce roman, j’ai eu l’aide [du peintre québécois] Alexi-Martin Courtemanche, qui m’a expliqué comment on met les fonds, comment on met la couleur… il m’a donné tellement d’informations! J’adore ce qu’il fait! On entre réellement dans ses tableaux. C’est à la fois apaisant et mystérieux.

Au fil de vos polars, vous avez souvent exploré la complexité des relations d’amour, de travail et de famille. Mais pas tant l’amitié. Maud Graham a d’ailleurs très peu d’amis proches. Cette fois, vous mettez de l’avant une amitié qui est «aussi forte que n’importe quelle passion», entre Karl-le-peintre-âgé et Ludger-le-policier-à la-retraite. Qu’est-ce que cela vous a apporté, comme auteure?
Maud, c’est une solitaire, avec un boulot très prenant et un jeune à la maison. Donc, je ne lui ai pas donné beaucoup d’amis, en effet. Mais la relation d’amitié entre Ludger et Karl est vraiment importante. C’est une belle rencontre. Ils auraient pu passer l’un à côté de l’autre, mais ils se sont croisés. Ils partagent l’amour des animaux, de la nature, tout ça. Et c’est amusant parce que Ludger ne connaît rien à l’art, mais il aime ça ce que son chum fait. Il est content! C’est beau! Il dessine de beaux poissons! (Rires)

En voyant son ami peintre perdre ses repères en raison de la maladie d’Alzheimer, Ludger se demande : «Qu’est-ce qui est pire? Perdre la maîtrise de son corps ou perdre la tête?» Est-ce une question qui vous a portée? Qu’est-ce que vous y répondriez?
Quelle que soit la perte, que ce soit la perte d’un amoureux, la perte d’une personne qu’on aime ou la perte de soi-même, se sentir diminué, c’est une chose avec laquelle il faut apprendre à vivre… C’est un sujet qui m’a touchée de près, puisque mes parents sont décédés dans les trois dernières années. Je voulais écrire le roman pendant que j’avais les événements en mémoire…

Je voulais aussi parler de ce thème, car une résidence pour personnes âgées est un endroit extraordinaire pour camper une intrigue de roman policier: il y a beaucoup de résidants fragiles, vulnérables, qui peuvent être la proie de gens mal intentionnés. Je voulais aussi mettre Maud Graham dans une situation déstabilisante. Elle est habituée à faire des enquêtes avec des criminels et des pourris. Elle sait quand ces gens-là lui mentent. Elle peut les bousculer. Là, elle est coincée dans une situation où elle ne sait jamais si ce qu’on lui dit est vrai ou pas.

«Je voulais montrer que même si l’on est né dans de la pourriture, l’art peut nous sauver.» –Chrystine Brouillet

Une résidante confie à Maud: «C’est étrange. Nous ne sommes pas malades. La vieillesse n’est pas une maladie. Et pourtant si. Elle nous fragilise. Elle érode tout. Les os se brisent, le cerveau fuit.» Ce à quoi Maud répond que la perspective de prendre de l’âge «la terrorise». Écrire la vieillesse, était-ce aussi un procédé difficile?
Oui, mais incontournable! Il faut que je sois cohérente avec Maud! Ça fait 25 ans que j’écris des romans avec elle. J’ai commencé par la montrer quand elle était jeune enquêtrice, puis à toutes sortes d’étapes de sa vie – certaines plus faciles, d’autres moins. Elle vieillit. Comme tout le monde. Donc, c’est normal que je la mette dans cette situation-là. C’est la vie, et ça ne peut pas se passer autrement.

«Pourquoi certains plats tombent-ils dans l’oubli?» se demande Maud en voyant des vol-au-vent au menu de la résidence. Est-ce que parler de ces plats vous permet de les remettre au goût du jour?
(Rires) Écoute! J’espère que les lecteurs vont faire des vol-au-vent! Quand ils sont réussis, c’est délicieux. Une p’tite pâte feuilletée, c’est très chouette. On aime! Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de plats comme ça, à l’ancienne, qu’on ne fait plus. Il y a des modes en cuisine. Comme celle des fameux coulis, des verrines, eh la la, et, mon Dieu! De l’huile de truffe! J’aime ça, mais pas tous les jours, sur n’importe quoi, en quantité industrielle! Moi, des trucs que je fais que plus personne ne fait, c’est de la fondue chinoise et le Wellington en croûte. J’aime ça, j’me fais plaisir! (Rires)

Maud change un peu dans ce roman. Elle commence notamment à procrastiner, ce qui ne lui était jamais arrivé. Mais surtout, elle lance à son fils adoptif Maxime : «Moi, c’est normal que je m’inquiète pour toi. Je suis ta mère!» Chose qu’elle a rarement dite par le passé. Elle assume davantage ce rôle, non?
Elle l’assume beaucoup plus! Ça fait quand même plusieurs années qu’elle prend soin de Maxime, et il la traite comme sa mère de toute façon. Lui, dans sa tête, il n’y a pas d’équivoque depuis loooongtemps. C’est elle qui se gardait une petite gêne. Ça va continuer à évoluer. Surtout qu’il a choisi d’aller étudier dans la police. Parce qu’il faut qu’il prenne la place de Maud à un moment donné, on n’aura pas le choix! Elle va être obligée de prendre sa retraite, elle, un jour! (Rires) Je prépare le terrain!

Vrai ou faux
Aux éditions Druide

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