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Karlovy Vary: Le parcours cinq étoiles des Démons de Lesage

Photo: Tomáš Bezouška\Collaboration spéciale

Karlovy Vary

Notre journaliste Natalia Wysocka se trouve présentement au Festival international du film de Karlovy Vary, en République tchèque.

Salle comble, gens assis partout par terre et même couchés devant l’écran pour mieux voir. Présenté à Karlovy Vary, Les démons, de Philippe Lesage, a reçu un accueil royal. «Votre œuvre hantera mes nuits», a confié un spectateur. «Je me suis tellement reconnue dans cette histoire, a dit une autre. Merci d’avoir fait ce film.»

En septembre dernier, Les démons était lancé en première mondiale au festival de San Sebastian. Depuis, le premier film de fiction de Philippe Lesage – qui a, par le passé, signé plusieurs documentaires – a récolté les honneurs partout sur son passage. Le réalisateur et scénariste québécois, formé en cinéma au Danemark, l’a accompagné dans pas moins de 40 festivals avant de le présenter en République tchèque. «J’ai envie de faire une comédie sur un cinéaste qui se promène de festival en festival, s’esclaffe-t-il. Il y a tellement de choses cocasses qui se passent!»

Exemple? «Dans un événement que je ne nommerai pas, tous les membres du personnel ont été dépêchés parce qu’il y avait environ cinq personnes dans la salle et ils se sentaient trop mal. Tous les bénévoles et les employés du festival sont venus voir le film…»

… Est-ce que vous apprenez de ces expériences malgré tout?
Je trouve ça vraiment drôle, en fait! C’est sûr qu’il y a un côté parfois fatigant. Dans certains endroits, on trouve le temps long. Mais ici, à Karlovy Vary, c’est vraiment exceptionnel. Le public est très jeune. Ça m’étonne, c’est assez rare de voir ça. C’est un privilège de voyager autant. Il y a des réactions tellement différentes selon les pays aussi. Parfois, personne ne rit durant le film. Je ne sais pas si ça riait quand vous l’avez vu…

Ça riait beaucoup.
Ah! C’est bien! Ça veut dire que les gens sont attentifs! Il y a des représentations où ça réagit beaucoup. D’autres, moins. Parfois, c’est le silence total. Ça dépend vraiment des endroits. Mais le film est vendu en Allemagne, en Turquie, en Espagne… Et il va sortir en France en septembre. J’ai hâte. J’espère avoir ma vengeance sur le box-office québécois.

Vous l’avez encore sur le cœur, ce box-office qui n’a pas été à la hauteur de ce que votre film aurait mérité?
Oui. Ce que j’ai trouvé le plus déplorable dans cette histoire, c’est qu’on a presque accusé Les démons de s’être retrouvé en nomination au Gala [du cinéma québécois]… parce qu’il n’a pas été beaucoup vu! On fait un film qui est célébré partout dans le monde. Et des chroniqueurs l’attaquent parce qu’il n’a pas été vu! C’est odieux. C’est vraiment une mentalité un peu fascisante de la culture où tout devrait être dominé par les gros blockbusters qu’on nous fait avaler et qui sont généralement assez médiocres. C’est cette idée du «on ne doit donner aucune chance à ce qui est petit et fragile pour vivre, grandir et prendre de la force». C’est ça que j’ai encore sur le cœur.

Quand vous venez dans un événement comme Karlovy Vary, où on offre une célébration du cinéma à l’état pur, est-ce que ça vous réconcilie quelque peu avec ces faits?
C’est le fun. Il y a plus de gens qui ont vu mon film à l’extérieur du Québec qu’au Québec même. Évidemment, on rêve tous de faire notre Mommy. (Non pas que j’aie envie de faire un film qui ressemble à Mommy, mais j’aimerais avoir autant de succès au box-office et de succès critique. Rallier les deux, faire un grand chelem.) Je pense que ça va m’arriver un jour. Mais il ne faut pas oublier que même les films de Xavier Dolan ont moins marché au Québec qu’ailleurs. Il faut donner la chance au coureur, encourager un cinéma qui prend des risques.

«Il ne se passe pas grand-chose. On n’a pas de guerre, pas beaucoup de problèmes. C’est peut-être pour ça qu’on a le temps de penser à nous-mêmes et à nos démons intérieurs.» –Philippe Lesage, répondant à une spectatrice voulant savoir : «Que se passe-t-il au Québec pour que votre cinéma traite de tous les sujets les plus perturbants de la planète?»

Après la projection, une spectatrice a dit que votre film avait agi sur elle comme une thérapie. Ce à quoi le critique du Variety Guy Lodge, qui animait la discussion, a répondu que «c’est probablement une thérapie pour tous ceux qui l’ont vu». Quand on réalise un film aussi personnel que le vôtre, quel effet cela fait-il d’entendre ça?
Je suis très content. C’est un commentaire qui revient souvent. Les gens me disent : «Ça m’a fait réfléchir à ma propre vie, à mon enfance.» Pour moi, c’est un grand compliment, parce que le but, c’est, oui, de faire vivre au spectateur un voyage pendant deux heures. Mais si, en plus, il peut commencer à s’interroger sur lui-même et si ça peut être thérapeutique, c’est merveilleux. Moi, il y a des films qui m’ont carrément sauvé la vie. Je ne sais pas si mon film va sauver la vie de quelqu’un, mais si c’est le cas, j’en serai ravi.

Vous avez dit que lorsque vous avez commencé à faire du cinéma, vous aviez un «appétit criant». Est-ce le même qui vous guide aujourd’hui?
Oui… mais je deviens de plus en plus exigeant et de plus en plus bourru comme spectateur. Ça m’arrive parfois de découvrir des œuvres qui me touchent ou me renversent, mais je m’ennuie souvent au cinéma. Je peux quand même être émerveillé… Mais là, l’important pour moi, c’est de faire mon prochain film. Si tout va bien, on commencera à tourner l’an prochain. Et j’ai autant d’appétit pour le faire que j’en avais pour faire Les démons.

«Je regardais la télé tchèque à mon hôtel et on passait en boucle des reportages sur le festival. C’est un gros truc! Le cinéma est valorisé ici. Je pense qu’on devrait donner leurs lettres de noblesse au cinéma, et à la culture en général, au Québec. C’est fondamental. La culture, ça permet de développer son esprit critique, et développer son esprit critique, c’est une arme. Ça permet aux citoyens de remettre en question toutes sortes de choses.» –Philippe Lesage

Le choix du Variety

Film sur les peurs de l’enfance, sur la découverte de la sexualité, sur l’apprentissage de l’empathie et sur le côté «psychopathe» que peuvent avoir les préadolescents, Les démons, de Philippe Lesage, est présenté au 51e festival international du film de Karlovy Vary dans le cadre du «Variety Critic’s choice». Une sélection qui regroupe les films ayant marqué les critiques de cinéma du respecté magazine américain sur le circuit festivalier au cours de l’année. Le journaliste de la publication Guy Lodge a ainsi précisé, avant l’une des trois projections des Démons, qu’il avait été complètement soufflé, «blown away» lorsqu’il avait vu le long métrage à San Sebastian.

Le cinéaste québécois confie que le commentaire le touche, puisque son œuvre «parle de sujets très sensibles à sa vie». «J’ai essayé d’être le plus honnête possible. Et surtout, de faire un film que j’aimerais voir. C’est ma première règle.»

Philippe Lesage confie également que ce qui le passionne, c’est de «faire des films qui s’intéressent plus à la logique de la vie qu’à la logique de ce que devrait être un parfait scénario selon les manuels américains». Son cinéma, il souhaite le «rapprocher de l’intériorité que la littérature peut apporter». «C’est un peu ça, Les démons. Même si c’est un film qui est très visuel, c’est aussi un film qui fait de la vie intérieure son sujet.»

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