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Jessica Knoll: Les apparences

Photo: Leslie Hassler

C’est avec sa plume tranchante, son regard acéré et son humour noir que Jessica Knoll a rédigé Luckiest Girl Alive, un premier roman qui débute comme une histoire classique de New-Yorkaise branchée travaillant dans l’univers glacé des magazines. Mais il ne faut que quelques pages pour sentir que, déjà, on est ailleurs. Que sous l’image lisse, tout craque de partout. «Le côté obscur des êtres humains et ce qui les pousse à recourir à la violence me fascinent, confie l’auteure. Je voulais explorer ces phénomènes dans mes mots afin de mieux les comprendre.»

Signé par la jeune auteure Jessica Knoll, American Girl – traduction française (ahem) de Luckiest Girl Alive –, c’est l’histoire de celle que tous voient comme «la fille la plus chanceuse du monde» : TifAni FaNelli. À 28 ans, devenue simplement Ani (prononcez Ah-ni, pas Annie), elle regrette encore de ne pas avoir un prénom androgyne comme Spencer ou irréprochable comme Emma, se démène au gym et attend son mariage. Avec, au ventre, un mélange d’espoir et de peur. Car cette cérémonie, ce sera la dernière étape vers une vie idéale. Où tout sera parfait. Où elle aura un poste respectable (dans un magazine) au cœur d’une ville de rêve (New York) avec un fiancé de catalogue issu d’une lignée richissime. Pas comme sa mère, pas comme elle. «En jouant avec le prénom de mon héroïne, en la transformant de TifAni à Ani, je voulais faire un parallèle avec la réinvention qu’elle effectue à l’âge adulte», confie la romancière.

Une réinvention qui permettra à Ani – du moins, c’est ce qu’elle croit – d’oublier l’ado marginale qu’elle a été, d’oublier les moqueries, d’oublier cette horrible nuit où sa vie a été chamboulée du tout au tout, un soir où un garçon qu’elle trouvait mignon l’a conviée à une fête. En lui demandant de ne rien dire à personne, de venir toute seule, de boire beaucoup.

«Certains lecteurs ont trouvé ma protagoniste superficielle et désagréable. Mais je préfère raconter l’histoire d’une fille polarisante et complexe que celle d’une héroïne charmante, craquante et lunatique.» –Jessica Knoll

Plusieurs années après les faits, dans sa salle de rédaction où l’on s’empêche de manger des macarons («Iiih! 200 calories en une bouchée»), où l’on se marche sur les pieds pour soumettre le meilleur sujet – et tant pis si on a piqué l’idée d’une collègue – à la rédactrice aux «ongles vernis couleur gangrène», Ani FaNelli incarne le modèle de la réussite absolue.

Mais pour certains, comme son fiancé, son poste de chroniqueuse spécialisée en conseils sexo est «une pseudo-carrière», une «transition avant les joies de la maternité». Ancienne journaliste à Cosmopolitan, Jessica Knoll dit s’être inspirée ici de sa propre expérience (comme, du reste, elle l’a fait pour énormément d’éléments de son roman). Si, aux yeux de beaucoup, son ancien emploi était fabuleux et glamour, d’autres ne la prenaient pas au sérieux. Et ils ne le font toujours pas. «On a souvent une vision préconçue de qui je suis, remarque la romancière, aujourd’hui âgée de 32 ans. En découvrant que j’ai écrit un livre, plusieurs sont convaincus que c’est quelque chose de nettement plus léger. Cela dit, le travail dans les magazines m’a beaucoup appris. C’est un microcosme du milieu littéraire. Ça m’a servi dans ma carrière d’auteure.»

Et comment. American Girl est tombé entre les mains de la société de production indépendante Pacific Standard, menée par Bruna Papandrea et Reese Witherspoon. Ce sont elles qui ont eu l’idée d’adapter Wild. Gone Girl aussi. «Je viens tout juste de terminer d’écrire le scénario», souligne Jessica, qui a négocié le droit d’adapter elle-même son roman – une rareté à Hollywood. «On essaie désormais de trouver un réalisateur.»

Ce réalisateur devra savoir capter l’essence de ce récit qui nous fait voyager du passé de TifAni, à Philadelphie, au présent d’Ani, à New York. Une ville où Jessica Knoll, née en Pennsylvanie, s’est précipitée sitôt ses études terminées. «C’est un endroit où on peut être qui on souhaite être, dit-elle. Et je voulais qu’Ani s’y retrouve elle aussi, loin de ses souvenirs et de l’identité que lui ont collée ses pairs à l’école.»

La nouvelle identité que l’héroïne endossera dans la Grosse Pomme, c’est celle d’une jeune femme au «look intimidant», fortunée, stylée. «Ce désir d’appartenance, c’est quelque chose que je connais, confie l’auteure. J’aimais l’idée qu’Ani soit une arnaqueuse. Qu’elle soit étrangère à ce mode de vie privilégié et distingué mais qu’elle fasse tout son possible pour l’intégrer afin de se créer une image qui serait si parfaite qu’elle deviendrait intouchable.»

Précisons ici que lorsque Jessica Knoll parle de «perfection», elle sous-entend «cette croix que la femme moderne doit porter», comme elle dit. «Cette sainte trinité qui prouve qu’on a tout, soit une carrière impressionnante, une relation amoureuse réussie et une vie personnelle florissante.» «Mais ce que j’ai découvert [et ce qu’Ani découvre aussi], ajoute-t-elle, c’est que le bonheur vient d’ailleurs. Il vient de l’intérieur.»

D’ailleurs, dans son roman, tous les personnages en apparence modèles finissent par craquer. Même les plus classe, les plus charismatiques, se révèlent capables des pires vilenies. «Je suis très intéressée par la scission entre la personne qu’on présente au monde et celle qu’on est vraiment», fait-elle remarquer. Car si Ani projette une image assurée, indestructible, elle refoule une immense blessure au fond d’elle-même. «Elle est brisée. Meurtrie. Et elle a développé des réflexes tranchants, des mécanismes de défense, pour se protéger, pour se frayer un chemin dans l’existence en espérant que plus jamais rien de mal ne lui arrive.»

Art American GirlAmerican Girl, en librairie aux Éditions Actes Sud.

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