Soutenez

Festival de Cannes: Krisha pleine de grâce

Photo: Collaboration spéciale

En 2012, Trey Edward Shults commence à tourner le court métrage Krisha, qui servira un jour d’inspiration à son long métrage du même nom. Mais en plein milieu du processus, il fige et doit se rendre à l’évidence : «Je ne sais pas ce que je suis en train de faire.» Ce qu’il sait? Que ce film qu’il réalise n’est pas celui qu’il avait en tête. «Je pleurais derrière les portes. J’ai abandonné le projet. Puis, j’ai passé deux années assis avec les rushes à tout repenser.» Comme quoi il a bien fait de prendre son temps : mercredi, le réalisateur texan présentait son premier long, né de ces réflexions, à la Semaine de la critique.

Krisha, c’est une affaire de famille. Trey Edward Shults a tourné ce film dans la maison de sa mère, cette dernière apparaît à l’écran, sa grand-mère aussi, et sa tante tient le rôle principal. «C’est un film très personnel», a expliqué le scénariste et réalisateur lors d’une conférence qui s’est tenue au Pavillon américain.

C’est Claudette Godfrey, programmatrice à South by South West, mieux connu sous l’acronyme SXSW, qui animait la discussion. C’est justement à son festival que Krisha a été présenté en première mondiale. Et que le film s’est mérité le Grand Prix du jury et celui du public en mars dernier.

Au micro durant cette petite rencontre, la Texane Claudette a insufflé une énergie indie cool qui tranchait avec le plus grand sérieux de certains modérateurs. Elle a notamment vanté les nombreux plans-séquences adroitement exécutés par le jeune cinéaste. «C’est tellement bien fait que ça prend un moment avant de se dire holy shit, ça fait combien de temps que la caméra roule?!»

Après son passage acclamé à Austin, ce drame sélectionné à la Semaine de la critique raconte l’histoire de la Krisha du titre, qui revient à la maison familiale pour le week-end de l’Action de grâce après une longue absence. Mais on sent vite que quelque chose ne va pas. La dame à la chevelure argentée sacre, semble perdue, a la tête dans les nuages et le nez collé à sa boîte de pilules. Sans oublier cette bouteille de vin qu’elle sort soudain dans les toilettes et qu’elle cale d’un coup, comme ça.

«La réponse à la peur, c’est la confiance. Et l’amour. Restez loin de la peur. Un mois avant le tournage, j’ai perdu mon doigt en essayant de séparer deux chiens qui se battaient. Après l’accident, j’avais peur de ne pas être à la hauteur devant la caméra. Trey m’a dit : pas de problème, prends ton temps, on va attendre que tu te sentes mieux.» – Krisha Fairchild, au sujet des meilleurs remèdes, selon elle, pour une actrice : l’amour et la confiance

Visuellement impressionnante, l’œuvre est truffée de références. Trey Edward Shults, qui a confié pouvoir «vite devenir geek dans son discours», a nommé de grandes inspirations auxquelles on trouve des clins d’œil à l’image. Cassavetes, Kubrick… «Le but de mon film, c’était de plonger de plus en plus profondément dans l’âme du personnage», a précisé le réalisateur.

Ce climat anxiogène est en grande partie créé par la musique, née dans l’esprit de Brian McOmber, qui a autrefois joué avec le groupe brooklynois Dirty Projectors. Ses compositions traduisent l’état d’esprit du personnage féminin, prise avec ses démons, incapable de les éloigner.

Mais si le sujet du film est oppressant et, comme l’a évoqué le réalisateur, «inspiré de faits vécus», lors de la conférence, les membres de l’équipe ont bien rigolé. Questionnée à savoir comment elle avait vécu la première, Krisha Fairchild – qui porte, oui, le prénom de celle qu’elle joue – a répondu qu’elle «était trop occupée à lire les sous-titres pour être sûre que l’esprit des expressions avait été préservé dans la traduction». Au sujet des mêmes sous-titres, son neveu réalisateur s’est désolé. «Durant toute la scène où Krisha apprête le dindon, les dialogues en français (et en blanc) s’affichaient sur le derrière de l’animal.»

Reprenant leur sérieux, les complices liés par des liens familiaux et artistiques ont souligné que la création du film «avait été motivée par la perte d’un être aimé aux mains de la dépendance». «On voulait sortir ce thème du placard, de là où les gens l’entreposent habituellement toute leur vie. C’est une étude psychologique de la douleur. De beaucoup de douleur.»

Et même si «ceci n’est pas le feel good movie de Cannes», pour citer les actrices, l’expérience aura donné du réconfort au réalisateur, qui dit avoir fait du chemin et énormément appris depuis ce premier tournage avorté qui l’aura laissé complètement désemparé. Pour conclure sur une note optimiste, avec son accent chantonnant d’Austin, Claudette Godfrey a salué sa détermination et ce courage qu’il avait eu de dire : «Rien ne sert de pleurer, recommençons tout ça, y’all

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.