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Stratagèmes d'évasion fiscale plus complexes

Photo: www.ceic.gouv.qc.ca

MONTRÉAL – Les stratagèmes de fausse facturation, voire de transfert de main-d’oeuvre d’une compagnie à l’autre, sont devenus plus complexes au fil des ans dans l’industrie de la construction, a indiqué lundi un témoin de l’Agence du revenu du Québec.

Les premiers stratagèmes de fausse facturation, avec la complicité d’une entreprise coquille ou d’une entreprise ayant à la fois des activités réelles et fictives, étaient plus faciles à implanter et à détecter, a admis le témoin Martin Cloutier, chef de service à l’Agence du revenu, devant la Commission Charbonneau.

Mais au fil des ans, «de plus en plus les stratagèmes se complexifient». Entre autres, «on tente de mettre plusieurs intermédiaires» entre le demandeur de fausses factures et son fournisseur de fausses factures afin de rendre la détection plus ardue, a noté M. Cloutier.

Il en est de même pour le phénomène moins connu de «l’hébergement de main-d’oeuvre», qui est en fait le transfert de la main-d’oeuvre qu’un entrepreneur fait vraiment travailler à une autre entreprise coquille, qui fait semblant de les employer, comme une sorte de sous-traitant.

Cette entreprise accommodante a une durée de vie d’environ un an.

«Quand Revenu Québec se met à intervenir dans les dossiers, appelle pour céduler une vérification fiscale, ou mène une enquête, rapidement l’entreprise va changer de nom. Les personnes qui permettent au stratagème de se réaliser vont ouvrir une nouvelle entreprise et vont recommencer le même stratagème», a expliqué M. Cloutier.

L’intérêt de ce transfert de main-d’oeuvre à une autre entreprise provient surtout des retenues sur le salaire moindres, notamment les cotisations moindres à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) puisqu’il s’agit d’une nouvelle entreprise, et non d’une entreprise qui peut avoir un dossier d’accidents de travail, donc un risque plus élevé et une cotisation plus élevée.

Pour ce qui est de la fausse facturation en général, elle sert bien sûr à éviter les taxes et impôts, mais aussi à dégager de l’argent comptant pour diverses fins: versement de pot-de-vin, paiement des travailleurs au noir ou dégagement d’argent comptant pour un autre entrepreneur qui en a besoin.

L’entreprise qui permet à une entreprise légitime d’obtenir des fausses factures garde généralement une commission de 3 ou 5, voire 10 pour cent, a précisé M. Cloutier.

«Plusieurs dizaines de millions de dollars» passent notamment par des centres d’encaissement de chèques, a noté M. Cloutier.

Certains centres sont reliés à des réseaux. Il a cité le cas d’une organisation sur laquelle il a enquêté et par laquelle «au moins 60 millions $» avaient transité. Le réseau gérait carrément le centre d’encaissement de chèques.

Finalement, «il y a un fort incitatif à s’adonner à cette activité-là dans le contexte où on voudrait payer un employé au noir? En ce qui concerne les joueurs impliqués, tout le monde y gagne?», lui a demandé l’avocat de la commission, Me Cainnech Lussiaà-Berdou.

«C’est ça: tout le monde trouve son compte là-dedans», a concédé le témoin, avant d’être interrompu par la juge France Charbonneau, qui a tenu à ajouter «sauf le gouvernement et les payeurs de taxes».

Le témoin a cité les chiffres du budget provincial de 2012-2013, selon lesquels l’évasion fiscale serait évaluée à 3,5 milliards $, tous secteurs confondus de l’économie.

Mais d’autres données datant de 2008 faisaient état de pertes fiscales de 1,5 milliard $ uniquement pour l’industrie de la construction. Et ces chiffres n’incluent pas les «activités non productives», les demandes exagérées de crédits d’impôt et la «désobéissance aux règles fiscales», a indiqué le témoin.

Le témoin suivant, Clément Desrochers, un retraité qui a déjà fait de la tenue de livres pour plusieurs entreprises reliées à l’homme d’affaires Normand Dubois, a expliqué concrètement comment fonctionnait ce système.

M. Desrochers lui-même est en attente de procès pour fraude, vol et gangstérisme.

À sa connaissance, M. Dubois a eu entre huit et 10 entreprises coquilles qui ont servi à d’autres entreprises.

Plusieurs stratagèmes ont été utilisés: factures gonflées, recours à des entreprises coquilles, transferts d’ouvriers d’une entreprise à l’autre et chèques en série passés dans un compte en banque fermé.

À la fin de son témoignage, le commissaire Renaud Lachance lui a demandé comment on pouvait mieux coincer les facilitateurs comme lui, qui a aidé l’homme d’affaires Dubois avec ses stratagèmes pendant des années. Lequel serait le mieux, lui a demandé le commissaire: accroître la probabilité de vous coincer ou rendre plus sévères les sanctions pénales ou judiciaires quand vous vous faites prendre?

«C’est de prendre la main dans le sac», a admis le témoin.

Le prochain témoin, mardi, sera Jérôme Bédard, enquêteur à la Sûreté du Québec.

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