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Collusion dans les contrats: le MTQ avisé dès 2002

MONTRÉAL – Le ministère des Transports du Québec a été prévenu dès la fin de 2002 qu’il y avait de la collusion entre les entrepreneurs dans les contrats de construction avec les Villes de Laval et Montréal, de même qu’avec le MTQ.

François Beaudry, ancien conseiller au bureau du sous-ministre du ministère des Transports, a affirmé à la Commission Charbonneau, lundi, que lui-même avait été informé à la fin de l’année 2002 de l’existence de cette collusion par un «informateur».

M. Beaudry en avait rapidement avisé le sous-ministre des Transports Jean-Paul Beaulieu _ qui a ensuite confirmé ses dires devant la commission d’enquête _ et son adjoint Gilles Roussy.

L’informateur de M. Beaudry lui avait expliqué le fonctionnement de la collusion, en pointant Montréal et Laval et, dans une moindre mesure, le MTQ. Il y avait non seulement partage des contrats à l’avance entre les entrepreneurs, mais également divulgation d’informations privilégiées de la part d’ingénieurs dans le but de faciliter la tâche de certains entrepreneurs dans la rédaction de leurs soumissions.

Le 18 février 2003, cet informateur lui avait même annoncé d’avance quels entrepreneurs obtiendraient les 10 prochains contrats avec la Ville de Laval. Et il avait visé juste dans huit cas sur 10, a relaté M. Beaudry.

La différence entre huit et 10 s’explique par le fait que deux entrepreneurs s’étaient échangé leur contrat à la dernière minute, a-t-il expliqué.

M. Beaudry affirme avoir demandé à son informateur pourquoi il n’avait pas relayé son information explosive directement à la police plutôt qu’à lui au ministère des Transports.

«Tu ne peux pas imaginer le réseau d’influence de ces gens-là. Jamais je ne parlerai publiquement de ça, même pas à la police», lui avait répondu son informateur.

L’information a toutefois été rapportée au directeur général de la Sûreté du Québec Florent Gagné par le sous-ministre Beaulieu _ ce que M. Beaulieu a confirmé à la commission. Et à partir de ce moment, M. Beaudry a collaboré directement avec un enquêteur de la section des crimes économiques à la SQ.

M. Beaudry a souligné que l’information concernant la collusion avait été rapportée au ministre péquiste des Transports de l’époque, Serge Ménard, ainsi qu’à son directeur de cabinet Denis Dolbec _ aujourd’hui directeur de cabinet du maire de Montréal, Denis Coderre.

Jean-Paul Beaulieu, qui a témoigné après M. Beaudry, s’est rappelé de la réaction de Me Ménard, ancien bâtonnier du Québec, qui a aussi été ministre de la Sécurité publique.

«M. Ménard se rappelait de l’opération des Hells Angels et il m’avait dit de prendre notre temps. Il m’avait dit spécifiquement ‘prenez le temps qu’il faut pour enquêter sur quelque chose d’aussi important que la collusion; ça va prendre plusieurs années pour connaître tout le réseau’. Il avait dit ‘ça va prendre de la prudence; moi j’ai vécu l’opération avec les Hells Angels et c’était compliqué’», a rapporté M. Beaulieu.

M. Beaudry a rapporté qu’après le scrutin d’avril 2003, qui a vu les péquistes être battus par les libéraux, M. Dolbec l’a informé du fait qu’il avait avisé les libéraux de l’existence de cette collusion. C’est le ministre libéral Yvon Marcoux qui a succédé à Serge Ménard à compter d’avril 2003. Et M. Beaulieu a confirmé que M. Marcoux et son chef de cabinet ont à leur tour été avisés «avec la même approche et beaucoup de confidentialité» puisqu’il y avait enquête policière.

Même «le secrétaire général du gouvernement a été informé de ça», a souligné M. Beaudry. M. Beaulieu a précisé qu’il en avait effectivement avisé Jean St-Gelais, qui occupait la fonction à l’époque.

M. Beaudry n’a toutefois jamais discuté personnellement du dossier avec Florent Gagné alors qu’il était dg de la SQ _ M. Gagné est plus tard devenu sous-ministre au ministère des Transports.

Le conseiller Beaudry s’est ensuite intéressé au projet du rond-point L’Acadie, à Montréal, un projet auquel la commission d’enquête s’est attardée et qui a été l’objet de dépassements de coûts.

Son informateur lui avait dit que l’ensemble du projet était destiné à des entreprises reliées à Tony Accurso _ en fait, Infrabec, de Lino Zambito, a obtenu le premier lot.

M. Beaudry a même rédigé un rapport à ce sujet, rendu le 31 juillet 2003. Il recommandait au sous-ministre Beaulieu de ne pas signer pour autoriser certains montants supplémentaires demandés par l’entrepreneur. Finalement, la signature a été apposée par Florent Gagné lorsqu’il est devenu sous-ministre, malgré l’avis contraire de M. Beaudry. Mais de toute façon, les travaux avaient été réalisés et le paiement fait.

M. Beaudry n’a plus jamais reçu de demande d’analyse pour d’autres dépassements de coûts. Mais il assure n’avoir jamais été ostracisé au ministère des Transports, même s’il a été le sonneur d’alarme.

Il a avancé son explication: «lorsqu’on arrive au bureau du sous-ministre, une des premières règles non écrites qu’on apprend, c’est qu’il faut protéger le ou la ministre, il faut protéger le ministère; c’est-à-dire qu’on est là pour être des facilitateurs, régler les problèmes et surtout ne pas en générer».

Or, avec son rapport sur les dépassements de coûts du rond-point L’Acadie, il avait causé tout un émoi en recommandant au sous-ministre Beaulieu de ne pas signer et en exigeant davantage de justifications.

«C’est dans les tâches du bureau du sous-ministre de réagir rapidement pour atténuer, pour éviter les problèmes avant qu’ils dégénèrent. Là, on était en présence d’un cas vraiment majeur. C’était une espèce de bombe à retardement. Le fait que la Sûreté du Québec travaille là-dessus, c’était un problème, ça pouvait exploser en tout temps», a ajouté M. Beaudry.

Lui qui avait sonné l’alarme et apporté les preuves demandées _ avec la liste des 10 entrepreneurs de Laval qui allaient remporter les appels d’offres _ a longtemps espéré que l’enquête policière aboutirait. «Durant toutes les années où j’ai été au ministère, jusqu’en 2007 _ peut-être naïvement _, je m’attendais à une grosse razzia policière en 2004. Je l’attendais en 2005; je l’attendais en 2006. Finalement, il n’y a jamais rien eu.»

Avec un certain malaise, M. Beaudry a évoqué un establishment influent qui cherche à empêcher les choses de changer au ministère. «Les firmes de génie-conseil, les entreprises de construction, à mes yeux, constituaient une sorte d’establishment qui était suffisamment influent pour éviter que de telles mesures puissent voir le jour. Ça me semblait évident que c’était une façon de faire immuable, très difficile à changer», a-t-il opiné.

Il a élaboré sur ce réseau d’influence. «Il existe une influence occulte qui fait en sorte que… Vous avez des gens qui ont témoigné ici pour dire qu’ils allaient dans des loges avec des firmes de génie, qu’ils allaient jouer au golf à l’occasion, ce genre de choses, c’est ce qu’on appelle un réseau d’influence. Et ce réseau d’influence-là touche tous les niveaux, même au niveau politique. Alors lorsqu’une personne côtoie ce réseau-là, elle comprend qu’il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser; il ne faut pas piler sur certains orteils», a résumé M. Beaudry.

Quant à M. Beaulieu, il a quitté son poste de sous-ministre aux Transports. Il sait que «des gens» de l’industrie de la construction se sont plaints de sa «collaboration» avec eux, mais ignore qui au juste. La plainte s’est même rendue au bureau du premier ministre, a-t-il relaté.

Cette information lui a simplement été rapportée, une fois avant 2003 sous les péquistes et une fois après, sous les libéraux. Il affirme ne pas avoir senti de répercussions au ministère à cause du fait que, comme M. Beaudry, il a voulu combattre la collusion.

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