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CEIC: fin de l'audition des témoins experts

MONTRÉAL – La Commission Charbonneau a entendu ses derniers experts, lundi, mettant ainsi fin à la dernière phase de ses travaux avant les plaidoiries des avocats représentant les différentes parties, la semaine prochaine.

Sa dernière journée d’audience consacrée aux experts lui a permis d’entendre un professeur de criminologie en Italie sur la lutte contre le crime organisé, de même que deux experts sur le modèle du False Claims Act des États-Unis, un système qui permet de récupérer l’argent auprès des entreprises qui ont fraudé le gouvernement, tout en accordant une généreuse compensation au dénonciateur.

Un avocat spécialisé de Los Angeles, Neal Roberts, a exposé devant la commission d’enquête la façon dont ce système fonctionne et les résultats probants qu’il a donnés, tant en termes de sommes récupérées que de dénonciations générées. Les jugements obtenus totalisaient près de 5 milliards $ pour l’année 2012 seulement, a souligné Me Roberts.

Le processus démarre lorsqu’un dénonciateur transmet une information qui doit être utile, et nécessairement non publique, à une équipe d’enquêteurs concernant une fraude envers le gouvernement. Il peut s’agir de truquage d’un appel d’offres, de quantités de matériaux réclamées mais non livrées au chantier, etc. Le dénonciateur doit accepter de collaborer et de révéler ce qu’il sait.

Le gouvernement peut décider d’intenter lui-même le recours; le dénonciateur touchera alors entre 15 et 25 pour cent du montant déterminé s’il gagne la cause.

Mais, fait inusité, si le gouvernement décide de ne pas intenter de recours, en vertu du False Claims Act le dénonciateur peut intenter lui-même le recours au nom du gouvernement. Et il bénéficie d’une protection pour garder son emploi et son salaire, en plus de toucher une compensation qui peut être plus élevée, soit de 15 à 30 pour cent.

Me Roberts a tenté de convaincre la Commission Charbonneau d’adopter ce modèle, en lui disant que toute adaptation devra toutefois porter ses deux piliers, à savoir une compensation monétaire et une protection pour le dénonciateur, ainsi que la possibilité pour lui d’intenter le recours au nom du gouvernement si ce dernier ne souhaite pas le faire.

Préoccupations

Aux côtés de Me Roberts, un avocat de Québec et bâtonnier général en 1987-1988, Me Michel Jolin, a exprimé certaines réserves si la commission choisissait de recommander d’importer au Québec le système du False Claims Act.

D’abord, il craint les dénonciations frivoles qui engorgeront le système judiciaire à cause de l’attrait des compensations monétaires généreuses. Il accepterait une compensation pour le dénonciateur, certes, mais pas en termes de pourcentage du montant obtenu lors du jugement.

«Je crois que les pourcentages risquent d’inciter à la chasse au trésor ou à la recherche du billet de loto. Donc, je suggérerais que vous considériez davantage _ si vous allez vers cette voie-là _ que la rémunération ou la compensation soit basée sur la valeur réelle _ quitte à ce qu’elle ait un élément rajouté, qu’elle soit généreuse _ mais qu’elle soit basée sur la réalité du travail effectué et des service rendus», a opiné Me Jolin.

Ensuite, il se demande pourquoi il faut qu’une action judiciaire soit introduite pour que le processus démarre. Selon lui, le gouvernement pourrait créer un bureau dédié à la cueillette de ces dénonciations et informations, qui pourrait ensuite voir à récupérer les sommes dues.

De plus, le système américain fait que les entreprises sont parfois condamnées à payer le double, le triple du montant du contrat problématique, sans compter des pénalités additionnelles. Me Jolin préférerait qu’on laisse une marge de manoeuvre aux juges québécois pour évaluer le dossier.

De même, Me Jolin a émis des réserves quant au fait que le système puisse laisser une tierce personne agir pour et au nom du gouvernement si celui-ci refuse de mener à bien la poursuite. «On a là un choix que je n’ai pas vu encore au Québec, c’est-à-dire on laisse le choix à une partie privée d’introduire un recours pour et au nom du gouvernement. Ça me préoccupe», a commenté Me Jolin.

Redéfinir le crime organisé

En après-midi, Andrea Di Nicola, professeur de criminologie à l’Université Trento en Italie, a invité toute la société à revoir sa façon de percevoir le crime organisé. L’expert, qui a remporté récemment un prix pour son engagement civil contre le crime organisé, préfère parler de «crime organisé économique», ce qui inclut la corruption de fonctionnaires, d’élus ainsi que des entrepreneurs.

Selon lui, bien des outils sont déjà là dans le Code criminel, dans les lois, mais c’est la façon de les interpréter qui doit être changée.

Il a suggéré à la commission de changer aussi la formation des policiers, des procureurs pour concevoir cette nouvelle forme de crime organisé. Et ils devront travailler en équipe multidisciplinaire, partager l’information et ne pas s’accrocher à leur chasse-gardée, a-t-il lancé.

M. Di Nicola a aussi proposé de créer une vaste banque de données contenant les renseignements non seulement criminels, mais aussi fiscaux et administratifs sur les individus soupçonnés d’être membres du crime organisé.

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