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Passer Noël derrière les barreaux

Prison de Bordeaux
Souverains anonymes, l'émission enregistrée à la prison de Bordeaux, par des détenus, s’arrêtera en mars prochain. Photo: Mario Beauregard / TC Media

Le temps des Fêtes est une période de réjouissance pour la plupart des gens, mais pas dans les prisons de Montréal, où les détenus souffrent d’être séparés de leurs proches et de perdre certains privilèges.

«C’est surtout dur pour les pères parce qu’ils sont loin de leurs enfants, raconte Paul (nom fictif), un ancien détenu du Centre de détention Rivière-des-Prairies. Ceux qui reçoivent la visite de leur famille sont tristes parce qu’ils voient leurs enfants pleurer. Pour un enfant, c’est difficile de comprendre que son père est enfermé.»

Si les décorations de Noël sont inexistantes en prison, la tension, elle, est palpable pendant le temps des Fêtes, aux dires des anciens détenus qui se sont confiés à TC Media. En plus d’être éloignés de leur famille, les prisonniers perdent certains acquis. Des activités, comme l’école et le travail, sont suspendues.

Michel Tzanacos, lui, était détenu en 2012 à Bordeaux. Il reconnaît que la période des Fêtes ne lui a pas laissé de souvenirs particulièrement heureux.

Durant cette période, les cours de justice sont fermées. Personne n’est donc libéré. La population carcérale augmente au point où les détenus sont entassés dans des lieux communs, comme le gymnase. Les activités sportives sont parfois suspendues durant cette période.

Le nombre de visites de proches et de représentants d’organismes durant cette période augmente. Impossible toutefois de faire un réveillon en famille. Le nombre de visiteurs est limité. «Ils ont droit à une visite contact supplémentaire, explique Paul. Ça veut dire que quatre ou cinq membres de la famille peuvent être avec le détenu en même temps et qu’ils ont le droit de se toucher.»

Les prisonniers peuvent rencontrer les membres de leur famille autour d’une table. Ce ne sont toutefois pas tous les détenus qui ont droit à ces visites. Durant son incarcération, M. Tzanacos n’a eu droit qu’au parloir. «J’avais effectué une demande et j’ai pu rencontrer mes proches dans une grande salle en présence d’autres détenus», explique-t-il.

«Il y a des hommes violents qui sont de retour en prison parce qu’ils ont contacté leur femme ou leur enfant pour leur souhaiter Joyeux Noël, par exemple. C’est difficile.» – Paul (nom fictif), ex-détenu du Centre de détention Rivière-des-Prairies.

Ce Noël, au Centre de détention de Rivière-des-Prairies, les prisonniers écouteront des films et joueront au bingo dans leur unité d’hébergement. C’est du moins ce qu’a organisé le comité de détenus, responsable des célébrations.

Ce programme ressemble à celui de la plupart des autres prisons québécoises, selon le ministère de la Sécurité publique. «Ce n’est pas un rassemblement majeur, a souligné un porte-parole du ministère à TC Media. Les personnes incarcérées animent des parties de cartes ou des jeux de société en utilisant des moyens qui sont déjà disponibles dans leur secteur.»

Ces jeux ne sont pas payés par des fonds publics, mais par un fonds de soutien à la réinsertion sociale constitué des revenus découlant du travail des détenus. Plusieurs détenus de Rivière-des-Prairies n’ont toutefois pas la possibilité d’y participer en raison du taux de roulement rapide des détenus. «Il faut s’inscrire trois semaines à l’avance, alors la moitié des gens ont déjà été transférés, et les nouveaux ne peuvent pas y participer», déplore Paul.

Parfois, un musicien est invité à donner un concert aux détenus. Si ces rares événements sont très appréciés, l’ambiance n’est pas pour autant à la fête durant ces concerts. «C’est difficile d’avoir du plaisir avec une vingtaine de gardiens qui nous observent. Ils ne sourient pas. On essaie de les oublier, mais ça casse quand même l’ambiance», souligne-t-il. Pas question de faire de compromis sur la sécurité, indique le ministère de la Sécurité publique.

Certains détenus préfèrent donc faire la fête dans leur cellule. L’ancien détenu se souvient d’ailleurs d’une veillée mémorable. «À Rivière-des-Prairies, on est obligé de mettre des écouteurs quand on veut écouter de la musique, indique l’ex-détenu. À Noël, on était deux détenus québécois dans ma cellule, alors on a dansé des sets carrés. Le codétenu qui était dans notre cellule était un Turc. Il trouvait ça vraiment plate de nous voir danser comme ça, sans musique, mais on avait du plaisir.»

Pas d’alcool au menu
À Rivière-des-Prairies, les détenus ne trinquent pas à la nouvelle année. La petitesse des secteurs et les fouilles fréquentes rendent la production d’alcool et le trafic de drogue pratiquement impossibles, selon notre ancien détenu qui y a passé le temps des Fêtes.

M. Tzanacos, de son côté, aurait apprécié qu’on lui serve un menu plus festif «en dedans», en cette période de réjouissance. Il se rappelle qu’à Bordeaux, on avait distribué des croustilles, une friandise et une boisson gazeuse dans les cellules. «Pas de quoi vraiment faire la fête.»

Quand on fait du temps, la période des Fêtes perd complètement sa signification, explique Paul, ancien «résident» de Rivière-des-Prairies, qui a passé sept ans derrière les barreaux.

Le grand tapage de Bordeaux
Les prisonniers de Bordeaux ont inventé leur propre tradition pour célébrer le Nouvel An. À minuit, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, ils font un tel vacarme que les bruits parviennent à s’évader de la prison. Un tintamarre qui glace le sang de ceux qui l’ont entendu.

Michel Tzanacos, lui, était détenu en 2012 à Bordeaux. Il reconnaît que la période des Fêtes ne lui a pas laissé de souvenirs particulièrement heureux. Photo : collaboration spéciale.
Michel Tzanacos était détenu en 2012 à Bordeaux. La période des Fêtes ne lui a pas laissé de souvenirs particulièrement heureux. Photo : collaboration spéciale.

«Ce dont je me souviens le plus, c’est le vacarme épouvantable fait par les détenus à minuit, se rappelle Michel Tzanacos, ex-détenu de Bordeaux. Ça criait, ça tapait avec tout ce qui pouvait leur tomber sous la main et ça se souhaitait joyeux Noël et Bonne Année à tue-tête.»

Ces bruits dans la nuit qui fusent de la prison de Bordeaux semblent être une habitude de longue date. L’écrivain Claude Jasmin, qui a vécu non loin de la vieille prison dans les années 1960 et 1970, se souvient d’une étrange fin d’année. C’était en 1975.

«Il faisait un temps d’une douceur toute printanière et, surpris par cette température inouïe, nous prenions l’air sur le balcon arrière dans notre rue-impasse Zotique-Racicot. Soudain, venus de la rue Poincaré voisine, là où se situe la vieille prison, nous avons entendu des râles, des cris dans le soir. Une voix d’homme se lamentait, criant comme chien à la lune: “Pauline, je t’aime… Pauline, je t’aime!”» «Ce fut terrible, ces appels dans le soir d’un pareil jour, se remémore l’auteur de La Petite Patrie, en entrevue avec TC Media en 2012. Je me rappelle avoir bu davantage de Pernod ce soir-là. Pour oublier sans doute cet homme malheureux dans sa cellule!»

Cette tradition n’est pas implantée à Rivière-des-Prairies, mais, vers minuit, certains condamnés se souhaitent la bonne année en criant à travers les barreaux de leur cellule.

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