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«Le Petit Beyrouth»: une enclave libanaise au cœur de Saint-Laurent

Photo: Anne-Frédérique Hébert-Dolbec/TC Media

Dans la couronne du quartier Chameran, à Saint-Laurent, plus d’une personne sur quatre provient du Liban. Ici, dans ce territoire connu sous le nom de «petit Beyrouth», la pauvreté est marquée; l’habitation, déficiente. Malgré un milieu de vie parfois difficile, pour la plupart des résidents, pas question de quitter le quartier. Incursion dans une communauté tissée serrée.

Des rires se font entendre dès qu’on pousse les portes du chalet du Parc Painter, situé au centre du quartier Chameran. Des jouets jonchent le sol, où des enfants d’âge préscolaire rampent et trottinent d’un endroit à l’autre avec leurs éducatrices.

Sur une table dans un coin de la pièce, des femmes, majoritairement voilées, discutent de leur vie familiale, s’échangent des conseils, et partagent les nombreux obstacles qu’elles rencontrent.

C’est dans ce chalet que, depuis 2012, les résidents du quartier se regroupent pour s’amuser, échanger, rencontrer les organismes communautaires et faire valoir leurs idées pour le quartier. Chaque vendredi matin, une matinée mères-enfants est organisée afin de favoriser la création de liens.

Grande pauvreté
Le quartier Chameran, qui regroupe 10% de la population de Saint-Laurent, est considéré comme une enclave. Sur ce territoire, desservi que par deux lignes d’autobus, il n’y aucune clinique médicale ni aucun organisme d’aide aux immigrants.

Le quotidien est loin d’être toujours facile pour ses habitants. Le taux de chômage, de 17,8%, est beaucoup plus élevé que celui de l’ensemble l’arrondissement (9,2%)

Plus de la moitié des ménages vit sous le seuil de faible revenu, soit avec moins de 45 000$ pour une famille de quatre personnes. La pauvreté est marquée même si 44% des résidents détiennent un diplôme ou un certificat universitaire.

«Dans ce quartier où plus de la moitié des gens sont immigrants, la non-reconnaissance des diplômes et leur manque d’expérience sur le marché du travail québécois causent cette situation, explique Maria Sanchez, coordonnatrice générale du comité logement. Sans compter que plusieurs personnes vivent une problématique de discrimination à l’emploi.»

Parmi les femmes présentent au chalet se trouvent des avocates et des informaticiennes. Plusieurs se retrouvent pour l’instant mère à temps plein, incapables de se trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences. «Un retour aux études et une mise à niveau sont souvent exigés. Leurs noms, à sonorité arabe, réduisent les chances de rappel,» ajoute Mme Sanchez.

Le quartier avant tout
Dans ce «Petit Beyrouth» où les problèmes d’insalubrité et d’insécurité alimentaire sont omniprésents, les résidents préfèrent de loin supporter les difficultés quotidiennes que de s’éloigner de leur communauté.

«Les Chameronais ne veulent pas quitter le quartier, explique Mme Sanchez. Même lorsqu’un logement social se libère ailleurs, ils le refusent le plus souvent. J’ai connu beaucoup de cas de gens qui ont essayé de déménager pour revenir quelques mois après.»

Hakima, mère de trois enfants, est résidente du quartier depuis environ six ans. Pour l’instant, il est pour elle hors de question de songer à quitter Chameran.

«C’est vrai que nous avons souvent des problèmes avec les appartements, mais je sais que les mêmes problèmes existent ailleurs. Je préfère rester près des gens que j’aime. C’est parfois difficile de se faire des amis quand on est immigrant. Je trouve les liens que j’ai formés ici précieux, je ne suis pas prête à recommencer à zéro.»

La proximité de l’école primaire multiculturelles Henri-Beaulieu, de plusieurs garderies, du parc Painter et de trois mosquées, contribuent à renforcer ce sentiment d’appartenance.

Malheureusement, la densité croissante de population force des familles à s’éloigner.

«Je suis obligée de déménager, se désole Nabila, une Algérienne arrivée au Québec depuis presque deux ans. Mes enfants n’ont pas obtenu de place à l’école Henri-Beaulieu, et doivent faire beaucoup de transport pour se rendre à leur établissement scolaire dans le quartier voisin. Je vais me rapprocher, mais je veux absolument conserver mes liens avec mes voisins et avec mes amies du parc Painter. Je ne veux pas tout couper à la fois.»

Démarches de revitalisation
Malgré les besoins criants du milieu, aucun organisme communautaire n’a encore obtenu de permis de zonage afin de s’installer dans le quartier et de se rapprocher des gens qui y sont dans le besoin.

«Malheureusement, je pense que les travailleurs communautaires manquent encore de ressources pour exploiter toutes leurs initiatives,» soulève Nadia, qui habite le quartier depuis trois ans.

Le parc Painter, que plusieurs fréquentent grâce au bouche à oreille, demeure le moyen le plus facile pour les résidents de connaître l’existence des ressources d’aide au logement, de francisation et de recherche d’emploi.

Toutefois, depuis 2012, l’arrondissement, en collaboration avec plusieurs organismes communautaires engagés dans le quartier, a mis en place une démarche de revitalisation, afin de faire de Chameran un milieu de vie accueillant, dynamique et ouvert sur Montréal.

Les priorités: désenclaver le quartier et améliorer l’accès aux commerces alimentaires et aux établissements de santé notamment en bonifiant l’offre de transports en commun. Mettre en place des ressources pour améliorer l’intégration des immigrants. Impliquer davantage les résidents dans cette entreprise de revitalisation.

Pour Domitille Dervaux, éducatrice-psychomotricienne qui est responsable des ateliers parents-enfants, le chalet du Parc Painter est au cœur de cette démarche.

« J’aime beaucoup le chalet du parc. Je trouve que les mamans se sentent chez elles. C’est un endroit que nous construisons au fur et à mesure, ça n’arrête pas de bouger. Il y aura bientôt une nouvelle bibliothèque. Il y a des activités pour tous les âges, les adolescents comme les aînés. »

«Ce lieu convivial et chaleureux est devenu un point de rencontres et d’échanges d’idées,» indique Nadia.

À travers les années, le chalet du Parc Painter est devenu une véritable maison communautaire pour les habitants du quartier, un point central pour les rencontres et les échanges d’idées.

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