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Les voix de Montréal: la Petite-Bourgogne, bienvenue dans le «Burgz»

Steven High, Fred Burrill et Jean-Philippe Warren - Université Concordia

Dans le cadre du 375e anniversaire de la Ville de Montréal, Métro s’est associé avec l’Université Concordia pour vous faire découvrir des quartiers fascinants à travers leur passé et leur présent. Ce mois-ci: la Petite-Bourgogne.

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  • Le secteur de la Petite-Bourgogne a été urbanisé au milieu des années 1800. La construction du canal de Lachine fit bientôt pousser des usines le long de ses flancs, dont les ateliers du chemin de fer Canadien Pacifique et l’usine de la Steel Company of Canada (Stelco). Le développement rapide permit la création d’une ville à part entière, Sainte-Cunégonde, fondée en 1884. Celle-ci a été fusionnée à Montréal en 1906. Son ancienne mairie est toujours debout et abrite aujourd’hui la Bibliothèque Georges-Vanier.
  • Les origines du nom de la Petite-Bourgogne sont incertaines. On sait seulement qu’en 1855, un terrain connu sous le nom de Bourgogne était inscrit au cadastre. Mais l’appellation de «Petite-Bourgogne» ne s’est finalement répandue que beaucoup plus tard, au moment où ont commencé les grands projets de rénovation urbaine dans les années 1960.
  • Les Noirs qui habitaient la Petite-Bourgogne étaient victimes de discrimination. Les femmes noires se trouvaient du travail dans les grands magasins de Sainte-Catherine ou comme domestiques dans les maisons des riches, à Westmount et ailleurs. Quant aux hommes, peu d’usines acceptaient de les embaucher. Dans certains cas, les occasions de travail étaient limitées au quart de nuit. L’industrie du chemin de fer représentait pour eux l’un des rares débouchés intéressants et, jusqu’aux années 1950, la plupart des Noirs du quartier travaillaient dans ce secteur. Les portiers se rendaient régulièrement à Winnipeg ou à Vancouver, ce qui provoquait de longues absences qui avaient un impact sur les familles et la communauté. En 1917, l’un des premiers syndicats noirs d’Amérique du Nord fut fondé pour défendre cette catégorie d’employés: le syndicat des porteurs des voitures-lits.
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Dès la fin du XIXe siècle, on pouvait entendre des airs de jazz dans la Petite-Bourgogne. Mais c’est vraiment durant la période de la prohibition aux États-Unis que le quartier reçut le nom de «Harlem du Nord». La Rockhead’s Paradise, tenue par un Montréalais d’origine jamaïcaine, Rufus Rockhead, premier Noir à obtenir un permis d’alcool à Montréal, accueillait entre autres célébrités les Duke Ellington, Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Nina Simone. Fils d’un portier de train installé dans la Petite-Bourgogne, Oscar Peterson est devenu l’un des meilleurs pianistes de jazz au monde. Un parc du quartier est nommé en son honneur. Oliver Jones a grandi à quelques pas de chez Peterson.
  • En 1982, l’historienne Dorothy Williams a interrogé de vieux résidants de la Petite-Bourgogne. Ils évoquaient les belles maisons en pierre qui bordaient la rue Saint-Antoine dans les années 1920 et 1930, avant la construction de l’autoroute Ville-Marie.

Géographie

Le quartier était autrefois géographiquement et socialement divisé en deux par des voies ferrées. Les gens qui vivaient d’un côté des voies ne s’associaient guère avec ceux qui vivaient de l’autre côté, même si certains enfants s’aventuraient sur les tracks. Il y avait également des rivalités avec les résidants des quartiers voisins.

La Petite-Bourgogne est délimitée par Atwater à l’ouest, le canal de Lachine au sud, la rue Guy à l’est et la rue Saint-Antoine au nord.

AUJOURD’HUI

  • Autrefois connue sous le nom de Moulins à farine du Saint-Laurent, la minoterie Robin Hood est l’un des derniers complexes industriels encore en activité dans la Petite-Bourgogne. Elle a été le théâtre d’un événement important dans l’histoire du travail québécois, lorsqu’une grève très dure a éclaté en 1977. La confrontation violente qui s’en est suivie a poussé le nouveau gouvernement du Parti québécois de René Lévesque à adopter la première loi anti-briseurs de grève en Amérique du Nord.
  • De 1959 à 1973, le Sud-Ouest a perdu 38% de ses emplois dans le secteur industriel. Le déclin s’est poursuivi dans les années suivantes. Le quartier fut notamment affecté par 
le déclin du transport de voyageurs par train. 
De nombreux porteurs furent licenciés après des décennies de service. La fermeture à la navigation 
du canal de Lachine en 
1970 ne fit rien pour 
améliorer la situation. Les anciens terrains ferroviaires du CN ont été réaménagés et les ponts qui reliaient les deux parties du quartier ont été démantelés. Le taux de chômage a atteint un sommet (19,8%) en 1986. Le revenu moyen des ménages était alors largement inférieur à la moyenne montréalaise. Les taux de criminalité augmentèrent. Dans les années 1990, certains affublèrent le secteur du surnom de «Wild Wild West».
  • Une grande partie du quartier a été rasée dans les années 1960 pour faire place à l’autoroute Ville-Marie et à un nouveau vaste projet de logements sociaux. L’église Saint-Antoine fut l’une des victimes de cette planification urbaine «sauvage». En décembre 1966, les résidants d’Îlots St-Martin reçurent un avis d’expropriation. C’est ainsi que, en l’espace de 
20 ans, soit de 1951 à 1973, la Petite-Bourgogne vit sa population tomber de 
21 381 à 7 000.
  • Beaucoup de résidants, à l’instar de Gordon Butt, un organisateur communautaire interviewé en 1982, pensent que la démolition des vieilles maisons a été une erreur. «Vous devez le voir de vos yeux pour comprendre le type de destruction qui a eu lieu dans cette communauté.» Au moment où il a été interviewé, M. Butt vivait dans un logement à l’ombre de l’autoroute. «Quand je regarde cette voie rapide au-dessus de moi, cela correspond à ce qu’on appelle une jungle de ciment. Ils ont arraché l’âme de la communauté.» Richard Lord, un autre dirigeant communautaire de longue date, juge que l’expropriation des rues a été un désastre. Elle a chassé des gens qui servaient leur collectivité et y avaient de profondes racines. Selon lui, le choix de faire passer l’autoroute à travers le quartier était une décision «politique». Il rappelle que la construction de routes à travers les quartiers noirs aux États-Unis a une longue histoire…
  • Ces dernières années, la population du quartier a recommencé à augmenter. Elle atteint maintenant 10 000 habitants. La Petite-Bourgogne accueille aujourd’hui une grande diversité d’immigrants, dont une importante communauté bangladaise. La moitié (52%) des résidants ne sont pas caucasiens. Ce renouvellement a entraîné des changements sur la rue Notre-Dame Ouest et entre celle-ci et le canal de Lachine, là où se trouvaient des terrains industriels. En général, il existe peu de liens entre le cœur du quartier et la bande de condos qui dominent le secteur plus au sud, mais tout le secteur profite d’un nouvel engouement après des décennies de négligence.

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