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Recensement de l’itinérance: une entreprise corsée

Photo: Isabelle Bergeron/TC Media

Le 24 mars, plus de 800 bénévoles et des dizaines de travailleurs de rue se sont armés de papiers et de crayons et se sont dispersés dans les rues de Montréal afin de s’attaquer à l’impossible : recenser les itinérants de la métropole.

Mardi soir, 20h. Il fait -10 degrés à Montréal. Après avoir tant bien que mal réussi à former notre équipe, nous sommes prêts à prendre la route. Notre mission : arrêter tous les passants afin de répertorier le plus d’individus sans domicile fixe possibles.

Une boisson chaude à la main, une tuque bien enfoncée sur nos oreilles, nous franchissons les portes du YMCA sur la rue Drummond, en route vers notre premier arrêt, à l’intersection des rues René-Lévesque et de la Montagne.

Nous ne partons pas sans ressource. Dans la demi-heure précédant notre départ, des travailleurs sociaux ont pris soin de nous donner une liste interminable de directives de sécurité, et de précieux conseils sur les meilleurs moyens d’aborder les individus rencontrés.

«Soyez souriants et respectueux. Regardez les gens dans les yeux, mais ne les touchez pas. Et acceptez vos limites. Vous n’êtes pas là pour faire de l’intervention, mais pour prendre le pouls du phénomène,» rappelle Jonathan Lebire, travailleur de rue.

Devant l’inconnu
Les bénévoles marchent, consultent leur questionnaire et leur itinéraire et répètent leurs répliques. Chacun est concentré sur la tâche qui l’attend. L’appréhension est palpable.

«Je suis content d’avoir eu une formation, mais ça ne m’a pas vraiment rassuré, explique Mike Garofalo, notre chef d’équipe. Je suis devant l’inconnu. Impossible de avoir comment les itinérants vont réagir.»

Manon Dubois, responsable du développement et des communications à la Maison du Père, est convaincue que plusieurs sans-abri seront méfiants et refuseront de participer.

«Il faut garder en tête qu’il y a une raison pour laquelle les gens que nous rencontrerons dans la rue ne se trouvent pas dans un refuge cette nuit, explique-t-elle. Il y a de fortes chances que plusieurs d’entre eux aient un peu de difficulté avec les conventions sociales.»

Une coordination déficiente
Tout au long de la soirée, les bénévoles sont amenés à interpeller les passants et à leur demander s’ils ont un toit sous lequel passer la nuit. Ici, pas de place à la discrimination. Même les hommes en complet et les femmes vêtues de tenues griffées sont questionnés, ce qui en fait rigoler plusieurs.

Les personnes en situation d’itinérance sont pour leur part invitées à remplir un questionnaire qui recueille des informations sur l’âge, le sexe, le statut au Canada, l’historique et les raisons de l’itinérance et les ressources d’aide utilisées au cours des six derniers mois, entre autres.

Deux personnes s’identifiant comme itinérantes refusent de répondre au questionnaire. Un troisième se montre plutôt agressif, et préfère discuter des «vraies affaires», soit le manque de soutien de la part des gouvernements provinciaux et nationaux, que de sa situation personnelle.

Sur notre route, nous croisons majoritairement des travailleurs et des touristes. Avec ces derniers, l’attitude à adopter est loin d’être claire.

«Nous venons du Mexique. Vous êtes sûrs de vouloir nous intégrer dans votre questionnaire?» lance un jeune couple.

À plusieurs reprises, notre équipe se disperse. Plusieurs passants ne sont pas pris en compte par les bénévoles effectuant le dénombrement. L’équipe a omis de se distribuer les tâches afin d’assurer la meilleure efficacité possible. La mission s’avère par moments difficile à remplir.

Une méthode approuvée
Malgré les difficultés rencontrées, les organisateurs sont formels : la méthode privilégiée par l’Institut Douglas, bien qu’imparfaite, est loin d’être unique. Plusieurs autres métropoles à travers le monde entreprennent régulièrement ce type de dénombrement.

«Les dénombrements comme celui-là ne vont pas identifier tout le monde, explique docteur Éric Latimer, porte-parole et chercheur principal sur le projet. L’itinérance est difficilement quantifiable, et il y a toujours des gens trop en marge que nous n’atteindrons pas. Mais nous pourrons au moins en caractériser une partie. C’est le mieux qu’on puisse faire pour l’instant.»

Afin de rejoindre le plus de personnes possibles et de rendre le rapport plus complet, l’opération se poursuivra jusqu’au 26 mars. Durant les deux jours supplémentaires, le bénévoles se rendront dans les centres de jour et les soupes populaires, afin de dénombrer l’itinérance cachée, qui réfère à des individus qui n’ont pas d’endroit permanent où résider, mais qui se débrouillent pour loger dans des motels ou des maisons de chambre.

Le rapport final de l’institut Douglas sera déposé en juin à la Ville de Montréal.

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