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L’anxiété toujours vive chez les Mexicains du Texas

FILE - This Jan. 25, 2017, file photo shows a truck driving near the Mexico-US border fence, on the Mexican side, separating the towns of Anapra, Mexico and Sunland Park, New Mexico. President Donald Trump will face many obstacles in building his “big, beautiful wall” on the U.S.-Mexico border, including how to pay for it and how to contend with unfavorable geography and the legal battles ahead. (AP Photo/Christian Torres, File) Photo: The Associated Press
Stéphanie Marin, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

AUSTIN, Texas — Des enfants angoissés qui ne veulent plus sortir de la maison, le stress de voir les familles séparées ou les enfants abandonnés aux autorités si les parents sont déportés: les rafles anti-immigration ciblées de février ont peut-être cessé à Austin au Texas, mais l’anxiété demeure palpable chez les Mexicains sans papiers vivant aux États-Unis.

Rosa (les noms des personnes interviewées dans ce reportage ont été modifiés) n’a pu parler à son mari pendant des jours en février, après qu’il eut été arrêté juste après avoir déposé leurs enfants à l’école.

La femme, avec qui La Presse canadienne s’est entretenue à Austin, est née au Mexique, comme son mari, et leur statut n’est toujours pas régularisé. Par contre, leurs trois filles — âgées de 3, 6 et 8 ans — sont nées au Texas et sont donc des citoyennes américaines.

Son mari Ignacio n’a pas d’antécédents criminels et n’a jamais eu de démêlés avec l’immigration depuis son arrivée en sol américain en 2003, dit-elle. Il travaillait comme cuisinier dans un restaurant.

Mais le 10 février, il s’est fait arrêter — lors de raids d’immigration plus intenses, pendant lesquels des centaines de personnes ont été mises en détention au pays — car le camion qu’il conduisait était enregistré au nom de son beau-frère, qui lui était recherché par la police. Lors du contrôle d’identité, Ignacio a été appréhendé puis remis aux Services américains de l’Immigration et des douanes — communément appelé par son abréviation «ICE». Il s’est retrouvé derrière les barreaux.

Ignacio a depuis été libéré, mais lui et sa famille vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Le processus légal a été enclenché, mais il ne sait pas s’il sera déporté ou non. Il ne peut travailler pour trois mois et est ainsi incapable de soutenir sa famille.

«Les filles pleurent tout le temps. Elles ont peur. Elles ne veulent plus sortir de la maison», rapporte Rosa.

Elles craignent que leur père se fasse arrêter à nouveau.

Rosa aussi a peur. «Je ne peux pas l’expliquer. J’avais peur. Cela a changé nos vies de façon radicale», explique-t-elle dans un anglais hésitant, ajoutant qu’elle est consciente qu’elle vit aux États-Unis illégalement.

Et elle a toujours peur, car cette menace pèse sans interruption. «Une de mes amies m’a dit qu’un de ses proches a été arrêté la semaine dernière», dit-elle.

Alberto est dans une autre situation — qu’il partage avec bien d’autres. Entré au pays légalement en 2003 avec un visa, il y est resté après son expiration, sans le renouveler. Il travaille tantôt comme mécanicien, tantôt pour une entreprise qui rembourre des meubles.

Depuis l’élection du président Donald Trump, il sent la pression, comme beaucoup d’autres, dit-il, de régulariser sa situation. Il n’a jamais eu d’ennuis avec les forces de l’ordre, mais il voit que les choses ont changé depuis novembre, car le nouveau président a promis de serrer la vis aux «illégaux».

Le problème? Il n’a pas l’argent pour payer un avocat qui pourrait s’occuper de son cas. «C’est angoissant parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver. On a peur, à chaque fois qu’on est dans la rue», dit-il.

200 000 sans-papiers

Rosa, Ignacio et leur famille ne sont pas seuls à vivre dans cette situation au Texas — un État frontalier du Mexique — et à s’inquiéter pour leurs proches et leurs enfants. Le consul général à Austin estime d’ailleurs que la moitié des 200 000 Mexicains vivant dans la région sont «sans-papiers».

D’ailleurs, la question que les illégaux posent le plus fréquemment au consulat mexicain à Austin est: «que va-t-il arriver à mes enfants si je suis déporté», confie Carlos Gonzales Gutiérrez à La Presse canadienne.

Des employés du consulat se rendent régulièrement dans les centres de détention de ICE pour offrir des conseils légaux aux personnes arrêtées de même que de l’aide et des ateliers d’information aux familles inquiètes.

On leur explique qu’elles peuvent donner des procurations à des membres de leurs familles afin que ceux-ci puissent récupérer leurs enfants et éviter qu’ils ne se retrouvent entre les mains des services sociaux et comment obtenir la nationalité américaine pour leurs enfants nés aux États-Unis.

«Au mauvais moment, au mauvais endroit»

Des opérations concertées de ICE ont eu lieu au début du mois de février dans plusieurs villes américaines. Alors que les autorités disaient arrêter uniquement les criminels pour les déporter, bien des personnes qui se sont retrouvées derrière les barreaux n’avaient commis aucun crime «autre que d’être au pays sans papiers», précise le consul du Mexique à Austin.

«Elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment», lâche M. Gonzales Gutiérrez.

Les ressortissants du Mexique habitant à Austin ont été particulièrement touchés. Il y a eu 51 arrestations en une semaine seulement au début de février, ce qui constitue une nette augmentation, affirme-t-il. Alors qu’il y a normalement deux ou trois arrestations par semaine de Mexicains qui vivent illégalement aux États-Unis, soudainement, il y a eu 14 arrestations le 9 février, puis le lendemain, 30.

Selon le consul, il n’y a pas de preuve que les arrestations étaient faites au hasard et que toutes les personnes franchissant un poste de contrôle établi sur un coin de rue pouvaient être automatiquement arrêtées, contrairement à ce qui a abondamment circulé sur les médias sociaux, générant bien des inquiétudes.

Il rapporte avoir vu des marchés d’alimentation, des garages, des restaurants vides cette semaine-là, car les Mexicains n’osaient plus sortir. Des familles sont séparées lorsque le père est déporté, ajoute-t-il.

Depuis, la situation est revenue à la normale, alors qu’il y a deux à quatre arrestations par jour, affirme M. Gonzales Gutiérrez.

«Mais l’anxiété demeure, dit-il en entrevue, dans la cour du centre culturel mexico-américain à Austin. Cela a créé un choc et un niveau d’anxiété. Certains ont été détenus juste à l’extérieur des écoles, après y avoir déposé leurs enfants, d’autres ont été détenus en plein coeur des quartiers immigrants.»

Beaucoup d’entre eux avaient des racines bien établies dans la région: maison, travail, enfants à l’école, souligne-t-il.

Des 51 personnes détenues par ICE, quelques-unes ont signé leur acte de déportation volontaire, d’autres l’ont été ou le seront sur ordre d’un juge, certains avaient commis des crimes graves et seront aussi déportés, et le reste tente de se battre devant des juges d’immigration.

M. Gonzales Gutiérrez déplore aussi le fait que ce climat «anti-immigrant» a donné une impression de pouvoir à certains policiers, qui se sentent autorisés à avoir une attitude plus agressive. Mais pas à Austin, précise-t-il immédiatement. Il juge sa population, comme les policiers, très inclusive et ouverte. La ville s’est d’ailleurs déclarée «ville-sanctuaire» et les autorités du comté refusent de remettre aux autorités fédérales des immigrants sans papiers.

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