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Les journalistes mexicains luttent toujours pour la liberté de presse

Journalists demonstrate against the murder of Mexican journalist Javier Valdez as they march to the Foreign Ministry in Santiago, Chile, Friday, May 19, 2017. Valdez, an award-winning reporter who specialized in covering drug trafficking and organized crime, was slain Monday in the northern state of Sinaloa, long a hotbed of drug cartel activity. (AP Photo/Esteban Felix) Photo: The Associated Press
Émilie Bergeron, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

Pendant environ six mois, le journaliste mexicain Noé Zavaleta, correspondant pour l’hebdomadaire de journalisme d’enquête «Proceso» dans l’État de Veracruz, était escorté par des gardes de sécurité, alors que des individus suspects, possiblement de connivence avec le gouvernement régional, semblaient le suivre dans le but de l’intimider. Quelques jours après la mort violente d’une icône du journalisme mexicain spécialisée en narcotrafic et en corruption, celle de Javier Valdez, le reporter s’avoue secoué, mais aussi investi d’une raison de plus de poursuivre son travail chaque jour: celle de défendre la dignité des journalistes assassinés.

«Tu te dis « Que vais-je faire? » Tu ne peux pas te cacher en dessous de ton lit. Tu dois aller de l’avant. Ça m’affecte au niveau psychologique, mais aussi au niveau de l’indignation (que j’éprouve)», relate en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne celui qui, jusqu’au mois de décembre, bénéficiait d’une protection.

Il fait ainsi référence à l’assassinat par balles de Javier Valdez, reporter dans la cinquantaine de l’État du Sinaloa, le fief du cartel du même nom rendu célèbre par Joaquín «El Chapo» Guzman. L’État de Veracruz, où habite M. Zavaleta, est l’un des plus meurtriers pour la presse au Mexique avec celui d’Oaxaca, notamment.

L’assassinat, lundi, de M. Valdez — qui travaillait pour le journal national «La Jornada» et avait fondé l’hebdomadaire «Riodoce» — a suscité une vague de solidarité et d’indignation au sein de la communauté journalistique mexicaine partout au pays puisque, souligne M. Zavaleta, «on le croyait, erronément, inatteignable» tellement sa renommée était établie depuis des années. Dans certaines villes mexicaines, des citoyens ont aussi pris la rue.

«Que se passera-t-il ensuite?» est la question en suspens pour les journalistes mexicains, estime-t-il, saluant le legs laissé par M. Valdez, notamment par les nombreux ouvrages qu’il a signés et qui documentent les aléas de la corruption, de la violence et du narcotrafic au Mexique.

«Il couvrait des nouvelles sur les cartels de Sinaloa et de Jalisco. Moi, je couvre ce qui se rattache à ceux des Zetas, mais aussi de Jalisco, dit-il au bout du fil depuis sa résidence de Xalapa, la capitale de l’État de Veracruz. (…) C’est une figure emblématique qui a été assassinée, un homme qui faisait un travail que je fais, aussi, en plus d’autres journalistes spécialisés dans la délinquance et le crime organisé. Dans ce sens, cela m’affecte, et beaucoup.»

Dans le cas de M. Zavaleta, c’est dans la foulée de la sortie de son livre «El infierno de Javier Duarte» — qui recense des écarts de conduite majeurs de l’ex-gouverneur de l’État de Veracruz en matière de corruption et de violation de la liberté de la presse — qu’il a commencé à se sentir en danger.

«Ce n’était pas des menaces textuelles comme de dire « Nous allons te tuer ». (…) C’était (néanmoins) un message signifiant « Nous savons où tu habites et où habite ta copine ».»

Une protection défaillante pour les journalistes?

Au bout de six mois, la protection par des gardes de sécurité a été retirée au correspondant de «Proceso». Il était d’accord que sa vie n’était, de toute façon, plus menacée. Mais pour d’autres collègues journalistes qui se sont vu retirer une telle protection par les autorités fédérales, le niveau de danger demeurait inquiétant, juge M. Zavaleta. La raison? Le président Enrique Pena Nieto a récemment réduit «au minimum» le financement du mécanisme de protection aux journalistes, lequel existe depuis environ cinq ans.

Mercredi, le président mexicain s’engageait justement à mettre de l’avant de nouvelles mesures pour protéger les journalistes et les militants des droits de la personne.

«Je ne crois pas un seul mot de ce qu’il dit», tranche de son côté le journaliste «jalapeno» — surnom attribué aux habitants de Xalapa.

Une histoire qui se répète

Il faut dire que le reporter a vécu bien d’autres deuils, dont un qui lui a été particulièrement difficile à traverser. En juillet 2015, son collègue photojournaliste à «Proceso» et ami Ruben Espinosa était retrouvé mort dans un appartement du quartier Navarte de Mexico, en compagnie des corps de quatre femmes.

Depuis, M. Zavaleta multiplie ses sorties publiques pour dénoncer les cas d’agressions envers les journalistes, mais aussi l’«impunité» qui sévit au niveau des enquêtes des autorités devant faire la lumière sur de tels crimes. Il martèle à l’autre bout du fil que 19 des 20 enquêtes sur les disparitions de journalistes étant survenues dans l’État de Veracruz n’ont pas donné lieu à des sanctions à l’égard des responsables.

Aller de l’avant, muni de sa plume et de son enregistreur, lui semble la seule avenue possible, expose-t-il malgré tout, rappelant qu’une foule de citoyens qui ne sont pas journalistes sont aussi victimes du «cycle de la violence» nourrit par les guerres territoriales entre narcotrafiquants.

Or, au fur et à mesure que le bilan s’alourdit, le journaliste peine à préserver un minimum d’espoir pour l’avenir. Si le gouverneur Duarte est désormais en prison parce qu’il est accusé d’avoir mené des actes relevant du crime organisé, entre autres, les enquêtes sur des enlèvements et assassinats de journalistes ne lui semblent pas déboucher davantage.

Le Mexique est le troisième pays le plus dangereux au monde pour la presse, selon Reporters sans frontières, avec plus d’une centaine de professionnels de l’information tués depuis 2000. Le meurtre de Javier Valdez est le cinquième cas recensé depuis le début de 2017 dans ce pays d’Amérique latine par l’organisation de défense de la liberté de la presse Articulo 19.

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