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Cinq questions sur le référendum catalan

BARCELONA, SPAIN - SEPTEMBER 21: People demonstrate in front of the Catalan High Court building on September 21, 2017 in Barcelona, Spain. Pro-Independence Associations called for a meeting in front of the Catalan High Court building demanding release of the 14 officials arrested yesterday during a Spanish Police operation in an attempt to stop the region's independence referendum, due to take place on October 1, which has been deemed illegal by the Spanish government in Madrid. (Photo by David Ramos/Getty Images) Photo: Getty Images

La Catalogne est décidée à tenir ce dimanche un référendum sur l’autodétermination de sa région, un référendum qui déchire un peu plus Madrid et Barcelone. Chaque camp accuse l’autre d’agir illégalement et de manquer de respect à la démocratie. Métro s’est entretenu avec deux experts pour y voir plus clair sur cet enjeu.

Pourquoi Madrid juge le référendum illégal?
Au cours des derniers jours, le gouvernement central espagnol a intensifié ses efforts pour éviter que les Catalans se prononcent sur leur indépendance, dimanche, dans le cadre d’un référendum jugé illégal par Madrid. Les dirigeants catalans, eux, font valoir que l’autodétermination représente un droit inaliénable, sans égard à des dispositions constitutionnelles. «L’Espagne se fonde sur sa Constitution, qui dit qu’elle est une nation indissoluble. C’est l’argument qu’elle invoque systématiquement, explique Daniel Turp, professeur de droit et président de l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI). Pour l’État espagnol, le référendum n’est pas légal parce qu’une communauté autonome, comme l’est la Catalogne, n’a pas le droit constitutionnel d’organiser un référendum sur son indépendance», poursuit l’ancien député péquiste arrivé jeudi à Barcelone. Ainsi, dans sa volonté d’empêcher le vote, Madrid a saisi le 7 septembre la Cour constitutionnelle, qui a suspendu la loi sur le référendum votée la veille par le Parlement catalan. «La plupart des experts s’entendent pour dire que la Cour constitutionnelle est allée trop loin et s’est engagée dans la voie de l’autodestruction, ajoute Maxime St-Hilaire, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke. C’est très agressif comme approche et ça soulève des questions sur la politisation, l’indépendance et la crédibilité de la cour.»

Que dit l’Union européenne?
Aucun pays, au sein de l’Union européenne (UE) ou ailleurs sur le continent, n’a exprimé ouvertement son appui au référendum catalan.«Le discours officiel de l’UE, c’est que c’est une affaire intérieure et qu’on ne s’ingère pas dans les affaires intérieures de l’Espagne, résume M. Turp. Mais quand il s’agit de droits fondamentaux, les affaires intérieures n’existent plus. Ça ne doit pas passer inaperçu et être accepté par les membres de l’UE.» Le leader catalan Carles Puigdemont a d’ailleurs affirmé que la Commission européenne avait tourné le dos aux Catalans en ne défendant pas les droits fondamentaux de tous les citoyens européens.   «C’est incompréhensible que l’UE et ses États membres ne condamnent pas l’Espagne pour sa violation de la Charte des droits fondamentaux de l’UE qui protège la liberté d’expression et de réunion. La Convention européenne des droits de l’homme offre les mêmes protections aux citoyens de la Catalogne», souligne M. Turp. Par ailleurs, le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, a prévenu à la mi-septembre qu’«[il suivra], en les respectant, les arrêts de la Cour constitutionnelle […]». Et qu’en cas d’une victoire du oui, «la Catalogne ne pourra pas devenir le lendemain membre de l’UE». «Je pense que l’UE est très embarrassée», fait remarquer M. St-Hilaire. Le professeur de droit explique qu’en 2008, plus de 20 membres de l’UE, dont les plus influents, avaient rapidement reconnu l’indépendance du Kosovo, créant ainsi un précédent. «D’un côté, des pays membres de l’UE ont fortement soutenu l’indépendance du Kosovo et [aujourd’hui] l’UE dit que la Catalogne ne pourra pas adhérer à l’union», rappelle-t-il. «L’UE doit défendre l’intégrité territoriale d’un membre actuel [l’Espagne]. Si en l’absence d’entente [comme ç’avait été le cas entre le Royaume-Uni et l’Écosse en 2014], l’UE cautionnait des démarches sécessionnistes reconnues inconstitutionnelles par les juridictions des États membres, ça serait intenable», précise M. St-Hilaire.

Le vote peut-il avoir lieu?
Les indépendantistes catalans ont promis de tenir le référendum, peu importe ce qu’en pense le gouvernement central. Les politiciens en faveur de l’indépendance, de même que les groupes de pression populaires, ont demandé aux manifestants d’imprimer et de distribuer des affiches en soutien du scrutin. Après la saisie de 10 millions de bulletins de vote, le groupe à l’origine du mouvement indépendantiste de Catalogne a distribué la semaine dernière un million de bulletins de vote. «L’intention du gouvernement est bien arrêtée, affirme Daniel Turp. Il y a une fermeté dans le ton du président catalan, Carles Puigdemont, et de tous ceux qui l’entourent lorsqu’ils disent : “On ne s’empêchera pas de voter. On a des plans de contingence. On se prépare à faire des chaînes et des boucliers humains devant les bureaux de vote pour que les interventions policières ne puissent pas empêcher la tenue du vote”», explique le président de l’IRAI.

Vers un retour du totalitarisme?
Dans les dernières semaines, Madrid a mis en place des mesures répressives visant à empêcher le scrutin. Barcelone a été mise sous tutelle. Des policiers espagnols ont saisi des millions de bulletins de vote. Les perquisitions menées à 42 adresses, dont 6 bureaux du gouvernement régional et des résidences de dirigeants catalans, ont conduit à l’arrestation d’une douzaine de hauts fonctionnaires de la Catalogne la semaine dernière. Une vingtaine de personnes font l’objet d’une enquête pour désobéissance, abus de pouvoir et détournement de fonds relativement au référendum. «Ça rappelle les pires années du franquisme, où on arrêtait des dirigeants démocratiquement élus pour leurs seules idées politiques. C’est quelque chose qui ne convient pas à l’ère dans laquelle on vit maintenant, surtout si on prétend être un État démocratique», déplore Daniel Turp.
Le président Puidgemont a déclaré que les perquisitions étaient «illégales» et a accusé le gouvernement central d’adopter une «attitude totalitaire». Le premier ministre Rajoy a répliqué que c’est plutôt la tenue d’un vote enfreignant la Constitution qui représente un «acte totalitaire». «On est dans le pire scénario, lance Maxime St-Hilaire. Il y a une mauvaise stratégie de la part de Madrid, qui a saisi la Cour constitutionnelle et qui a pris des mesures d’urgence. Normalement, on s’en remet à la sagesse des politiques en ce qui concerne les dispositions d’urgence. Mais là, il n’y a pas beaucoup de sagesse de la part de Madrid, qui fait flèche de tout bois», constate M. St-Hilaire.

 

Et si le oui l’emporte?
Si les quelque 7,5 millions de Catalans sont pour la plupart d’accord (70 %) avec la tenue d’un référendum, ils sont divisés, presque à parts égales, sur la question de l’indépendance. Selon un sondage réalisé en juillet pour le gouvernement catalan, 49,4 % des Catalans sont opposés à l’indépendance, contre 41 % qui l’appuient. Toutefois, si le oui l’emporte, le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, a promis de déclarer l’indépendance. «La loi catalane sur le référendum d’autodétermination prévoit qu’il y aura une proclamation d’indépendance dans les 48 heures qui suivront la divulgation du résultat, explique M. Turp. Mais il y a beaucoup d’incertitude quant à l’attitude de l’Espagne. Est-ce qu’elle va empêcher que le référendum soit tenu? Si le vote a lieu et si une majorité s’exprime en faveur du oui, est-ce que Madrid va désavouer le résultat?», se demande-t-il.

 

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