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Le «crocodile» remplacera Robert Mugabe

FILE- In this Sunday, Dec, 7, 2014, file photo, Emmerson Mnangagwa attends at the National Shrine in Harare. Mnangagwa is widely expected to take over as Zimbabwe's leader within 48 hours, following the resignation of Mugabe, Tuesday Nov. 21, 2017. ( AP Photo/Tsvangirayi Mukwazhi, FILE) Photo: The Associated Press

JOHANNESBOURG, Afrique du Sud — Emmerson Mnangagwa, le nouveau chef du parti au pouvoir au Zimbabwe et l’homme qui prendra incessamment les rênes du pays, a orchestré un retour impressionnant, probablement en exploitant des tactiques apprises de son ancien mentor, le président démissionnaire Robert Mugabe.

M. Mnangagwa a été le bras droit de M. Mugabe pendant des décennies — un rôle qui lui a valu la réputation d’un homme rusé et impitoyable, passé maître dans l’art de tirer les ficelles du pouvoir. La population le craint plus qu’elle ne l’aime, mais M. Mnangagwa jouit d’appuis cruciaux au sein de l’armée et des forces de sécurité.

Membre influent du gouvernement depuis l’indépendance de 1980, il a été nommé vice-président en 2014 et son surnom du «crocodile» est tellement connu que ses partisans sont regroupés sous l’appellation «Équipe Lacoste» en raison du logo de crocodile de la compagnie.

L’homme de 75 ans est «intelligent et habile, mais sera-t-il une panacée pour les problèmes du Zimbabwe? Est-ce qu’il sera source de bonne gouvernance et de saine gestion économique? Ça reste à voir», a dit Pier Pigou, un expert de l’Afrique australe pour le International Crisis Group.

M. Mugabe a involontairement provoqué sa propre chute en virant M. Mnangagwa le 6 novembre. M. Mnangagwa a rapidement fui le pays pour échapper aux forces de sécurité, tout en promettant de revenir.

«Enterrons nos différences et reconstruisons un Zimbabwe renouvelé et prospère, un pays tolérant des opinions divergentes, un pays qui respecte les opinions des autres, un pays qui ne s’isole pas du reste du monde en raison d’un seul individu entêté qui croit qu’il lui revient de diriger le pays jusqu’au jour de sa mort», avait-il écrit dans un communiqué retentissant.

Il n’a pas encore été revu en public. Mais peu après l’annonce de la démission de M. Mugabe, le whip en chef du Zanu-PF, Lovemore Matuke, a dit à l’Associated Press que M. Mnangagwa deviendra le leader du pays d’ici 48 heures, en assurant que M. Mnangagwa «n’est pas loin d’ici».

M. Mnangagwa a eu amplement de temps pour préparer sa riposte, puisque M. Mugabe et sa femme Grace le diabolisaient publiquement depuis plusieurs semaines. Quelques jours seulement après son congédiement, des éléments des forces armées ont assigné le couple présidentiel à résidence.

Quand M. Mugabe a refusé de démissionner, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale, Harare, samedi soir. Cela n’avait rien de spontané: des milliers d’affiches de qualité professionnelle vantant M. Mnangagwa et l’armée avaient été imprimées d’avance.

«Ce n’était pas une opération de dernière minute, a dit M. Pigou. La manifestation avait été orchestrée.»

Au même moment, les alliés de M. Mnangagwa au sein du Zanu-PF commençaient à réclamer le remplacement de M. Mugabe comme chef du parti. M. Mnangagwa a été élu dimanche, lors d’une rencontre du Comité central du parti. M. Mugabe dirigeait le Zanu-PF depuis 1977.

M. Mnangagwa s’est joint à la lutte contre la domination de la minorité blanche en Rhodésie dans les années 1960, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent. Il a reçu une formation militaire en Chine et en Égypte en 1963. Comptant parmi les premiers guérilleros à lutter contre le régime d’Ian Smith, il a été capturé, torturé et reconnu coupable d’avoir fait exploser une locomotive en 1965.

Condamné à la pendaison, il a plutôt été envoyé en prison pour dix ans parce qu’il avait moins de 21 ans. Il a alors côtoyé plusieurs nationalistes de premier plan, dont M. Mugabe. Il accompagnera ce dernier à Londres en 1979, pour les discussions qui mèneront à la fin de la Rhodésie et à la naissance du Zimbabwe.

«Au fil des années notre relation s’est développée au-delà de celle entre un servant et son maître, pour devenir celle d’un père et de son fils», a-t-il écrit plus tôt ce mois-ci au sujet de ses liens avec M. Mugabe.

M. Mnangagwa a été nommé ministre de la Sécurité au moment de l’indépendance, en 1980. Il a supervisé l’intégration de l’armée rhodésienne, des forces de M. Mugabe et des forces d’un autre leader nationaliste, Joshua Nkomo. Il entretient depuis des liens étroits avec l’armée et les forces de l’ordre.

En 1983, M. Mugabe a lancé contre les partisans de M. Nkomo une répression brutale qui sera éventuellement connue sous le nom des massacres du Matabeleland. Entre 10 000 et 20 000 membres du peuple Ndebele ont été exterminés dans les provinces du sud du Zimbabwe.

M. Mnangagwa est fréquemment pointé du doigt comme ayant été le cerveau de l’opération, ce qu’il nie. On dit aussi de lui qu’il a amassé une fortune considérable; il a été nommé dans une enquête des Nations unies sur l’exploitation des ressources naturelles du Congo et il a joué un rôle de premier plan pour faire de Harare un important centre du commerce de diamants.

Plusieurs experts sourcillent quand ils l’entendent dire qu’il saura rétablir la démocratie et la prospérité au Zimbabwe.

«Il a réussi à orchestrer une révolution de palais qui place le Zanu-PF et les militaires aux commandes. C’est le complice de Mugabe depuis des décennies, a dit l’analyste Peter Godwin. Mes attentes sont très faibles face à ce qu’il fera comme président. J’espère que j’aurai tort.»

M. Godwin, qui épie M. Mnangagwa depuis des années, prévient qu’il n’a rien du charisme ou de l’éloquence de M. Mugabe.

Un autre expert, Todd Moss du Center for Global Development, exprime lui aussi des craintes.

«Même s’il se présente comme un réformateur proche du milieu des affaires, les Zimbabwéens savent que Mnangagwa est l’architecte des massacres du Matabeland et qu’il a toujours aidé Mugabe à piller le pays, a dit M. Moss. M. Mnangagwa fait partie d’un passé triste, pas de l’avenir.»

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