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Les migrants 
croient encore au 
rêve américain

JUCHITAN, MEXICO - AUGUST 06: Central American immigrants ride north on top of a freight train on August 6, 2013 near Juchitan, Mexico. Thousands of Central American migrants ride the trains, known as 'la bestia', or the beast, during their long and perilous journey through Mexico to reach the U.S. border. Some of the immigrants are robbed and assaulted by gangs who control the train tops, while others fall asleep and tumble down, losing limbs or perishing under the wheels of the trains. Only a fraction of the immigrants who start the journey in Central America will traverse Mexico completely unscathed - and all this before illegally entering the United States and facing the considerable U.S. border security apparatus designed to track, detain and deport them. (Photo by John Moore/Getty Images) Photo: Getty Images
Juan Carlos Melo - Metro World News

Aujourd’hui, c’est la Journée internationale
des migrants. Des hommes, des femmes et même
des enfants qui quittent leur pays pour «échapper»
à la violence et à l’extrême pauvreté voient dans
les États-Unis – en dépit de leurs politiques anti-
immigration – une terre où espérer une vie meilleure.

El Paso, Texas. Bien que les arrestations d’immigrants sans papiers, le racisme et la xénophobie – encouragés sans cachette par le président Donald Trump – soient en hausse depuis la dernière année aux États-Unis, les Latinos à l’intérieur et à l’extérieur du territoire croient que le rêve américain est encore vivant.

Le concept emblématique qu’on doit à l’historien James Truslow Adams, voulant que le travail mène au succès peu importe le statut social ou l’origine, pousse des centaines d’âmes à demeurer sur le territoire américain, même si certains endurent des injustices, et en convainc d’autres de mettre leur vie en danger afin d’entrer au pays de l’oncle Sam.

Les plus récents chiffres du recensement américain, mené en octobre 2016, démontrent qu’il y a de plus en plus de Latinos aux États-Unis. Leur population atteint 57,4 millions et ce sont les Mexicains qui sont les plus représentés parmi ce groupe. Une étude du département de la Sécurité intérieure révèle que le nombre d’immigrants clandestins qui traversent la frontière entre le Mexique et les États-Unis a bondi de 23% lors de la dernière année financière.

Le Guatémaltèque Reyes Amílcar Dalisio ne fait pas encore partie de cette statistique, même s’il ne pense qu’à ça. Il croit qu’un exil aux États-Unis est la seule façon pour lui de garantir un meilleur avenir à sa famille, qu’il a laissée derrière à cause des gangs. Ceux-ci lui ont volé un des membres les plus précieux de sa famille…

«Nous avions un commerce en ville et nous avons dû le fermer et l’abandonner… parce qu’ils ont tué mon fils», raconte M. Amílcar en tentant de retenir les larmes provoquées par le souvenir douloureux du meurtre de son fils aîné, qui n’avait que 22 ans.

«Ils le menaçaient constamment. Ils pratiquent l’extorsion. Si vous ne payez pas, ils “éliminent” quelqu’un», explique l’homme de 42 ans en soulignant que le gang Mara Salvatrucha (MS) demandait 300 quetzals par semaine (53$), près de la moitié du salaire moyen d’un travailleur guatémaltèque, qui reçoit un peu plus de 700 quetzals (123$) aux deux semaines.

«Je n’avais d’autre choix que de fuir; les menaces ne cessaient pas. J’ai dû quitter ma maison, laisser tout derrière afin qu’ils ne tuent pas un autre membre de ma famille», dit M. Amílcar, ajoutant que son fils a été abattu à bout portant dans un secteur voisin de sa maison.

Le régime de terreur entretenu par des gangs comme MS et Zetas, qui sévissent au Guatemala et dans les autres pays du triangle nord de l’Amérique centrale (Honduras et Salvador), est une des raisons qui expliquent pourquoi, depuis des décennies, des milliers de citoyens tentent de sortir de ces pays.

Mais le périple vers les États-Unis est périlleux. Plusieurs préfèrent toutefois courir le risque de mourir en traversant les frontières pour tenter de mener une vie meilleure que d’être exécutés par des groupes criminels s’ils ne répondent pas aux nombreuses menaces.

Trois tentatives 
non concluantes
Ever Ivan Escoto est l’un d’eux. L’homme de 24 ans a quitté son Honduras natal pour fuir les gangs qui tentaient de le recruter de force.
«J’ai reçu quatre raclées. J’ai encore des cicatrices. Ils vous frappent tant que vous n’acceptez pas de vous joindre à eux. Ils réservent le même traitement aux femmes», indique-t-il en parlant des rituels d’initiation abusifs de ces regroupements.

«Les membres des gangs se réunissent et, lorsqu’un nouveau arrive, celui-ci doit endurer les coups des autres pendant 13 secondes. Entre les coups, ils comptent lentement, et, une fois arrivés à 12, ils repartent à 0. C’est ainsi qu’un gang vous baptise», raconte-t-il.

Lorsque vous faites partie du groupe, «ils vous demandent de voler, de vendre de la drogue… Si vous voulez gravir les échelons, il vous faut tuer un membre de votre famille, comme un cousin ou un oncle», explique à Métro le jeune homme, qui ne fait pas une croix sur son désir de gagner le territoire américain, même s’il a déjà échoué trois fois.

La première fois, c’était il y a trois ans, lorsqu’il est sorti du Honduras pour rejoindre le Guatemala puis le Mexique. Ça lui a pris trois jours, souligne M. Escoto, qui se rappelle du voyage comme si c’était hier. «C’était atroce», dit-il.

«Je suis entré au Mexique par Palenque [une ville de l’État de Chiapas]. J’ai pris le train et puis les Mara sont arrivés. Ils vous dévisagent. Si vous n’avez pas apporté d’argent, ils vous frappent. Ils vous donnent une raclée et vous jette en dehors du train pour faire peur aux autres», raconte le Hondurien, qui a évité ce traitement en donnant les 200 pesos (13$) qu’il avait dans sa poche gauche.

Le train qu’il a pris, surnommé «La Bestia [La Bête]», est sur une ligne de trains de marchandises qui parcourent le Mexique du nord au sud et qui transportent, sur le toit de leurs wagons, des milliers de migrants souhaitant entrer aux États-Unis clandestinement.

Les wagons de ces vieux trains ont été témoins de plusieurs histoires au fil des ans. Certaines aux fins heureuses, d’autres moins. Amnistie internationale estime que 400 000 migrants montent sur ce train chaque année.

Ever Ivan Escoto raconte que, sur la route vers Tierra Blanca (Veracruz), un membre de gang en a tué un autre. «Il a été tué sans raison. Nous l’avons vu se faire poignarder. Il y avait beaucoup de sang. C’était dur de voir cet homme à l’agonie mourir au bout de son sang.»

Le plus horrible, lors de ce premier voyage, a été de «les voir violer des femmes sans que nous puissions faire quoi que ce soit. Ils pouvaient nous menacer avec leur fusil. C’est la chose la plus triste».

En chemin pour la frontière américaine, un voyage de 30 jours, M. Escoto avoue avoir tout vécu : maladie, insomnie, faim, violence des gangs et même des policiers, qui lui ont aussi demandé de l’argent à son arrivée à Mexico. «Puisque je n’avais pas d’argent, ils m’ont battu. Ils m’ont donné une raclée que je ne suis pas près d’oublier. Ils ont même pris mes chaussures. Je voulais mourir», souligne le jeune homme, frustré. Lors de ce voyage, il s’est rendu jusqu’à Nuevo Laredo (Tamaulipas), où il a été déporté vers son pays d’origine.

En dépit de ce chemin de croix enduré lors de cette première tentative, le Hondurien a à nouveau essayé de gagner les États-Unis. Il s’est rendu jusqu’à Ciudad Juárez (Chihuahua) avant d’être renvoyé chez lui. Jamais deux sans trois: il a retenté sa chance avant d’être stoppé à Nogales cette fois.

Aujourd’hui, M. Escoto est au Mexique. Assis à la Casa del Migrante, à Ciudad Juárez, il planifie sa quatrième tentative. Il croit que ce n’est que dans le «pays de tous les possibles» qu’il sera à l’abri des gangs.

Un refuge pour les immigrants
«Ils souhaitent ardemment passer de l’autre côté. Puis, ils se font épingler. Ils essaient encore et encore jusqu’à ce que le cœur n’y soit plus», explique à Métro Erika González, superviseure à la Casa del Migrante, un refuge qui abrite Reyes Amílcar, Ever Ivan Escoto et des milliers d’autres Latinos voulant gagner le nord.

«Ils viennent ici pour dormir, manger, se laver, se reposer, recharger leurs batteries, comme ils disent. Et puis ils poursuivent leur route», explique Mme González en précisant qu’elle voit ici des gens de tous les horizons, y compris des familles avec des enfants et parfois des bébés âgés de seulement quelques mois. «Ça va des nouveaux-nés jusqu’aux enfants de 13 ou 14 ans, précise-t-elle. Et je vois des mineurs, seuls, de 13 à 16 ans, venus d’Amérique centrale.»

«Il n’y pas si longtemps, un homme est arrivé du Honduras. Il n’avait plus de jambes. Il était tombé de la “Bête” et est arrivé ici en fauteuil roulant. J’en ai vu sans bras, sans doigts… J’ai vu des gens gravement blessés, des filles violées… Tout ce qu’ils veulent, c’est traverser la frontière. Ils arrivent en imaginant que c’est facile. Mais non. Souvent, ils sont stoppés par la migra, ils meurent de chaleur ou sont kidnappés par les gangs qui menacent leur famille ou les tuent. C’est dangereux», rappelle Mme González.

Ses dires sont confirmés par un rapport de l’Organisation internationale pour la migration, qui indique qu’au 20 novembre 2017, le nombre de migrants tués ou portés disparus à la frontière mexico-américaine s’élevait à 334.

Malgré ce tableau sombre, Reyes Amílcar ne déroge pas de son désir de refaire ce dangereux voyage. Comme des millions de personnes, il idéalise la terre de Trump et, même s’il n’a pas les ressources ou de plan pour traverser la frontière, il croit que la foi l’aidera à remplir sa mission.

«J’attends un miracle, avoue-t-il. Je ne sais pas comment et à quel endroit je peux traverser la frontière. Je sais que c’est compliqué, mais nous avons tous le désir de réussir. D’abord pour nous protéger des menaces qui pèsent sur nous et ensuite pour trouver du boulot, pour offrir à nos familles une vie meilleure.»

Guatemala
Reyes Amílcar Dalisio
• Population. 16,6 millions
• Taux de meurtres.
 27,3 pour 1000 habitants
• Taux de pauvreté. 59,3% 
de la population est pauvre et 23,4% extrêmement pauvre (Enquête nationale sur les conditions de vie).

Mexique
Alejandra 
Hernández
• Population. 122,2 millions
• Taux de meurtres. 
17 pour 1000 habitants
• Taux de pauvreté. 43,6% de la population est pauvre et 7,6% extrêmement auvre (Conseil national pour l’évaluation du développement social, 2016).

Salvador
Francisco 
Javier Castro
• Population. 5,7 millions
• Taux de meurtres.
91,2 pour 1000 habitants
• Taux de pauvreté. 39,4% 
est pauvre et 10,4% est extrêmement pauvre 
(Enquête sur les ménages 
à objectif multiple, 2016).

Honduras
Ever Iván 
Escoto Castañeda
• Population. 8,7 millions
• Taux de meurtres.
 58,9 pour 1 000 habitants
• Taux de pauvreté. 60,9% 
est pauvre et 38,4% est extrêmement pauvre (Enquête de l’Institut national de la statistique, 2017).

De l’autre côté de la frontière

Même si la crainte d’être déporté demeure vive pour les quelque 11 millions d’immigrants clandestins recensés par le département de la Sécurité intérieure des États-Unis, les Mexicains de l’État de New York indiquent que leur vie a changé pour le mieux après leur arrivée en sol américain.
Ils n’hésitent pas à affirmer que, malgré le discours raciste et xénophobe du président Trump, le rêve américain est possible pour ceux qui travaillent fort.

La Mexicaine Vila Tioba, de Veracruz, dit vivre le rêve américain depuis que ses deux enfants l’ont rejointe aux États-Unis, arguant qu’ils ont grandi dans un environnement plus sûr. Elle est entrée au pays par le Texas il y a 22 ans. Depuis cinq ans, elle vend des fleurs sur une rue new-yorkaise pour gagner sa vie.

Elle croit que, même si la situation économique est difficile au pays, ses enfants ont davantage de perspectives d’avenir. «Je ne sais pas si les choses vont bouger, car tout semble changer depuis l’arrivée au pouvoir du président Trump. L’aide n’est déjà plus la même, mais nous souhaitons que les choses se règlent», dit-elle, ajoutant que le discours du président sur les Mexicains amène son lot de problèmes.

Le nombre d’arrestations d’immigrants sous le gouvernement Trump est en hausse de 40%, souligne le Service de l’immigration et des services douaniers américain. Et même si le nombre d’expulsions est moins élevé que sous le gouvernement de Barack Obama, il est prévu que celles-ci explosent en 2018, quand le programme des Dreamers [DACA: Action différée pour les arrivées d’enfants] arrivera à échéance.

Ce programme qui empêchait le rapatriement de 800 000 jeunes entrés illégalement aux États-Unis alors qu’ils étaient enfants a été annulé par le président Trump le 5 septembre.

«Les politiques sur l’immigration de Trump nous font peur», avoue la Mexicaine Alejandra Hernández. À bord d’un train new-yorkais, elle raconte à une Vénézuélienne comment elle est entrée au pays: sa mère ayant travaillé pour des Italiens dans la Grosse Pomme avait réussi à amasser 1200$ afin 
de payer un «coyote» qui leur a fait traverser la frontière dans
les années 1990.

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